Nous recevons Me Frédéric Letendre du cabinet Yulex, pour discuter des processus de déconfinement et les innovations apportées depuis la pandémie.
Nous recevons Me Frédéric Letendre du cabinet Yulex, pour discuter des processus de déconfinement et les innovations apportées depuis la pandémie.
Me Frédéric Letendre est avocat, associé-fondateur de YULEX et agent de marques de commerce. Il est également administrateur et secrétaire-trésorier du Centre d’incubation et d’accélération en mobilité intelligente à Laval (CIAMIL) et chargé de cours à l’Université de Sherbrooke.
Deux outils utiles en ce temps de changements constants: Comment innover: L'avenir des petits cabinets et des juristes exerçant seuls et Guide pratique de gestion du changement.
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Animatrice : Vous écoutez Juriste branché, présenté par l’Association du Barreau canadien.
Katherine Provost: Bonjour et bienvenue à Juriste branché, je suis votre animatrice Katherine Provost. L'année 2020 n’a pas été de tout repos. Au moment de l’enregistrement de cet épisode, nous en sommes à la 19e, presque 20e semaines depuis que l’Organisation mondiale de la santé a déclaré la pandémie de la COVID-19. Dès le début les entreprises se sont rapidement digitalisées afin de pouvoir maintenir leur offre de service et continuer de soutenir leurs clients. Certaines ont relevé le défi haut la main, d’autres ont trouvé le confinement difficile. On ne peut pas dire que tous aient le même niveau de résilience. Et pour en rajouter, les provinces, chacune à leur façon, ont commencé à initier un déconfinement changeant encore les règles du jeu. De toute évidence, on ne pourra pas revenir à l’avant-crise. Nous devrons créer un nouveau normal.
Donc, comment les cabinets et les organisations peuvent-ils le faire et survivre à cette transition? Pour bien nous orienter et nous fournir des pistes de réflexion quant au rôle du marketing et de l’innovation dans les cabinets après le déconfinement, j’ai le plaisir de discuter aujourd'hui avec Maitre Frédéric Letendre, du cabinet Yulex situé à Montréal. Maitre Frédéric Letendre est avocat, associé fondateur de Yulex et agent de marque de commerce. Au cours des 20 dernières années, il s’est spécialisé en droit national et international des affaires, en propriétés intellectuelles et en droit des technologies. Il est également administrateur et secrétaire-trésorier du Centre d’incubation et d’accélération en mobilité intelligente à Laval, le CIAMIL. Il est chargé de cours à l’université de Sherbrooke.
Bienvenue Maitre Letendre.
Frédéric : Bonjour, merci pour l’invitation.
Katherine : Ça fait plaisir. Entrons directement dans le sujet. Depuis le début de la crise, quels genres d’obstacles les clients ont-ils rencontrés?
Frédéric : Nos clients ont rencontré, bon évidemment, toute sorte d’obstacles. On a la chance au cabinet d’avoir une clientèle plutôt innovante. Nos clients sont des PME innovantes, 0-200 employés. En fait, on n’a pas beaucoup de clients de l’économie traditionnelle, de commerce de proximité : restaurants, boutiques de vente au détail, boulangeries, fleuristes. Ce ne sont pas nécessairement nos clients, on a des clients que je dirais plus innovants, plus technologiques. Donc, pour plusieurs ç’a été l’effet inverse que pour les entreprises plus traditionnelles. C'est-à-dire qu’ils ont eu tout d’un coup énormément de travail. Plusieurs ont dû répondre à une demande croissante du fait qu’ils vendaient ou offraient leurs services ou offraient leurs services, vendaient leurs produits en ligne. Ben là ils avaient une demande souvent plus importante.
Plusieurs ont pivoté, ce sont mis à produire des masques, imprimer des masques en 3 dimensions, développer des composantes pour des respirateurs, développer des… toute sorte de produits nettoyants ou des appareils nettoyants. Donc, ç’a été comme pour l’ensemble de la population, une grosse période d’adaptation, mais je dirais plutôt positive dans ce cas-ci parce que ç’a créé une belle effervescence.
