Juriste branché

Décolonisons le droit

Episode Summary

Droit autochtone avec Marie-Claude André-Grégoire

Episode Notes

Droit autochtone avec Marie-Claude André-Grégoire.

 

Nous parlons de l’importance de décoloniser le droit au Canada et comment l’ordre juridique autochtone se développe et progresse.

Nous découvrons aussi le petit abécédaire de l’ABC sur le vocabulaire correct et incorrect et les formes de respect à utiliser dans nos conversations avec des personnes autochtones.

Devenir avocate au Canada lorsque nous nous identifions comme une personne autochtone peut ne pas toujours être facile. On apprend notamment en détail sur les crimes et les injustices commis envers ses ancêtres et l’on se rend compte qu’ils sont toujours perpétrés et entretenus aujourd’hui par un système juridique colonialiste. 

On sait que le travail d’avocate c’est déjà très difficile sur le plan intellectuel, mais ici il y a également un aspect émotionnel et psychologique très fort. 

Marie-Claude André-Grégoire est une Autochtone d’origine innue. Elle s’est jointe à l’étude O’Reilly, André-Grégoire et associés, tout d’abord comme étudiante et stagiaire, et maintenant à titre d’avocate depuis décembre 2014. Elle pratique en droit autochtone, en droit constitutionnel et en droit environnemental.

 

Julia Tétrault-Provencher est avocate (Barreau du Québec) et travaille comme conseillère juridique sur les droits en matière de santé sexuelle et reproductive pour Avocats sans frontières Canada (ASFC). 

Episode Transcription

jbMarie-Claude André-Grégoire

L’indicateur de temps [00:00:00] indique un mot incompris ou incertain. 

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Vous écoutez Juriste branché, présenté par l'Association du Barreau canadien. 

Animatrice :        Bonjour à tous et à toutes, bienvenue au podcast Juriste branché. Aujourd'hui vous excuserez si vous avez des sons parfois derrière moi. Je suis présentement sur une terrasse dans un bistro en Nouvelle-Écosse à Antigonish. Et, à Antigonish je tiens à souligner que je me trouve en M’Ikmaki, le territoire ancestral non cédé du peuple Mi’kmaq. Je ne sais pas si j'ai bien prononcé, mais voilà, c'est là où je suis aujourd'hui. 

                            J'ai le plaisir de parler avec Marie-Claude André-Grégoire qui est associée au cabinet O’Reilly, André-Grégoire et associés. Marie-Claude bonjour, bienvenue au podcast, on est super contente de de t’avoir avec nous aujourd'hui. Comment ça va?

Marie-Claude :    Kuai [00:00:56] ça va bien et toi?

Animatrice :        Ça va très bien merci, en plus je m’étais dit que je voulais commencer en te disant kuai Marie-Claude. J’apprécie beaucoup que tu commences avec ça. Ça va très bien merci. Dis-moi un peu, peux-tu nous parler de ce que tu fais avant qu’on commence le podcast. 

Marie-Claude :    Pour commencer je veux dire que moi aussi également je suis en paix à Mani-Utenam, sur le [00:01:25]de Washat Mak Mani-Utenam. Et avant de commencer ce podcast je pense que c'est important de prendre conscience pour les auditeurs, de prendre conscience dès le départ où ils sont en ce moment. Ils sont dans un territoire autochtone de sûrement différentes nations à travers le Canada. De mon côté je suis justement dans le [00:01:48] de Mani-Utenam des Innus de Washat Mak Mani-Utenam. 

                            Moi je suis avocate et au départ innue de la communauté de Mani-Untenam et également initialement innue de [00:02:02] ce qu’il faut comprendre c'est que c'est deux familles. C'est des liens qui, entre les deux communautés, sont familiaux et très étroits. J'ai fait mon bac à l’Université d’Ottawa et j’ai été étudiante par la suite auprès du Conseil de bande d’Itum, donc innu [00:02:23] Washat Mak Mani-Utenam. Et j’ai rencontré Maître O’Reilly qui était l’avocat procureur du conseil de bande. Donc j’ai été étudiante après au sein du cabinet, après stagiaire, ensuite au Barreau, par la suite avocate et maintenant associée. Donc, en quelques lignes voici mon parcours. 

Animatrice :        J’adore vraiment ce parcours qui est vraiment intéressant, merci beaucoup et on va te poser plus de questions par la suite. [00:02:53] parce que je pense que ça mérite plus que quelques lignes. Mais avant de commencer ça, quand on avait parlé ensemble on s'était rendu compte qu’on devait peut-être commencer avec la base pour un podcast avec toi et parler un peu de l'ABC, j’aime beaucoup l'ABC de l'ABC. Donc, la situation du Barreau canadien pour savoir un peu c'est quoi le vocabulaire qui est correct et celui qui est moins correct et même parfois tout simplement dérangeant. Puis les formes de respect pour des conversations avec des personnes autochtones. Donc, par exemple, la base l’utilisation de Première nation, Métis, Inuit, versus les personnes des communautés autochtones. Est-ce que ça s’interchange? Est-ce qu'on peut utiliser les deux? Que conseilles-tu? 

Marie-Claude :    Oui bien c'est sûr qu’y a une grande différence entre autochtone et première nation. Donc, on utilise beaucoup le terme autochtone à travers le monde pour définir les peuples d’une région, d’un continent. Donc, quand on utilise le terme autochtone au Canada on fait référence aux Premières Nations, aux Métis, aux Inuits. Mais donc toutes les communautés autochtones dans le Canada. Lorsqu’on parle de premières nations en fait ça exclut les Inuits. Lorsqu’on parle des Inuits, on parle vraiment des personnes qui habitent très au nord du Canada, qui parlent en général l’inuktitut, qui ont leur propre langue puis tout ça. Donc, il ne faut vraiment pas généraliser lorsqu’on parle des peuples autochtones. Chaque communauté a sa propre culture. Par exemple, je suis innu, mais ma culture est complètement différente des Inuits, juste par rapport à la langue, par rapport aux traditions et tout ça. Comment on chasse, comment on se déplaçait dans le territoire initialement. Donc il y a beaucoup de distinctions à faire. 

                            C'est important lorsque vous avez à faire avec des peuples autochtones de bien s’informer au départ : est-ce que c'est une communauté inuite, est-ce que c'est une communauté membre des Premières Nations, est-ce que c'est une communauté métisse. Les Métis, ce qu’il faut comprendre, c'est qu’il y a des critères qui ont été émis par la Cour suprême pour les faire reconnaître comme tel comme métis. Il n’y en a pas au Québec qui ont été reconnus judiciairement comme Métis.  Suite à l’arrêt Pauley de la Cour suprême y a des communautés qui se définissent comme telles, comme métis plus du côté des Prairies. 

