Pour une deuxième année, nous parlons à deux stagiaires du PIJJ, le programme international des jeunes juristes de l’ABC. Soutenu financièrement par Affaires Mondiales Canada, le programme permet aux jeunes diplômés de faire un stage à l’étranger, auprès d’organisations juridiques.
Aujourd’hui, nous allons parler à deux stagiaires du PIJJ, le programme international des jeunes juristes de l’ABC. Soutenu financièrement par Affaires mondiales Canada, le programme permet aux jeunes diplômés de faire un stage à l’étranger auprès d’organisations juridiques.
Pour en savoir plus sur le programme ou pour vous y inscrire, rendez-vous sur le site du programme international des jeunes juristes de l’ABC.
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Katherine Provost: Bonjour et bienvenue à Juriste branché, je suis votre animatrice Katherine Provost. L’an dernier pour un de nos épisodes nous avons eu le plaisir de discuter avec trois invités du PIJJ (Le Programme international des jeunes juristes). Soutenu financièrement par Affaires mondiales Canada, le programme permet aux jeunes diplômés de faire un stage à l’étranger auprès d’organisations juridiques. Au cours de leur expérience, les jeunes juristes vivent une expérience unique, alors que les organisations où ils complètent leur stage bénéficient de leur soutien dans les domaines de : la réforme du droit, l’accès à la justice et des droits de la personne.
Nos deux invités d’aujourd’hui sont : M'mah Nora Touré, présentement à Windhoek en Namibie et Alexandre Petterson qui est à Durban en Afrique du Sud. M'mah est présentement stagiaire au Legal Assistance Center de Windhoek, laquelle est la seule firme d’intérêt public au pays. Son département, Gender Equality and Research Advocacy, travaille à sensibiliser la population au droit de l’enfant ainsi qu’aux violences basées sur le genre. Elle a complété ses études à l’Université de Montréal et a fait un stage à l’Université de Paris Descartes. M’mah a obtenu son diplôme en droit en août 2019 et a décidé de participer au Programme international des jeunes juristes après sa graduation. Elle compte passer l’examen du Barreau du Québec cette année et effectuer son stage professionnel à Montréal.
Katherine : Bonjour M’mah bienvenue à Juriste branché.
M'mah : Bonjour.
Katherine : Donc, pour commencer est-ce que tu pourrais nous dire un peu comment t’as entendu parler du Programme international des jeunes juristes?
M'mah : En fait, moi j’en ai entendu parler à travers [Banaminata 00:01:41] qui est un peu la responsable du développement des affaires à l’Université de Montréal. Et puis, à chaque semaine environ elle nous envoie toute sorte d’offres de stage et d’emploi. Puis c'est à ce moment-là que j’ai cliqué sur la page du Barreau canadien et que je suis tombé sur le programme.
Katherine : Pourquoi est-ce que t’as choisi la Namibie?
M'mah : Ma situation était un peu particulière, parce que j’ai pas choisi la Namibie, mais j’ai décidé d’y aller tout de même. Moi ce qui m’intéressait le plus, c'était l’Afrique du Sud parce que, bien évidemment, c'est le pays qui est le plus connu dans le sud de l’Afrique. Donc, pour être honnête je ne connaissais rien du tout par rapport à la Namibie. J’avais entendu le nom, mais côté histoire, culture, même au niveau du système juridique j’étais complètement dans le néant. Donc, c'est sûr que au niveau de mes attentes, j’ai eu peu de temps pour m’en faire, parce que j’ai reçu mon jumelage au niveau du mois de juillet je pense et je partais fin septembre. Donc, je suis arrivé vraiment avec très peu de connaissances sur le pays.
Katherine : Oui, très peu de temps pour te préparer aussi.
M'mah : Exactement, donc le processus, tout se passe très rapidement. Moi j’ai appliqué la dernière journée, donc j’ai attendu la date limite pour envoyer ma candidature. Puis j’ai été appelé pour les entrevues puis le temps justement d'avoir un jumelage, ça fait en sorte qu’on a 2, 3 mois à peine pour organiser le départ. Surtout pour annoncer à tous ses amis et sa famille qu’on quitte pour 6 mois. Donc, oui, c'est un processus qui est assez stressant je dirais.