Katherine : Avez-vous vu davantage de résilience chez certains clients que chez d’autres?
Frédéric : Oui! Définitivement, je vous dirais que dans l’ensemble de nos clients, y en a plusieurs, on a plusieurs clients manufacturiers qui ont dû faire des mises à pied importantes au début de la crise, jusqu’à trouver des nouvelles solutions ou des nouveaux produits ou pivoter, peu importe. Mais jamais, malgré ces difficultés-là, j’ai vu très peu de clients qui ont baissé les bras et qui ont abandonné. Donc, j’ai plutôt senti un esprit de collaboration, d’entrepreneuriat, de créativité. Que ce soit tant pour la survie de l’entreprise ou pour participer au combat de la COVID, ou tout simplement pour pouvoir continuer à nourrir les familles des employés. Donc, ç’a été, je vais rependre le terme de tantôt, une période effervescente de ce côté-là également.
Je ne vous dis pas que ç’a été facile, mais on a assisté, on a travaillé avec beaucoup de clients qui voulaient vraiment se battre et faire en sorte que ça fonctionne et passer au travers de la crise.
Katherine : Et, de votre expérience est-ce que vous pensez que ces clients-là qui voulaient se battre, qui avaient un désir de passer par-dessus ou même de s’adapter, est-ce que c'est des clients qui avaient d’atténuation des risques ou des plans de changement existants?
Frédéric : Certainement pas la majorité. Toute entreprise devrait avoir un plan de contingence, un plan B pis des réserves de guerre. Ça, c'est bien dans les livres, pis si on donnait cette réponse-là aux HEC on aurait une excellente note. Dans la vraie vie, ça ne se passe pas toujours comme ça et plus particulièrement auprès des plus petites PME. Pas beaucoup d’entreprises qui ont effectivement un plan B ou des plans en cas de catastrophe. Donc, il a fallu dans ce cas-ci inventer au fur et à mesure ces plans-là, mettre en place des nouvelles mesures, des nouvelles politiques, réfléchir à des nouvelles façons de faire également. Mais ç’a été de ce côté-là excitant, challengeant et très stimulant pour nous au cabinet, de pouvoir participer, en fait, à ces réflexions-là.
Katherine : Justement, comme on parle du cabinet, comment ça se passe chez Yulex en plein milieu de cette crise?
Frédéric : Ça se passe plutôt bien. Quand on a lancé, le cabinet y a 5 ans, on ne prévoyait pas du tout une crise de cette ampleur-là évidemment. Cependant on avait la chance de repartir à peu près à zéro en matière d’infrastructure. C'est-à-dire qu’on a fermé notre ancien cabinet et on a démarré cette nouvelle aventure-là qui est Yulex. Et, on a pu choisir notre infrastructure technologique et se faire plaisir dès le départ. Et, dans ce contexte-là, on avait déjà mis en place une infrastructure et une philosophie technologique qui permettait à tous de travailler en télétravail, de travailler de l’étranger. On fait partie d’un réseau international on a à se déplacer quelques fois par année. Il n’est pas rare que, par exemple pour ma part, je travaille presque un mois, si on devait combiner tous les jours, un mois à l’extérieur du cabinet, particulièrement en Europe. Donc ça nous prenait une infrastructure qui permettait ça. Donc, tant le choix des ordinateurs que le choix du serveur, de la partie qui allait être dans le cloud, des logiciels qu'on a choisis, tout était fait pour, sans le savoir, faire face à une crise comme celle-ci. Donc, lorsque la crise s’est présentée, le plus gros défi, ç’a été plus de s’assurer que tout le monde avait le bon matériel à la maison, beaucoup plus que de se soucier du back bone technologique. Donc, en 2, 3 jours tout le monde était placé à la maison, pis parfaitement fonctionnel. On n’avait plus de problèmes honnêtement de trouver le bon fil pour l’écran que de communiquer et d’avoir accès aux dossiers.