                            Donc, les Métis ne sont pas sujets à la Loi sur les Indiens, donc c'est vraiment complètement distinct. La Loi sur les Indiens dans le fond est une loi qui date de très longtemps. Elle date de 1876. Donc, quand on parle juridiquement de la Loi sur les Indiens pour les personnes qui ont le statut d’Indien, on peut utiliser ces termes-là. Dans ce cas-là, on fait référence à l’aspect légal, mais maintenant, on n'utilise vraiment pu le terme indien pour définir une communauté autochtone ou les Indiens d’Amérique. On n’utilise vraiment plus ce terme-là et c'est vu très péjorativement. C'est un peu la même chose que depuis tantôt je parle de communautés donc, lorsqu’on fait référence vraiment juridiquement à une réserve, par exemple, pour définir un statut en vertu de la Loi sur les Indiens qui définit les réserves. Dans ce cas-là, c'est correct d’utiliser le terme réserve, mais si vous dites mettons : je vais visiter la réserve de Mani-Utenam, dites juste : je m'en vais à la communauté de Mani-Utenam ou à Mani-Utenam ou à Wendake ou à mettons à Kahnawake. On parle de communauté, non plus de réserve. Le terme réserve va être vu vraiment plus péjorativement et réfère beaucoup à tout l’historique des communautés autochtones. 

                            Parce qu'il y en a certainement dans l’histoire, y a des communautés qui étaient vraiment on parle quasiment d’enclos. Il y avait des clôtures autour des communautés. Donc c'est pas tout à fait apprécié par les membres des Premières Nations s'il n’y a pas vraiment une notion juridique derrière. 

Animatrice :        Lié à ça en fait, à quand le droit va enfin avoir des termes aussi qui vont arrêter d’être péjoratifs? Ça aussi on peut le demander. Parce que tu parles d’Indiens, tu parles de réserves, pis juste ça, ça nous montre que la Loi devrait utiliser d’autres termes. Est-ce qu'il y a une réforme de prévue à ce sujet ou toujours pas? Est-ce que ça va changer un jour?

Marie-Claude :    C'est une bonne question. J'aimerais ça retourner dans le temps, parce que la Loi sur les Indiens il faut vraiment la placer dans un contexte historique. Et, dans mon domaine, l'histoire est vraiment complètement reliée au droit dans tous les aspects. Donc si on regarde la Loi sur les Indiens, la première loi a été adoptée en 1876 et on appelait ça l’acte des sauvages. Pour vous donner une idée, les Indiens on ne les appelait pas Indiens, on les appelait « sauvage » à l’époque. Ça c'est, on parle de 1867. C'est sûr que quand on lit ça maintenant et qu'on fait un retour en arrière, ça donne un peu une idée sur la notion que le Canada avait des peuples autochtones à l’époque. 

                            Historiquement, ce qui est arrivé, c'est qu'à la proclamation royale, en 1800… mon Dieu j’ai un blanc, je vais aller voir. Donc, il faut remonter historiquement sur… suite au Traité de Paris, il y a eu la Proclamation royale en 1763. Et, donc, l’Europe, la France avait perdu sa colonie française et on venait de passer sous l'Empire britannique. L'objectif de l’Empire britannique à l’époque en 1763 était de vraiment assimiler les Français pour qu'ils deviennent Anglais. Et, ils avaient aussi obtenu beaucoup d’alliances avec les peuples autochtones et voulaient vraiment garder ces alliances-là avec eux pour pouvoir s’assurer d'avoir une gestion, s’assurer de pouvoir assimiler les Français comme il faut. C'est pour ça que si on regarde la carte de la Proclamation royale, il y a un grand territoire réservé aux Indiens. C'est comme ça qui l’appelle, territoire réservé aux Indiens. 

                            Donc c'était pour les peuples autochtones à l’époque et justement empêcher les colons français d’agrandir les colonies et ne pas se soumettre à l’autorité anglaise. Et les autochtones étaient encore vus comme des alliés, autant pour la traite de fourrures, mais aussi pour tout l’aspect guerre aussi et économique. Mais là lorsqu’on devient un pays, là le peuple autochtone devient au contraire plus des alliés, mais au contraire des obstacles au développement économique du pays. Et c'est pour ça qu’en 1876 on fait l’Acte de sauvages. On adopte l’Acte des sauvages et on a vraiment une volonté d’assimiler les peuples autochtones, de les faire devenir comme un citoyen canadien comme tout autre. Donc c'est là l’objectif de les mettre dans des communautés, dans des réserves, en vertu de l’Acte des sauvages, de les considérer comme des mineurs. Et, il y avait des dispositions qui étaient complètement aberrantes quand on les regarde dans nos yeux de 2022. Par exemple, on a parlé beaucoup des femmes qui perdaient leur statut si elles se mariaient, des femmes autochtones qui perdaient leur statut si elles se mariaient à un non-autochtone, à un allochtone. 

                            Mais aussi on avait cette notion qu’ils n’ont pas eue le droit de vote avant 1969, s’ils avaient un bac à l’université ils devenaient affranchis, donc ils perdaient leur statut dIndien au sens de la Loi. Et, ils ne pouvaient pas non plus… il y avait toute des restrictions s’ils sortaient de la communauté. Donc, c'était vraiment dans l’objectif de les assimiler. Et, euh... maintenant la Loi sur les Indiens en tant que tels a eu deux aspects qui n'étaient pas prévus nécessairement par les gens qui l’ont adoptée à l’époque. Soit que, les communautés se sont regroupées entre elles, et beaucoup en restant ensemble, certains on peut préserver leur langue, leur culture et leurs traditions, parce qu'ils étaient restés entre eux puis ils pouvaient maintenir cette relation-là. Ils ont survécu. Dans le fond l’assimilation oui a fonctionné dans plusieurs sens, quand on parle de génocide culturel justement, dans la Commission de vérité et réconciliation, mais a eu quand même, dans un sens, je ne veux pas dire un avantage, mais a permis en restant regroupé de préserver quand même leur langue, leur culture. 

                            Puis, dans le fond, on est encore là aujourd'hui. Donc c'est sûr que la Loi sur les Indiens maintenant quand on la regarde en 2022, si on demande à une Première nation : Voulez-vous vous affranchir de cette loi-là, est-ce qu'on l’éteint? Bien les membres des Premières nations ne sont pas prêts à juste… mettre la Loi sur les Indiens de côté parce qu’en même temps c'est ça qui leur a permis de rester dans les communautés qui font la gestion d’un conseil de bande. Là maintenant on parle beaucoup d'autodétermination à travers cette loi-là par exemple. Bon, tranquillement, on s’entend, il n'y a pas beaucoup d’autodétermination, mais on parle beaucoup maintenant que les communautés autochtones peuvent faire leur propre code électoral et tout. 