Katherine : Y faut être assez flexible et adaptable quand on se met dans ce processus-là en fait.
M'mah : Exactement, donc moi j’avais décidé de prendre une année sabbatique après avoir terminé mon bac en droit. Donc, je savais plus ou moins ce qui m’attendait pour la prochaine année, j’avais plusieurs options qui s'offraient à moi. Mais, comme t’as dit, y faut être très flexible. En appliquant dans ce programme, en fait, tu sais aucunement où est-ce que tu vas te retrouver dans les 6 prochains mois, parce que tu es sélectionné avant de savoir dans quel pays tu vas effectuer ton stage. Donc, c'est sûr que ça peut être très stressant parce que tu peux te retrouver en Europe, comme tu peux te retrouver en Asie ou bien dans le Sud de l’Afrique. Moi j’étais ouverte à n’importe quelle destination, je savais que peu importe où j’allais être placée, j’allais pouvoir tirer de l’expérience de ce stage. Puis y faut être flexible parce qu’une fois qu’on arrive sur notre milieu de stage, même si on a des débriefings des stagiaires des années précédentes y a plusieurs imprévus.
Moi, par exemple, quand je suis arrivé ici en Namibie, ma superviseure venait de se casser le bras. Donc, elle n’a même pas pu m’accueillir que ce soit à l’aéroport ou au bureau. Ç’a pris plusieurs semaines pour que je puisse avoir une rencontre avec ma superviseure, donc c'était un peu un drôle de début, mais on en rit maintenant.
Katherine : Oui, c'est vraiment inattendu comme évènement, c'est sûr qu’elle n’aurait pas pu planifier ça.
M'mah : Exactement et c'est vraiment juste quelques jours avant notre arrivée. Moi ici en Namibie je suis avec un autre stagiaire du programme, Andrew, qui vient de l’Île-du-Prince-Édouard. À cause de nos visas, on a commencé nos stages avec une semaine de décalage. Donc, lui était là avant pour mon arrivée.
Katherine : Pour briser la glace.
M'mah : Exactement, pour briser la glace, j’ai eu cette chance-là. Parce qu’une fois que je suis arrivée, lui il pouvait déjà, ça faisait déjà une semaine qu’il était au pays, donc il a pu m’aider un peu. Mais, non c'est ça, notre superviseure, ç’a pris un peu de temps. Heureusement, on pouvait communiquer par courriel, évidemment, puis on a rencontré le reste de l’équipe.
Katherine : Et si on parle du travail en soi, t’as déjà complété quelques semaines de stage, est-ce que tu pourrais nous parler du travail? Donc est-ce que tu as la chance de travailler sur des dossiers que tu ne verrais nécessairement pas au Canada?
M'mah : Oui, en fait moi je travaille au Legal Assistance Center qui est une firme d’intérêt public, en fait la seule firme d’intérêt public au pays. Puis elle a été créée un peu avant l’indépendance. Donc la Namibie était sous l’apartheid, c'était une colonie de l’Afrique du Sud. Puis ils se sont battus dans les années 90, fin des années 80 pour leur indépendance. Et le Legal Assistance Center, donc l’organisation pour laquelle je travaille, faisait de la représentation juridique pour tous les… non pas les prisonniers politiques, mais pour toutes les personnes qui étaient oppressées par le régime.
Je suis par contre dans le département de Gender Equality and Reasearch Advocacy, Gender Research, pardon and Advocacy. Donc, nous ce qu’on fait c'est plus du droit de la famille, on fait tout ce qui est gender base violence, droit des enfants, droit de la femme, droit des minorités sexuelles. Je ne fais pas de représentation politique, donc on fait plutôt de la défense des droits, et on fait aussi beaucoup de sensibilisation et d'éducation populaire. Donc, dans ce programme-là, j'ai la chance d’avoir une superviseure qui est aussi très proche des ministres de la Justice. Ce qui fait en sorte qu’on assiste à beaucoup de… j’ai le nom en anglais pardon, de Legal Drafting Session. Donc, on fait des propositions de loi.