Katherine : Oui c'est ce que j’allais rajouter. C'est bien beau d’avoir l’infrastructure, mais du côté humain, comment est-ce que vous avez planifié? Est-ce que vous aviez des formations en ligne? Est-ce que vous aviez des… une équipe technique qui était sur appel pour pouvoir répondre aux questions de vos collègues et de vos clients?
Frédéric : Bon, je vais donner une belle réponse d’avocat, « oui et non ». Comme je l’expliquais, depuis 5 ans on travaille en partie avec tous ces outils de collaboration. Par exemple, ça fait au moins 3 ans qu'on utilise Team et Zoom. Donc, quand tout ça est arrivé, Zoom on était très très familier.
Katherine : Vous étiez en avant de tout le monde.
Frédéric : Ben, je sais pas si on était en avant de tout le monde, mais on les utilisait, pis on teste beaucoup de nouvelles technologies, nouveaux logiciels, nouvelles plateformes, on essaye beaucoup de choses. Et Zoom pour nous avait été une révélation, tellement, que la première année, les deux premières années du bureau on utilisait plutôt Skype et on a carrément laissé de côté Skype y a trois ans pour passer sur Zoom. Et, les plus geek du bureau travaillaient déjà sur une base régulière sur Teams depuis 2, 3 ans. Le changement n’a pas été si pénible. Et, également, on écrit beaucoup de processus, en fait, on décrit beaucoup de choses dans notre intranet au bureau, ce qui fait que si quelqu'un a une question sur une technologie quelconque sur une façon de faire ou un processus, ben, y a accès facilement. On a développé une banque de savoir important depuis 5 ans. Les gens peuvent s’y référer de n’importe où sur la planète, on l’a placé sur notre plateforme Office 365, dans un des logiciels. En fait, on a développé un intranet share point qui est accessible à tout le monde où toutes les informations du bureau sont centralisées.
Donc effectivement, lorsqu’on a dû le faire, on a eu des mises à niveau à faire. C'est pas tout le monde qui était super familier avec Teams. On a donné comme instruction par exemple, lorsque tout le monde a été placé en télétravail, toutes les communications internes, toutes les communications entre l’équipe, donc la vingtaine de membres d’équipe de Yulex, ça devait se faire via Teams, pour libérer Outlook et conserver Outlook que pour les communications avec l'extérieur. Pour pouvoir concentrer en fait, pour pouvoir arbitrer les contenus et retrouver plus facilement les informations par dossier. Parce qu’à un moment donné ça s’est mis à exploser, tous les clients avaient des questions en même temps et ç’a été euh... le premier mois, ç’a été la folie. Ça faisait longtemps qu'on n’avait pas travaillé aussi fort et des journées aussi longues. Donc, il fallait trouver une façon de ne pas être submergé par notamment les courriels.
On a séparé en deux les communications et ç’a allégé beaucoup. Ça permet aussi de classifier l’information par dossier, par groupe, par thème peu importe, et de garder Outlook que pour les communications avec les fournisseurs, les clients ou autres. C'est juste une question de s’habituer et ça, c'est le genre de truc qui va rester même après la crise.
Katherine : Oui, ça, c'est certain, c'est maintenant des outils que vous avez acquis, que vous avez appliqués.
Frédéric : Oui.
Katherine : Tout le monde est à l’aise avec.
Frédéric : Maintenant oui.
Katherine : Vous avez souligné, vous avec quand même soulignez quelque chose d’important, vous avez dit que vous aviez fait de très grosses journées.
Frédéric : Oui
Katherine : Soudainement vous aviez beaucoup de pression aussi de vos clients pour répondre à la demande.
Frédéric : Oui
Katherine : Comment est-ce que vous avez fait au niveau humain pour gérer tout ça? Est-ce que vous avez obligé des… certains de vos collègues à prendre des congés, à réduire leurs heures? Est-ce que vous aviez mis une limite de temps qu’une personne peut travailler par jour? Parce que ça devient quand même très demandant éventuellement sur le mental et sur le physique aussi de faire des journées comme ça.