                            Donc, il y a une certaine réticence à juste rejeter du revers de la main la Loi sur les Indiens. Aussi il faut se rappeler qu’en 1979, il y avait le Livre blanc de Trudeau père qui proposait de juste enlever la Loi sur les Indiens et d’intégrer les membres des Premières Nations comme tout autre citoyen. Il voyait cette notion-là d’égalité. Mais il y a eu un grand mouvement auprès de l’ensemble des premières nations au Canada qui ont fait, si je ne me trompe pas, le Livre rouge, où c'était tout le contraire pour dire que c'est pas égal de nous mettre comme un citoyen, comme n'importe qui parce que l’égalité fait en sorte qu’on doive se faire respecter en tant premier peuple, en tant que communauté, notre propre ordre juridique, notre propre mode de vie qui est complètement relié au territoire. Et cette notion-là doit être respectée si on parle d'égalité. Donc, on doit avoir un statut particulier et respecter nos droits ancestraux aussi.     

Animatrice :        Oui clairement, il faut que ce soit reconnu. C'est un peu comme si on disait à une personne… quand toutes les personnes, on ne peut jamais parler d’égalité pour tout reconnaître les diversités de chaque personne si on veut une vraie égalité en fait, don clairement. Je comprends que le statut indien a aussi servi dans l’histoire à préserver certains droits. Je comprends que ça vienne complexifier de juste changer le nom. Mais est-ce qu'on pourrait quand même, est-ce que ce serait quand même pertinent de changer le nom « Loi sur les Indiens » pour un autre terme qui serait utilisé, à cause de son fort bagage historique. C'est même pas nécessairement quelque chose que les Premières Nations veulent. 

Marie-Claude :    Je pense que les gens le veulent en grande partie, changer de nom. La seule chose c'est qu'effectivement ça amène tout un bagage historique parce que c'est toute la question du statut d’Indien. Je faisais la référence au départ, la distinction entre peuples autochtones incluait les Inuits. Bien la Loi sur les Indiens ne touche pas les Inuits. Toutes les communautés inuites ne sont pas couvertes par la Loi sur les Indiens. Donc, si on appelle la Loi sur les… mettons les autochtones, ça ne fonctionnerait pas parce qu'on doit… bien historiquement cette loi-là a exclut les Inuits. Si on l’appelait la Loi sur les Premières Nations, il faudra définir qui sont les membres des Premières Nations, c'est compliqué à définir puisque dans notre loi constitutionnelle en 1982, puis la Loi constitutionnelle de 1867, on fait référence au terme « Indien » et on fait référence au terme « Premières Nations » aussi et « peuples autochtones ». 

                            Donc c'est pour ça que c'est facile à dire, c'est plus complexe à faire, à changer. Ce qui se fait maintenant, c'est plutôt des traités modernes. Il y en a des communautés autochtones qui signent des traités modernes avec la province et le fédéral. Et, dans ces traités-là, ils définissent qu'ils ne sont plus couverts par la Loi sur les Indiens, ils font une autre loi qui découle du traité moderne. 

Animatrice :        OK c'est très intéressant, ça non plus je ne savais pas. Merci vraiment beaucoup pour cette explication qui m'amène comme la dernière fois t’avais parlé sur l’importance de décoloniser le droit au Canada et je pense que tu nous montres que la Loi sur les Indiens définitivement est du colonialisme et qu’il y a encore beaucoup d'aberrations qui sont issues du colonialisme dans cette loi-là. Tu nous en as déjà nommé quelques-unes, mais est-ce qu'il y a d’autres documents légaux qu’on connaît moins, des lois, des décrets, que tu aimerais prendre le temps de soulever ici. Parce que des fois on se rend compte que dans la loi il y a des aberrations qui sortent un jour, et là on se dit : « Ben voyons, comment ça cette loi-là existe encore? ». Est-ce qu'il y en a d’autres comme ça ou d’autres exemples de la Loi sur les Indiens qui provient d’une racine colonialiste. 

Marie-Claude :    Mon Dieu y en a tellement. 

Animatrice :        Par où commencer!

Marie-Claude :    Y a tellement de types de lois, si on pense à toutes les lois qui concernent justement la faune, la flore, la Loi sur les pêches. Mais aussi des domaines qu'on pourrait penser comme la Loi sur la protection de la jeunesse, la Loi sur l'éducation aussi. Donc, lorsqu’on pense à l’éducation par exemple dans certaines communautés autochtones, mais dépendamment des provinces aussi, c'est complètement différent. Donc, les Premières Nations, ç’a déjà été reconnu par le Tribunal des droits de la personne en 2016, que les enfants des Premières Nations étaient sous-financés comparativement aux enfants qui allaient dans des écoles qui avaient des services dans les provinces. Et, le fédéral depuis essaye de parfaire ça. Ce qu’il faut comprendre c'est que les communautés autochtones spécifiquement, je vais essayer de me limiter à l’éducation, mais les communautés autochtones ont un certain budget qui provient du fédéral pour enseigner du primaire au secondaire. Il y a certaines communautés qui ne sont pas capables, par manque de financement ou de ressources ou de professeurs, ils sont quand même dans des régions assez éloignées, d'enseigner l’ensemble du secondaire I ou du secondaire V. Donc, ça se limite à un certain secondaire. 

                            Les jeunes enfants doivent se déplacer dans une autre communauté pour finir leur secondaire V.  Déjà ça, c'est aberrant, on parle de mineurs. Et, de l'autre côté, dans le fond ils sont responsables d’un financement pour l’école du primaire au secondaire. Par contre pour pouvoir avoir la sanction des études de la province, pour dire oui ils ont un diplôme d’études secondaire, il faut qu'ils respectent tout le régime provincial de l’éducation. Mais ils n’ont pas le même financement qu’au provincial. Et, lorsqu’on parle d’éducation qui est la chose qui est le plus… qui est quand même une des choses les plus importantes, on parle de l'avenir de nos enfants et tout ça, lorsqu’on veut essayer de déroger un peu à euh... à dans le fond se réapproprier notre culture, enseigner notre culture, notre langue, nos traditions dans nos écoles, c'est très compliqué à pouvoir réussir à se défaire un peu du programme ministériel, sans avoir, dans le fond, le gouvernement qui nous dit : ah ben si vous ne respectez pas nos examens ministériels vous n'allez pas avoir la sanction des études à l’issue de votre programme. 