Frédéric : Exact, exact, non c'était… bon. De « un », je ne pense pas qu’on devienne avocat ou qu’on travaille en pratique privée pour faire du 9 à 4, déjà. Deux, les gens le savent… on fait le travail quand il se présente et on répond aux clients en fonction des besoins. Là y avait plus de besoins. On était mi-mars, y en a qui venaient de prendre une semaine de relâche, qui venaient de faire des longs week-ends de ski ou peu importe. Donc, les gens avaient quand même de l’énergie, puis je dirais qu’on a réussi à bâtir une équipe à travers les années. Une équipe qui est très commise, qui est très dédiée à Ylex. Tout le monde s'y retrouve et tout le monde veut que Yulex réussisse à l’interne. Donc, dans ce contexte-là, on n’a pas eu à sortir le fouet, et ça n’a pas été bâton/carotte. Les gens volontairement faisaient ce qu’ils avaient à faire, demandaient s'ils pouvaient contribuer d’une façon ou d’une autre les gens étaient compréhensifs également. On n’a pas fait aucune mise à pied, on n’a pas eu à faire ça. On n’a pas réduit les salaires, tout le monde a maintenu son salaire, tout le monde a maintenu ses heures.
Et tout le monde s’est adapté aussi, parce que… je pense entre autres à notre tour de contrôle, c'est pu une réceptionniste, c'est plus une tour de contrôle. Elle fait pas mal tout, pis tout passe entre ses mains. Mais dans ses tâches y a une partie importante qui sont des trucs physiques : recevoir les clients, s’occuper des salles de conférence, classer des dossiers, s’occuper des messagers, des huissiers, y a un truc très manuel. Évidemment de chez elle, elle ne pouvait plus faire ça. Donc, on lui a fait faire d’autres choses. Et c'est dans des moments comme ceux-là aussi qu’on découvre certaines qualités ou certaines aptitudes des membres d'une équipe. Et y a des gens qui se sont mis à faire d’autres choses que leurs tâches habituelles, parce qu’on a découvert des aptitudes qui était tout à fait pratiques et je dirais même nécessaire dans un contexte comme celui-là. Donc a eu de très très belles surprises.
Katherine : Vous avez l’air de dire vraiment que la culture de l’entreprise c'est presque ce qui a fait en sorte que ç’a bien fonctionné, en plus de la technologie.
Frédéric : Oui
Katherine : Est-ce que vous pouvez m’en dire un pu plus, est-ce que c'était vraiment un effort de créer cette culture d’entreprise là? De créer cette solidarité? Ou c'est venu simplement en créant Yulex, en allant chercher les bonnes personnes?
Frédéric : Yulex est né de la volonté de vouloir faire les choses autrement, de vouloir faire un bureau en fonction de nos valeurs intrinsèques. Et chez les 4 associés, l’humain est au cœur de nos préoccupations. Et donc, on trouve des gens qui ont des valeurs similaires, qui sont complémentaires les uns aux autres, qui vont bien d’intégrer dans une vision comme celle-là. Je pense qu’on traite bien nos employés, les employés participent quand même à la vie du bureau, on a une politique de porte ouverte, n'importe qui peut aller voir n'importe quel associé et parler d’à peu près n'importe quel sujet, de proposer un projet… critiquer positivement des choses qui se font déjà et apporter d’autres solutions. Tout le monde peut trouver sa place, et ça, je pense que les gens l’apprécient énormément.
On offre aussi une certaine flexibilité, comme je l’expliquais un petit peu plus tôt, sans avoir une culture de télétravail pour nous, c'était relativement facile si quelqu'un nous disait : « je peux-tu travailler de la maison aujourd'hui? » ou « j’ai un truc à faire qui va durer deux jours, c'est plus efficace si je le fais de chez moi », y avait pas de problèmes. On fournissait l’ordinateur, le réseau était là, y avait accès au serveur, aux dossiers. Nous tout ce qu’on demande c'est : soit joignable le jour. Et avec l’ensemble des plateformes informatiques qu’on utilise, on le voit si quelqu'un travaille ou pas. Et on n’a jamais eu à taper sur les doigts de personnes. Pourquoi? Parce que les gens sont commis et participent au grand projet.
Katherine : Donc, de toute évidence, vous aviez déjà tout ce système-là en place avant la crise.
Frédéric : Oui
Katherine : Vous avez quand même aidé vos clients à transformer leur environnement. En ce moment ce qu'on voit c'est qu’il y a une révolution au niveau de la façon de travailler. Les gens se sont habitués à un niveau normal, que ce soit avec le télétravail ou avec les heures flexibles. Maintenant qu’on approche, qu’on espère approcher au déconfinement, comment est-ce qu'on doit se préparer à cette après-crise. Est-ce qu’on doit garder ces mesures? Est-ce qu'on peut meme en rajouter? Même si le déconfinement s’en vient, on va revenir au bureau prochainement.
Frédéric : Je pense que déjà y a une grande différence entre les centres-villes et tout ce qui ne serait pas un centre-ville. Par exemple, nous on est situé dans le Vieux-Montréal, on peut facilement monter à pied à notre bureau, on est au 4e étage, donc on n’a pas de contrainte d’ascenseur par exemple. Tandis qu’au centre-ville, y a plusieurs grosses entreprises, des cabinets d’avocats ou autres, qui ont déjà informé leurs employés qu’il n’y a pas de retour physique au bureau avant novembre, décembre, janvier là. Parce que t'es limité à par exemple 4 dans un ascenseur. Mais faites jutes imaginer Place Ville-Marie centre-ville de Montréal, si on monte seulement 4 personnes à la fois combien de temps ça va prendre pour monter tout le monde, c'est impossible. La journée va être finie pis tout le monde n’aura pas encore monté. Donc ça va nécessairement prendre des ajustements.
Par la suite, on a aussi une demande des employés qui est de dire : ben, écoutez, vous nous dites que ça fonctionnement relativement bien dans l'état actuel, pourquoi je retournerais moi… me compresser dans le métro, l’autobus, me taper deux heures de trafic par jour, pour aller faire la même job que je peux très bien faire chez moi. Donc ça va poser énormément de questions sur l’organisation physique du travail. Je lisais un article récemment dans la Presse qui citait un sondage mentionnant que y a seulement 8% des employés interrogés qui voulaient revenir à 100% au travail, en fait, physiquement au travail. On a démontré que dans plusieurs industries, par exemple le juridique, ça va relativement bien travailler à distance. Ça créé d’autres problèmes c'est pas 100% efficaces, mais on est évidemment beaucoup moins affecté que quelqu'un qui est sur une chaine de montage.
Katherine : On parle beaucoup de retourner au travail, là vous avez dit qu'on ne retournerait pas avant, probablement, novembre, décembre, janvier?
Frédéric : Oui, pour les plus gros.
Katherine : Pour les plus gros, ce qu'on fait souvent dans le monde du bureau, on va se le dire, c'est qu’on fait des leçons apprises, on fait des appels, des meetings sur qu'est-ce qui s’est bien passé, qu'est-ce qui s’est moins bien passé.
Frédéric : Oui
Katherine : Est-ce qu'on devrait attendre le retour complet au travail pour faire ce genre d’exercice ou on devrait les faire dès maintenant et continuer d'appliquer ce qui marche à long terme?
Frédéric : Je pense qu’on doit à tout le moins faire le point. Les décideurs doivent faire le point sur une base relativement régulière, si ce n’est pour voir ce qui marche et ce qui ne marche pas, de un. Deux, comprendre la règlementation qui change à toutes les semaines aussi là. Et voir qui prend quelles mesures, la Ville de Montréal semble vouloir inciter les gens à revenir tranquillement au centre-ville et aimerait, si je ne me trompe pas, que 25% des employés réintègrent leur bureau. Oui, mais, y a plein d’autres mesures à mettre en place aussi. Je pense que c'est un work in progress. C'est-à-dire, que la réflexion va se faire en même temps que la crise va se résorber.