                            Donc, on perd encore une fois. Pour moi, à mon sens, c'est encore très colonialiste comme système d’éducation où on a toujours le gouvernement du Québec qui… ou '’autres provinces qui donne un peu son dernier mot à dire. Je comprends, on comprend l’idée en arrière de ça d’avoir une notion d’uniformité au niveau de l’éducation. C'est un des exemples au niveau des lois où il n’y a pas encore de prise de conscience de décoloniser leur pensée pour le bénéfice vraiment des générations futures des communautés autochtones, puis de la préservation, la pérennité, de leurs traditions, de leur culture, de leur langue surtout. On parle beaucoup des langues autochtones qui se perdent. Bien, le premier endroit avec la famille, bien entendu, le noyau familial, le premier endroit où il faut maintenir c'est bien à l’école. 

Animatrice :        Tout à fait, puis comment est-ce que tu dirais, c'est une question vraiment très difficile, mais par où on commence pour décoloniser notre pensée justement?

Marie-Claude :    Je pense que c'est un peu mon objectif en participant à certains panels, ou comme aujourd'hui au podcast. C'est vraiment de sensibiliser la population en général sur ces enjeux-là, et de les forcer un peu à s’éduquer et à comprendre l’histoire. Parce que, comme je l'ai dit déjà, les communautés autochtones, tout le droit autochtone est tellement relié à l’histoire. Donc, il faut aller chercher tout le contexte historique avant d’amener certaines idées qui sont souvent préconçues ou teintées de préjugés. Ce qu’on entend souvent : ah, ils ne payent pas de taxes, pas d’impôt. Mais, avant qu'on ne paye pas de taxes et pas d’impôt, il y a tout un historique par rapport à ça. 

C'est qu’on n’est pas propriétaire de terrain sur les réserves. Donc, tu peux bien avoir une maison qui vaut un million sur une communauté autochtone, mais t’es jamais propriétaire de ton terrain. Tu sais il y a tellement de choses, je pense qu'il faut sensibiliser la population à se renseigner pour mieux construire notre pensée. Ça doit se faire aussi au sein des gouvernements, au sein des juges. Bref, il y a beaucoup de travail à faire. 

Animatrice :        Justement, c'est pour ça qu’on était si content de t’avoir et contente de t’avoir aujourd'hui et pour ce podcast-là, pour que tu viennes un peu justement briser quelques nœuds et expliquer certains principes historiques qu’on ne se fait pas du tout dire à l’école non plus. Moi par exemple, je sais que de secondaire I à secondaire V, on a parlé des Premières Nations, mais on n’a jamais parlé de ces choses-là. C'est quand même aberrant, ne serait-ce qu’on ne soit pas plus au courant et ça perpétue des préjugés. Une incompréhension aussi de la part de tout le monde, des citoyens et des citoyennes du Canada. Mais, justement aussi, continuons avec l’idée de décoloniser notre pensée. Est-ce que tu trouves que notre système de justice actuel, surtout au niveau criminel, est ouvert à de nouvelles formes de protection et réhabilitation qui seraient davantage communautaires et peut-être qui répondraient plus aux traditions des Premières Nations. Parce qu’on sait aussi que les personnes autochtones sont surreprésentées au sein de notre système carcéral. Donc est-ce qu’il y a une raison? Pourquoi selon toi? Est-ce que tu penses que si on avait un meilleur… d’abord si on sensibilisait plus le corps policier certainement. Mais si aussi notre code criminel était plus adapté, penses-tu qu’il y a des réformes qui pourraient faites de côté-ci? Et est-ce qu'il y a une ouverture à ce changement-là?

Marie-Claude :    Ou, bien je pense qu'il y a plus une ouverture depuis quelque temps qu’avant. Si on remonte à il y a 30 ans, il y a eu quand même une évolution. Ce qu’il faut comprendre, au niveau criminel justement, il y a eu des changements qui ont été faits pour essayer de diminuer cette notion-là de surreprésentation des communautés autochtones dans les milieux carcéraux. Par exemple, lorsqu’un membre autochtone est un accusé, il a le droit de faire un rapport qui s’appelle un rapport Gladu, qui va venir vraiment expliquer un peu ses conditions de vie, son historique puis qui donne un peu… qui doit donner une ouverture d'esprit pour le juge par rapport à la peine. Donc, ça, c'est un point. Par contre, je pense, qu'est-ce qui est plus prôné et qu’on essaye d’ouvrir comme option, ce serait la justice réparatrice. Don, on a ce type de système dans certaines villes au Canada. Y a le Centre de justice des Premiers Peuples de Montréal qui offre ce type de justice. Donc, qui accompagne les membres des Premières Nations qui sont accusés soit à la Cour municipale ou à d’autres instances. Et, cela permet d’effectuer la probation auprès du centre. Donc, d’avoir des heures qui, au lieu d’être faites dans des travaux communautaires, ça va être des heures qui vont être faites plutôt, par exemple, à construire un parka qui est un manteau traditionnel inuit. 

                            Il y a des changements qui essayent de se faire tranquillement pour pouvoir avoir une certaine ouverture auprès des cours, pour sensibiliser toute cette notion-là de voir la justice autrement. Il y a aussi des systèmes de justice qui sont en train de se créer dans certaines communautés autochtones. Je pense par exemple à Akwesasne, ils ont créé leur propre cour de justice. Ce qui est vraiment intéressant et très important. J'ai vu aussi dans, j’ai oublié le nom de la communauté dans l’ouest, qui en vertu de la Protection de la jeunesse, au lieu d’aller devant les tribunaux provinciaux pour définir les mesures à adopter. Par exemple, dans le cas  où il y a un enfant autochtone qui est sujet à avoir des mesures de protection pour, je ne sais pas, c'est un peu l’équivalent au Canada de la Loi sur la protection de la jeunesse, mais eux ils ont créé leurs propres lois et ils ont créé leurs propres tribunaux pour définir qui va adopter la mesure. Donc, c'est vraiment un système qui met de l’avant l'autodétermination des peuples autochtones, de définir eux-mêmes c'est quoi les mesures qui devraient être appropriés pour leurs familles, pour leurs enfants. 

                            Ça, je trouve que c'est des mesures qui sont super intéressantes, donc qui sont un peu plus précurseures. Mais il y a encore beaucoup de chemin à faire, je dirais, parce qu’au niveau du Code criminel on est vraiment dans le punitif. Les communautés autochtones on avait plus une façon de… historiquement et traditionnellement de punir, mais comme moralement. Donc, il y avait des règles morales qui définissaient la marche à suivre des lois non écrites, si on veut, c'était vraiment leur propre ordre juridique qui existait, qui a demeuré et qui existe encore aujourd'hui. Et, la façon de punir est souvent plus… plus morale, je dirais, il n’y a pas de punition en tant que telle. Ça dépend de chaque communauté autochtone, mais c'est beaucoup plus dans ce que la communauté va réprimander. 