Un, deux, y a des décisions parfois à prendre tout de suite, je pense à nous, à l’exemple de Yulex, on doit exercer certaines options sur des locaux, sur notre étage. Ben c'est pas dans un an et demi que je peux le faire, j’ai une date butoir pour décider si je prends ou pas plus de pieds carrés. Donc, nécessairement on doit réfléchir et nous on fait le point aux deux ou trois semaines : comment ça marche? Est-ce que ça, ça va bien? C'est quoi la réaction des employés? Qui veut revenir? Qui ne veut pas revenir? C'est quoi la tendance? Là le masque est obligatoire dans les espaces publics, ça l’a amené une espèce de… pas de calme, mais ça l’a baissé un peu la pression sur l’ensemble des employés qui n’avait pas peur de revenir au bureau, ils ne voulaient pas prendre les transports en commun. Donc avec le masque à peu près obligatoire, là les gens se sentent déjà plus en sécurité. Ça va ramener certains vers les grands centres. Je pense aussi que la réalité est très différente entre les grands centres comme Montréal, versus les plus petits centres, les plus petites villes, les villages, les régions à l’extérieur qui au Québec, plusieurs régions n'ont même pas été touchées par la COVID. Donc, dans ce contexte-là, je comprends que la règlementation s’applique à peu près partout pareil, mais y a certainement des régions qui vont être déconfinées totalement bien avant Montréal. Donc, là aussi ça va se faire en étape nécessairement.
Katherine : Donc, en soi, il faut prendre le pouls assez souvent et s’adapter : on est en ville, on est en région, c'est quoi les règlementations qui s’appliquent à nous.
Frédéric : C'est ça.
Katherine : On est en train de vivre plein de changements, éventuellement y va y avoir un déconfinement. Mais vous personnellement, ou avec vos clients aussi, en sortant de la pandémie, quels genres de bénéfices ou de changements positifs aimeriez-vous voir?
Frédéric : Je te dirais que… on a déjà commencé à mettre en place des changements qu’on voulait voir, sur lesquels on avait déjà commencé à travailler prépandémie. Y a des choses auxquelles on a été confronté pendant la pandémie. Je te dirais que dans les choses qu'on va garder y a définitivement plus de vidéoconférences. Autant le confinement nous a éloignés physiquement, ç’a été très dur pour plusieurs, autant ça nous a rapprochés nous de nos clients internationaux, on a beaucoup de clients à l’étranger. Avant on faisait souvent un appel conférence classique. On prenait la pieuvre pis on se loguait à un numéro et c'était ça. Maintenant on utilise Zoom ou Teams de plus en plus et là on est capable de se voir. Et, le fait que tout le monde soit confiné autour de la planète, ben, on est dans le salon de la personne, dans la salle à manger, sur le patio. On rentre un peu dans l’intimité de la personne. Et, pour plusieurs, ç’a créé des liens plus chaleureux que le simple appel téléphonique corpo, pas froid, mais plus traditionnel.
Katherine : Mais c'est plus humain de nous voir dans nos environnements personnels à la maison.
Frédéric : Exact. Et ça, j’ai beaucoup beaucoup aimé ça.
Katherine : On a parlé beaucoup de technologie jusqu’à maintenant, de vidéoconférence, de share point de toutes innovations technologiques. Mais, est-ce qu'il y a d’autres innovations qui ne sont pas technologiques qu’on devrait continuer d’inclure dans le grand changement qu’on vit et dans l’après-crise?