                            Et ça vient vraiment historiquement si on pense les communautés autochtones étaient souvent dépendantes des noyaux familiaux. Puis, la pire réprimande qui pouvait être faite, c'est d’être banni. Pourquoi c'était la pire réprimande, c'est que dans le fond tu devenais tout seul dans le territoire. Tu pouvais te fier seulement sur toi-même et ce que ça voulait dire c'était probablement la mort. Donc, tu ne pouvais compter sur une aucune famille autour, tu étais banni et tu devais survivre dans le territoire l’hiver ou quoi que ce soit. Donc, c'était vraiment la pire punition qui pouvait arriver c'était ça. Mais en général il y avait toute cette transmission-là de l’ordre juridique qui était très oral. 

Animatrice :        Je me demandais quand tu parlais de leur propre cour de justice, comment ça fonctionne? Est-ce que ça doit être homologué, comment c'est respecté par rapport au système de justice plus classique? Est-ce que les décisions qui sont prises doivent passer par un système d’homologation? Si par exemple une entente en fait entre deux personnes. Ou non, on ne passe par là, pas besoin. Parce que c'est un peu autogéré finalement. 

Marie-Claude :    Non c'est vraiment autogéré. Les Mohawks ont une vision qui est vraiment intéressante. Ils ne veulent pas aller devant les tribunaux canadiens pour se faire entériner ou quoi que ce soit. Donc c'est le moins possible. Vraiment ils sont autonomes, indépendants et c'est leur cour de justice, puis c'est respecté dans la communauté en tant que telle comme étant leur cour. Ils n’ont pas besoin d’aller devant la Cour supérieure ou devant n’importe quelle instance canadienne ou québécoise, peu importe. 

Animatrice :        C'est pour être… ah bien, j’adore ça. OK merci beaucoup. 

Marie-Claude :    Ils sont indépendants, auto… c'est vraiment leurs règles. 

Animatrice :        Leur propre système. 

Marie-Claude :    C'est ça. 

Animatrice :        Je comprends qu’il y a un ordre juridique autochtone, avec les exemples que tu donnes, puis est-ce que tu trouves que… on voit un peu comment ça se développe, est-ce que tu trouves qu’il y aurait certaines valeurs autochtones qui devraient être…  Est-ce que quand je dis « valeurs autochtones » je suis correcte de dire ça?

Marie-Claude :    Oui, ça dépend dans quel sens. 

Animatrice :        Mettons si je veux inclure, le terme « autochtone » inclus Premières Nations, Métis, Inuit. 

Marie-Claude :    Oui

Animatrice :        Si j’ai bien suivi mes cours que tu me dis vers la fin .

Marie-Claude :    Oui

Animatrice :        Je me demandais où en sommes-nous dans l'incorporation de certaines valeurs autochtones dans notre propre système? Comme j’ai compris que les valeurs autochtones ça peut être très large, peut-être des valeurs qui sont peut-être traditionnellement plus reconnues comme étant des valeurs qui sont de plus en plus incluses, et si tu n’en vois aucune, ou si tu penses qu’il y en a qui devraient être incluses, en fait. 

Marie-Claude :    Je dirais une des valeurs qu’on voit plus, c'est en lien avec la protection de l’environnement. Donc, je dirais que quand je commençais tantôt, les Premières Nations, les peuples autochtones dépendent de leur environnement, dépendent de leur territoire traditionnel et de leurs ressources. C'est pas une question de : ah, on… les préjugés, on parle aux animaux. C'est que le mode de vie des Premières Nations et des Inuits dépend littéralement de leur relation avec l'eau, de leur relation avec certains animaux qui ont une plus grande importance. Puis on le voit beaucoup à la force que les communautés autochtones déploient lorsque, par exemple, il y a un grand projet qui est annoncé. On parle de peine, on parle de cicatrice dans le territoire lorsqu’ils parlent, par exemple, je pense aux Innus. Lorsqu’ils parlent des projets hydroélectriques sur leur territoire, lorsqu’on parle de barrages ou de mines, c'est vraiment… c'est des cicatrices. Lorsque certaines communautés innues parlent de [00:33:49] quand les projets hydroélectriques à l’époque, on parle de Churchill Falls, mais aussi les Innus à Bessamit, Manic et tout ça, tous les projets hydroélectriques. Lorsqu’ils ont inondé les territoires traditionnels de certaines familles innues, c'était… tu sais, ils ne pensaient pas ça possible. Mais ils ont inondé des chemins traditionnels, des portages traditionnels, les Innus ne pouvaient plus aller dans leur territoire, dans leurs sanctuaires, dans leurs lieux patrimoniaux. Ils ont inondé aussi des zones qui étaient importantes pour les communautés autochtones pour certaines familles. Par exemple, des lieux de sépultures, des endroits où il y avait certaines particularités, des endroits de naissance, des endroits de campement, des endroits où il y avait des pratiques spirituelles, donc des pratiques de traditions spirituelles. 

                            Vraiment, un peu, euh... le lien avec l'environnement, la protection de l'environnement que je dirais qu’on se rallie plus. Au Québec on le voit un peu avec les aires protégées, mais on est encore très loin de ce qui se fait ailleurs. Parce que la Loi sur la conservation du patrimoine naturelle a changé récemment et on a reconnu les aires protégées d'initiatives autochtones. Par contre au Canada et de manière internationale, ce qu’on reconnaît, c'est une aire protégée de conservation autochtone. Donc, on ne sait pas encore qu'est-ce que la version québécoise veut dire vraiment, mais admettons que la version canadienne ou internationale a plus d’apports où on a justement Monsieur Suzuki qui défend avec les peuples autochtones ces aires protégées là. Et on voit où… l’objectif est le même, dans le sens que le Canada, la population se mobilise beaucoup pour protéger notre environnement, pour sensibiliser sur la protection de l’eau. On a tellement de l’eau qu’on devrait encore plus protéger. On a de l’eau qui est d’une qualité supérieure à travers le monde, qui est incroyable. Mais, on ne le réalise pas nécessairement.