Frédéric : Bien, je pense que ça va être une réorganisation du travail. Si y a une chose qui n’est pas technologique que je peux entrevoir ou en tout cas que j’anticipe, c'est d’organiser le travail pour permettre plus de télétravail. Et ça, je pense que ça va être un changement important si ce n’est que de permettre aux gens de travailler une journée par semaine de la maison, ben y faut déjà s’organiser en conséquence. Ça va faire moins de gens sur les routes, moins de gens dans les transports en commun, ça va être très bénéfique pour l’environnement. Je pense qu’on va avoir des gens plus reposés aussi, plus dispos mentalement. J’ai eu beaucoup de discussions avec des chefs d’entreprises et plusieurs disaient : « ah oui, mais je ne peux pas nécessairement permettre ça, parce que les gens vont faire leur lavage au lieu de travailler, pis bon. »
De un, on constate que c'est pas si vrai, ils ne font pas leur lavage au lieu de travailler, mais ils peuvent faire leur lavage en travaillant. Et je reviens à la technologie, mais veut veut pas, si on veut travailler à distance ça prend un minimum de technologie. C'est beaucoup plus facile maintenant même d’avoir un appel conférence ou un Zoom dans votre téléphone, avec vos écouteurs, vous vous mettez sur mute, puis, vous faites votre lavage, supposons, ça n’empêche pas que vous êtes là, vous êtes dispo. Ça permet de la formation en ligne, ça permet un paquet d’autres trucs qu’on peut coupler des tâches qu’on faisait à la course ou qu’on faisait le week-end avant. Là on peut répartir ces tâches-là sur 3 jours au lieu de 2, sans nécessairement faire moins d’heures parce que on perdait deux heures en transport, que ce soit… et là je parle évidemment de Montréal ou des plus grands centres.
J’imagine que les gens à Saguenay ou à Rimouski sont en train de rire pliés en deux sur leur chaise, ils ne perdent pas deux heures dans le trafic, j’imagine. Mais, c'est la réalité des grands centres. Sur ces deux heures-là qu’on récupère ben peut-être qu’y a une partie de ces deux heures-là qu’on ne travaillait pas qui va être converti en travail, donc ça va être bénéfique pour l’organisation. Et deuxièmement, on a des gens qui sont plus disponibles, plus reposés, moins stressés peut-être. Et donc, ça, ce n’est pas technologique, mais je pense que ça va imposer une réorganisation du travail.
Katherine : Moi ce que j’entends, c'est que vous recommandez aux employeurs d’être simplement plus flexibles avec leurs employés.
Frédéric : Exact.
Katherine : Et d’accepter qu’on est capable justement d'être productif et même polyvalent, de faire plusieurs choses en même temps.
Frédéric : Oui.
Katherine : Que ce soit d’être sur appel téléphonique en train de faire sa vaisselle ou d’aller chercher ses enfants ou peu importe.
Frédéric : Oui, et là, je vais m’avancer un peu et je vais peut-être me faire pitcher des œufs et des tomates, mais tsé dans certains cabinets y a une culture du présentéisme qui est très très mauvaise. Où, tu ne peux pas partir avant ton poste, tu peux pas partir avant l’associé machin, tu peux pas… bon. Alors que t’as pu rien à faire au bureau. Ben, je pense que cette réorganisation du travail va peut-être un peu pallier à ça et c'est pas parce qu'on n’est pas au bureau physiquement qu’on n’est pas disponible pour faire de la job. Et, une période comme celle-ci a permis de réaliser ça. Honnêtement, on a eu plusieurs urgences dans les trois ou quatre derniers mois, veut veut pas on gérait des crises. Je n’ai jamais eu pas accès à quelqu'un de mon bureau. Même si on était tous très loin les uns des autres, une, étant même à Gatineau, l’autre Sept-Îles, puis tout le monde à part ça réparti je dirais dans le grand Montréal, un à Bromont. On travaillait relativement bien et j’ai jamais senti qu'on ne pouvait pas desservir le client, ou servir le client en fait.
Je pense que c'est ça. C'est de réaliser que ça peut se faire, les moyens technologiques sont là, c'est juste une question de mentalité. De dire, ben de un, je fais confiance à mes employés, je leur offre un environnement de travail sain et ils ont le goût de contribuer. Ils ont confiance en moi, j’ai confiance en eux et on met les outils nécessaires en place et on met des politiques aussi en place. Je pense à certaine… une institution financière entre autres que je ne nommerai pas, lorsque la crise s’est déclarée, ils ont dit : bon ben tout le monde télétravail et tout ça. Et, une des règles qu’ils s’étaient fixées, c'est de dire : regardez, si on essaye de vous joindre trois fois dans la journée pis que vous ne répondez pas, ben on va considérer que vous êtes en congé, ou tsé on vous donne une maladie ou congé. Cette journée-là t’es off, donc tu perds une journée de ta banque. Ben c'est à l’employé d’être dispo et d’être là.
Avec des plateformes comme Teams par exemple, c'est facile d’indiquer si on est là ou pas, pis Teams ben ça se place sur ton téléphone, ta tablette, ton ordi, t’es joignable partout quand il faut pendant le jour. Donc y a pas pour des… pour des bureaux d’avocats y a pas de raisons pour qu’on ne puisse pas le faire. Évidemment, pour ceux qui font du litige c'est déjà une autre question. Encore une fois les tribunaux sont en train d’assouplir certaines règles, ils sont en train de permettre des choses qu’ils auraient dû permettre, tant qu’à moi, il y a plusieurs années. Pis on va voir un virage technologique important qui va permettre d’alléger, ou en fait, de désengorger physiquement les tribunaux. Donc ça ça va être intéressant.
Katherine : Donc, la crise aurait… aura permis justement de révolutionner un peu le monde du droit et de la façon dont on pratique au jour le jour?
Frédéric : Je pense que oui parce que… déjà y a des consultations juridiques nécessairement qui se font en ligne, ce qui se faisait moins avant. Maintenant ça va se faire beaucoup. Les gens ont adopté plus facilement les signatures électroniques, les tribunaux et autres instances, ont commencé eux aussi à simplifier la façon de faire ou permettre les communications électroniques, des auditions électroniques. La Chambre des notaires aussi s’est adaptée, le gouvernement s’est adapté aussi dans une certaine mesure. On n’avait pas le choix. Y a une période de trois mois où tout a été carrément bousculé et nous ne pouvions plus faire les choses comme elles se faisaient, pis : ah! tiens donc, ça fonctionne, ben on va le garder comme ça.
Katherine : Ben on l’espère! Pour terminer l’épisode est-ce que vous auriez un mot de la fin, une recommandation à faire à nos auditeurs?
Frédéric : Ceux qui ont le goût de profiter de la crise pour provoquer une réflexion au sein du cabinet, au sein de l’organisation, ben faites-le! Ne laissez aucune idée de côté et bousculez vos habitudes, puis faite le tour, parlez à d’autres cabinets, parlez à des gens qui ont vécu notamment des changements technologiques pour voir qu'est-ce qui pourrait s’adapter à vous. Zoom c'est bien, mais c'est pas nécessairement fait pour tout le monde. Office c'est bien, mais c'est pas nécessairement fait pour tout le monde. Trouvez la bébelle, ben la bébelle, l’outil…
Katherine : Trouvez chaussure à vos pieds.
Frédéric : Trouvez chaussure à vos pieds, puis n’ayez pas peur de penser en dehors de la boite. C'est avant la crise là… un avocat qui pratiquait au XIXe siècle aurait certainement pu pratiquer sans trop de difficultés dans notre monde. Après la crise, avec tous les virages technologiques qu’on vit, ça va être un peu moins vrai. Donc, soyez fou et essayez des trucs.
Katherine : Merci Maitre Letendre de votre participation à cet épisode de Juristes branchés, et de nous avoir donné autant de pistes de réflexion. À nos auditeurs maintenant, je vous invite à visiter les liens qui sont dans la description de l’épisode. Vous y découvrirez plusieurs ressources et trousses qui vous outilleront afin d’innover au sein de votre cabinet, mais aussi en tant qu’individu et juriste. Via Twitter : @nouvelles_ABC dites-nous comment vous avez, ou comptez innover dans les moments moins faciles. N’hésitez pas à partager cet épisode sur vos réseaux sociaux et à nous suivre sur Twitter, Facebook, LinkedIn ou Instagram. Pour nos épisodes précédents et futurs, abonnez-vous à Juriste branché sur Apple Podcasts, Stitcher et Spotify et n’hésitez pas à nous laisser des évaluations sur ces plateformes. Vous y trouverez également notre balado en anglais The Every Lawyer. À la prochaine.