                            Je dirais qu’au niveau de… j'ai peut-être une grande [00:36:28] de plus en plus, je dirais… euh... où la population en générale se sensibilise plus, c'est vraiment avec la protection de l'environnement, la protection de l'eau. Sinon, je pense qu’avec les avancés qu'on peut faire, je dirais beaucoup c'est en éducation, protection de la jeunesse, pour… on l’a vu là avec la commission Laurent, la protection de la jeunesse au Québec, on a beaucoup de défaillances. Je dirais que pour les communautés autochtones on est durement touché aussi pour la protection de la jeunesse, on n’a pas un bon ratio je dirais. Mais la notion de la protection de l'enfant est quand même très présente dans les communautés autochtones. Souvent on dit que c'est la communauté qui élève les enfants. Moi je dirais pour les Innus aussi c'est très important les enfants comme les aînés. 

                            On a des termes innus comme : « binche » qui veut dire ma fille. Bien souvent ça va être plusieurs membres de la famille qui va dire « ma fille » pour désigner sa nièce, sa petite fille, par exemple, sa cousine, mais on va l’appeler ce terme-là parce que justement les enfants ont une importance très grande dans les communautés. Ce sont les générations futures. Ce sont des êtres purs qu’on veut justement bien… qu’on veut voir progresser bien dans le monde. Il y a ces notions-là de partage. Les communautés autochtones en général ont cette notion-là de vouloir partager autant leurs traditions, leur langue, leur culture. Mais partager, être très accueillant. Donc je pense que ça pourrait être vu par certaines provinces, mais en général, dans le cadre par exemple de l’immigration ou on pourrait être un peu plus accueillant. Mais bon, ça, c'est un autre débat qui n’est pas le mien. [00:38:49]

                            Je dirais, y a beaucoup de valeurs, beaucoup de choses qu’on peut apprendre des Premières Nations. La médecine traditionnelle, par exemple, où justement l’aspect scientifique sur l'environnement où on minimise beaucoup les connaissances traditionnelles ancestrales, quand elles devraient être vues de manière égalitaire avec les connaissances scientifiques. Parce que, justement, y a beaucoup de connaissances scientifiques qui ont été empruntés et même volées beaucoup aux communautés autochtones. Donc je pense que quand c'est fait d’une façon où ça respecte les droits de propriété des communautés autochtones ou des aînés, je pense que c'est important de reconnaître ces connaissances-là ancestrales, autant au niveau de la médecine qu’u niveau des connaissances par rapport au cycle de vie de certains animaux. Bref, le droit autochtone, ça va de… [00:39:47]. 

Animatrice :        Bien oui c'est ça. Ça touche à beaucoup de choses en fait. Puis, même aussi tu parles, tu l’as brièvement mentionné, mais les aînés aussi, moi que je trouve qu’il y a un respect beaucoup plus grand pour les aînés, pour la connaissance des aînés, mais aussi de s’occuper de nos aînés, puis de les écouter. Je trouve qu'on perd beaucoup, qu’on gagnerait beaucoup en fait si on prenait plus exemple sur les Premières Nations et les communautés autochtones en général. 

Marie-Claude :    C'est vrai, surtout avec nos apprentissages très malheureux suite à la pandémie. Je dirais que les aînés dans les communautés autochtones ont été beaucoup moins gravement touchés. Il y a deux aspects par contre, il y a beaucoup de surpeuplement dans les maisons, donc il y a beaucoup un manque de logements dans les communautés autochtones. Mais souvent on va voir dans une maison autochtone peut-être deux ou trois générations dans la même maison. Ça peut même aller un peu plus, quatre ou cinq générations. L'aîné va toujours avoir un rôle très important dans la maison, il y a toujours un respect des aînés incroyable. Ça, je dirais que ce serait généralisé, on peut généraliser cette valeur. 

Animatrice :        On peut généraliser. Bien merci vraiment. Si tu es à l’aise avec ça, je passerais peut-être à un côté un peu plus personnel. Parce que je dois dire que tu es vraiment une inspiration, puis juste quand tu parlais tantôt de la Loi sur les Indiens, tu le vis. On peut quand même penser que de devenir avocate au Canada quand on est une personne innue ou une personne de Première Nation, ça ne doit pas être toujours facile. On comprend ou on apprend beaucoup l’aspect très colonisateur, on voit c'est quoi les crimes et les injustices commis envers nos ancêtres. Mais aussi, pas besoin de parler au passé, on peut parler au présent tout à fait. Puis on se rend compte que finalement par exemple tu parlais qu’il y a une tentative d’avoir un système de justice à l’extérieur carrément du système de justice canadienne parce que justement c'est tellement colonialiste ça ne répond tellement pas à tous les besoins. Puis déjà que bon, moi-même étant avocate, je sais que c'est un travail qui peut être difficile au plan intellectuel, mais dans ce cas-ci, il y a aussi un aspect émotionnel parfois qui… ou même un côté genre euh... je ne sais pas, se dire que mon Dieu, notre système de justice n’a juste pas de bon sens. Est-ce que tu pourrais partager avec nous quelles ont été et quelles sont tes stratégies pour garder ta passion que tu as manifestement et que tu nous transmets. On est à distance et je vois que tu es très passionnée. Puis ton goût de travailler avec notre système de justice actuel. 

Marie-Claude :    Ma volonté première c'est de ne rien prendre pour acquis et de toujours penser en dehors de la boîte. Ce qui m'a vraiment attiré à travailler dans le cabinet de Maître James O’Reilly, c'était vraiment de se dire qu’il faut penser en dehors de la boîte et de façonner le droit. Parce que le droit autochtone est un droit qui est relativement très jeune et il y a beaucoup de questions qui demeurent sans réponses. Donc c'est vraiment les avocats en plaidant devant le juge, en écrivant des procédures qui essayent de convaincre le juge de prendre certaines positions qui peuvent être celles qu’on défend. Moi, dans notre cabinet, on défend uniquement des communautés autochtones ou des autochtones, des membres. Et c'est un peu ça qui me passionne, dans le sens que je veux arriver, je veux travailler à essayer d'améliorer le droit, mais en gardant les pieds sur terre. Je ne vais pas révolutionner tout, mais… d’essayer d’apporter, plus d’être un acteur de changement dans le droit canadien. 

                            Parce qu'une des grandes difficultés, c'est ça, c'est que souvent il faut expliquer aux juges aussi c'est quoi le droit autochtone. Parce que ce n'est pas vrai que les juges savent c'est quoi les arrêts de principes en droit autochtone. Au-delà de plaider notre argument, par exemple, il faut déjà enseigner, en tout cas expliquer aux juges c'est quoi les arrêts de principes, c'est quoi par exemple le devoir de consultation, l’arrêt aidant, pour essayer de prouver notre point et d’avoir un jugement en notre faveur. C'est sûr que c'est pas facile non plus, il y a des défaites. Mais je pense qu’on est dans une époque où il y a beaucoup de changement, depuis les cinq, dix dernières années il y a eu quand même deux commissions d'enquête, Vérités réconciliation, le mouvement Idle No More, y a eu la Commission d’enquête sur les femmes disparues et assassinées, la Commission Viens. 

                            Ces commissions-là viennent quand même sensibiliser la population en général sur certains enjeux. En même temps, je pense qu'il y a encore beaucoup de chemin à faire. Mais ce qui me motive tous les jours, c'est de faire… de plaider devant un juge, en étant autochtone et en parlant du cœur, essentiellement, de plaider avec mon cœur pour venir le sensibiliser sur c'est quoi la vision innue, la perspective autochtone, sur certains enjeux qui lui en tant que non autochtone doit trancher. Vis-à-vis, par exemple les gouvernements ou euh... souvent nos ennemis c'est… pas ennemis là je dis ça comme ça, mais souvent les personnes, les défendeurs c'est Hydro Québec ou les compagnies minières ou quoi que ce soit. Mais, c'est vraiment de sensibiliser le juge et de rédiger les procédures de manière à ce que le droit évolue. Puis de ne pas prendre pour acquis… un des éléments de droit que je trouve encore aberrants c'est toute la question des droits ancestraux. 

Ils sont reconnus, donc les droits ancestraux sont reconnus constitutionnellement dans la Loi constitutionnelle de 1982 par l’article 35. Donc, la Loi la plus importante du pays reconnaît que les Premières Nations ont des droits ancestraux, qui comprend, dans le fond, le titre ancestral, là je ne rentrerai pas là-dedans, mais qui est un peu l'équivalent d’un titre de propriété d’un non autochtone sur sa maison et son terrain, mais avec beaucoup de distinctions. Donc, on reconnaît que ces droits existent, qu’ils sont préexistants, mais par contre, s’ils ne sont pas reconnus dans un traité ou s’il n’y a pas de jugement qui définit que telle Première Nation a tels droits ancestraux, ils ne sont pas respectés. C'est comme si ces droits-là existent dans les airs, mais légalement ils ne sont pas respectés par les compagnies ou les gouvernements. Les Premières Nations, pour les faire respecter, doivent entreprendre des procédures judiciaires pour les faire reconnaître judiciairement. Et, c'est eux, les Premières Nations qui ont le fardeau de la preuve. De faire reconnaître, par exemple, un droit territorial, de faire reconnaître qu’ils occupaient ce territoire-là si c'est un droit ancestral de pêche, par exemple, avant l’arrivée, à l’arrivée des Européens. Que leurs ancêtres pêchaient là et que c'était une coutume, pratique et tradition qui était distinctive pour leur communauté.

Tandis qu’on le sait, quand les Européens sont arrivés au Canada, ben il y avait des Premières Nations. Donc, pourquoi le fardeau de preuve n'est pas inversé? Pour moi, je trouve ça aberrant. Quand j'explique cet aspect-là du droit dans les communautés autochtones, ils trouvent ça aberrant eux autres aussi. Mais malheureusement, c'est ça le droit canadien. Et je pense que ça peut quand même changer, on peut renverser cet aspect-là, puis ça peut être ma… je pense que c'est une de mes motivations aussi pour essayer de faire changer le droit, pour que les droits qui sont reconnus, encore une fois, pas la Constitution canadienne, soient respectés en tant que tel. 

Animatrice :        D’où vient cette décision-là que le fardeau soit à la personne qui doit prouver que ses droits ancestraux étaient là, en fait c'est quoi, c'est la pratique?

Marie-Claude :    C'est des jugements de la Cour suprême du Canada. 

Animatrice :        Vraiment c'est ces lois-là. 

Marie-Claude :    Non, mais qui définissent les critères pour que les Premières Nations et les Inuits puissent faire reconnaître leurs droits ancestraux territorial, c'est souvent en lien avec le territoire. Ou, les Premières Nations ont entrepris des procédures pour faire reconnaître un droit de pêche, un droit de chasse, un titre ancestral. Et pour donner une idée, il y a beaucoup de Premières Nations qui ont essayé de se rendre… qui ont entrepris des procédures judiciaires devant les tribunaux pour essayer de faire reconnaître leurs droits ancestraux qui comprennent le titre ancestral. Et il y a une seule communauté autochtone à ce jour qui a réussi à faire reconnaître leur titre ancestral, c'est les Tsilhqot’in puis c'est en 2016.

                            Donc, on s’entend que c'est une charge de preuve qui est très importante. Il faut aussi avoir des juges qui comprennent, qui ont cette sensibilité-là, qui comprend. C'est souvent des jugements quand on fait une procédure qui revendique des droits ancestraux, c'est souvent des jugements qui vont se rendre à la Cour suprême, mais c'est dur. Et on s’entend que les communautés autochtones il y en a. On a beaucoup de commissions d’enquête qui en parlent, c'est factuel. Ils sont souvent sous-financés, ils ont de la misère, on a des problèmes de logement de pauvreté. On a des enjeux au niveau de la santé et de l’éducation. Donc, avant que des communautés autochtones mettent l’argent qu'ils peuvent dans des procédures judiciaires, ils vont plutôt choisir de la mettre dans des aspects plus sociaux, communautaires. 

                            Donc, ça amène un cercle vicieux. Leurs droits ne sont pas respectés dans leur territoire, donc leur territoire est tranquillement, tranquillement exploité par des compagnies minières, ou peu importe. Donc, mais leurs droits ancestraux ne sont pas respectés. Je prends un petit deux minutes aussi pour expliquer que y a quand même une distinction qu’il faut faire à travers le Canada, parce que c'est vrai que l’auditoire est à travers le Canada. Pour les communautés autochtones, il y a au Québec et beaucoup en Colombie-Britannique, où y a beaucoup de communautés autochtones que leurs droits ancestraux ne sont pas, dans le fond, définis ni par traités, ni par un jugement. Donc, sinon dans les territoires comme l’Ontario, l’Alberta, donc les territoires des prairies, ils sont couverts par les traités dits les traités numérotés, donc les traités qui ont été signés en 1800. Dans ce cas-là, ce sont des droits issus de traités. 

                            Ce qu’il faut comprendre, c'est qu’au Québec et en Colombie-Britannique, il n’y a pas eu de traité numéroté. Donc, au Québec ça va être des traités modernes, donc on parle souvent de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, et la Convention du Nord-Est québécois, mais ces conventions-là touchent seulement trois communautés autochtones sur onze. 

Animatrice :        OK, finalement c'est moins reconnu au Québec les droits ancestraux. 

Marie-Claude :    Oui, au Québec il y a encore huit communautés autochtones qui n'ont pas… non c'est ça, que leurs droits ne sont pas définis ni par traités, ni par jugement. 

Animatrice :        OK, donc il y a encore beaucoup de travail à faire, mais on se sent en confiance quand on t’entend par contre de savoir qu’il y a des gens comme toi qui travaillent sur ça. Là je sais qu’on a dépassé notre temps, mais quand tu dis « sensibiliser », j’ai un peu l’impression aussi des fois que… parce que, moi je travaille beaucoup sur les violences sur le genre, les violences sexuelles. Le gros enjeu, c'est des fois on se dit [00:53:06] une formation peut mener bien loin. Donc, des fois, juste de former les juges, une obligation de les former sur le droit autochtone, puis les sensibiliser à ça, puis les sensibiliser aux réalités, je pense que ça pourrait déjà être sûrement bénéfique. Ce serait peut-être à ajouter dans le cursus des juges, des formations obligatoires, ça pourrait être très bien. 

Marie-Claude :    Oui, certainement. Souvent, comme on arrive devant des juges pour des injections interlocutoires, donc c'est des mesures qui doivent être prises la journée même ou une ou deux journées après pour, par exemple, empêcher la déforestation d’une partie du territoire. Mais lorsqu’on arrive devant un juge pour une mesure qui doit être prise de manière urgente et que le juge ne comprend pas nécessairement, qu’il n’a pas lu, n'est pas au fait des derniers jugements de la Cour suprême sur les droits autochtones, c'est sûr que les communautés autochtones partent un, deux, trois pieds en arrière comparativement à la compagnie forestière ou les gouvernements qui vont toujours plaider l’intérêt commercial, l’intérêt général. C'est sûr qu’une formation, en général, obligatoire pour l'ensemble des juges pourrait être plus que bénéfique. 

Animatrice :        Oui, plus qu’essentiel. 

                            Écoute, merci beaucoup. J'aurais une dernière question si tu veux bien, en une ligne, je sais que c'est une question qui peut revenir parfois quand on est plus jeune. Qu'est-ce que tu dirais à quelqu'un, un étudiant ou une étudiante qui nous écoute, qui aimerait se spécialiser dans le droit autochtone, est-ce que tu aurais un conseil, quelque chose à dire, un go to… quelque chose à faire, un mot de la fin pour quelqu'un qui nous écoute et qui est encore à l'école pis qui aimerait bien aller se spécialiser en droit autochtone. 

Marie-Claude :    Oui bien c'est sûr que je pense qu’on est vraiment à la croisée des chemins en ce moment pour les peuples autochtones puis leurs revendications. Donc c'est sûr que ce serait d’aller dans les communautés, de profiter de certains festivals. Maintenant ils font la route du pow-wow, donc d'aller dans les communautés pour leurs différents festivals, d’apprendre à les connaître. D’apprendre d’où ils viennent, leur histoire, pour essayer de s’imprégner un peu de leurs connaissances pour pouvoir les soutenir les appuyer dans leur démarche. Parce que ce qu'il faut comprendre aussi c'est qu’il ne faut pas y aller avec l’idée : « ah moi je vais sauver les peuples autochtones », ou «  je suis le… », non c'est ça. Il faut surtout décoloniser nos propres pensées. Je pense que c'est ça le plus important parce que ce qu'il faut se rappeler, c'est que les peuples autochtones n’ont jamais été conquis, donc ils sont indépendants et autonomes. Chaque communauté autochtone a son propre ordre juridique, puis ils marchent selon leurs… leurs pas, leur tempo, leur autonomie et ils vont avoir besoin d’alliés, mais d’alliés qui sont des bons alliés. Donc, qui ne veulent pas faire leurs choses à leur place, mais qui vont plutôt les aider à être… donc les appuyer leur donner des outils pour justement être autonome, s’autodéterminer. Autant au niveau de l’éducation, de la protection de la jeunesse, en famille, dans le territoire, ce serait vraiment d’apprendre, de s’informer sur tous les enjeux qui se passent. Aussi on a la Loi C92, la Loi fédérale qui se rend à la Cour suprême justement. Donc, de s’informer sur ces différents enjeux-là. 

                            Puis moi, c'est sûr qu’il y a quelque chose aussi qui me passionne. On parlait de différence avec les genres. En tant que femme, je pense que c'est important aussi de sensibiliser l’enjeu du territoire, je dirais, puis aussi en tant que femme avocate autochtone, je pense qu'on n'est pas beaucoup aussi, puis dans le domaine du droit autochtone, dans le domaine du droit juste en étant femme avocate je pense qu'on  a de nombreux défis encore à ce jour à trouver notre place et à faire respecter qu’on a notre place dans le domaine. Donc c'est surtout de ne pas avoir peur de ce qu’on sait, d’avoir confiance en nous, puis de ne jamais se faire rabaisser, de ne jamais se dire que notre voix est moins importante qu'une autre voix ou celle d’un homme. Parce qu’au contraire, je pense qu’en tant que femme, on a une vision beaucoup plus, je dirais maternelle, dans le sens qu’on pense à beaucoup d’enjeux en même temps puis on est capable de naviguer encore mieux que souvent les hommes si on compare. Mais euh.... je dirais que de ne pas se faire euh... je ne sais pas comment le dire, mais de… 

Animatrice :        Oui, de ne pas se faire intimider ou manger la laine sur le dos. 

Marie-Claude :    Oui, c'est ça. Exactement. 

Animatrice :        Écoute, je ne pourrais qu'être d’accord avec toi par rapport à ça. Je suis d’accord avec toi depuis le tout début, mais ça aussi effectivement, ne pas se laisser intimider et continuer. Mais je pensais aussi… je te dirais que je ne pensais pas seulement… aux personnes non autochtones, mais aussi des gens, des personnes autochtones qui étudient en droit, que ça intéresse, et qui veulent aller là aussi et qui veulent le faire, je pense que comme tu dis, de ne pas se laisser écraser. Je le redis, pour moi aussi. OK merci. 

                            Eille merci vraiment, sérieux, c'était super intéressant, genre, je ne peux que te remercier, et tous les auditeurs et auditrices te remercient également j’en suis certaine parce que c'était vraiment, mais c'était… je pense qu'on  a tellement appris dans la dernière heure. Merci de ton temps, on sait en plus que tu jumelais ça avec la famille là, [00:59:28], donc c'est vraiment apprécié, voilà merci beaucoup. 

Marie-Claude :    [00:59:32] merci à vous tous et je vous souhaite une agréable journée.