Donc, ça c'est une chose que je pourrais faire au Canada, mais que j’ai jamais eu la chance faire jusqu’à présent. Donc ici, étant donné que c'est un petit pays, que l’ONG est existante depuis de nombreuses années, ça fait en sorte qu’on peut travailler de très près avec le ministre de la Justice. Et que, pratiquement tous les dossiers sur lesquels on travaille ou les propositions de loi qu’on fait, ou les recherches aussi, les rapports qu’on produit vont être lus par le ministère de la Justice. Donc ça fait en sorte qu’on a une relation très privilégiée de ce côté-ci.
Katherine : Oui, on ne s’attendrait pas à ce que tu puisses travailler sur des dossiers d’aussi près au Canada en début de carrière comme ça.
M'mah : Exactement, donc c'est vraiment une chance inouïe, ça fait en sorte aussi qu’à chaque fois qu’il y a une loi qui sort ici au pays, en fait, y a très peu de lois qui sont sorties l’année dernière, seulement deux nouvelles lois, mais on a la chance de les réviser et de proposer des amendements. Donc, en ce moment justement je travaille sur un dossier, une soumission d’amendements sur euh... par rapport au Child Protection Act, qui est sorti en 2015. Et on peut voir directement que le dossier va être lu… ben c'est les efforts que je fais par rapport à ce rapport-là vont porter fruit, parce que ç’a porté fruit dans les années précédentes aussi. Donc, c'est ce que j’apprécie.
Katherine : Donc tu vois vraiment que ta contribution a un impact direct?
M'mah : Oui, exactement, parce que ça m’est arrivé de… ben tant qu’à faire une comparaison, je vais comparer, mais ça m’est arrivé de travailler dans des organismes sociaux, des ONG parfois au Canada et à Montréal, j’avais l’impression que tout le travail qu’on faisait se rendait rarement jusqu’au parlement, et que ça prenait… vu que justement, une question de nombre aussi de la population. Parfois on peut mener une lutte et pour que ça se rende jusqu’aux parlementaires, ça prend beaucoup d’efforts, beaucoup de publicité, beaucoup de manifestations. Donc parfois la montagne peut s’avérer longue à gravir, pis parfois ça peut être décourageant aussi. Parce qu'il y a des organismes aussi qui luttent pendant des années et des années pour des choses qui vont rarement se retrouver dans les projets de loi.
Alors qu’ici, étant donné que la… c'est un des pays avec la plus faible densité de population, seulement 2.5 millions d’habitants, ça fait en sorte que les gens peuvent se faire entre très rapidement par le ministère et par le gouvernement.
Katherine : Si on compare les dossiers un peu, la violence basée sur le genre existe partout, mais est-ce que tu vois des différences évidentes entre les dossiers que tu couvres en Namibie et ceux que tu aurais potentiellement vus au Canada?
M'mah : Je pense qu’ici ils en parlent vraiment plus qu’au Canada, ce qui peut être surprenant à cause de tous les préjugés et les stéréotypes qu'on peut avoir sur les pays du Sud. La discussion, c'est rendu presqu’un buzzword, donc c'est… beaucoup d’ONG internationales travaillent ici, beaucoup de… de… d’organisations font toute sorte de démarches pour lutter, justement, sur les violences basées sur le genre. Donc, j’ai l’impression qu’ici, justement l’acronyme GBV est connu par tout le monde. Alors qu’à Montréal, au Canada plutôt, les gens en parlent moins, y a encore beaucoup de débats à savoir si par exemple la culture du viol existe ou non. J'ai l’impression qu’au niveau de l’information et de la sensibilisation ici en Namibie, ils sont beaucoup plus avancés.
Par contre, les cas qu’on couvre sont beaucoup plus violents. Donc, chaque semaine dans le journal on va entendre des meurtres, des féminicides, des femmes qui se font battre par leur… par leur mari. Beaucoup de violences aussi qui sont faites envers les enfants. Donc c'est sûr que les cas sont très très violents.
Katherine : Donc, est-ce que tu crois que au Canada c'est que les cas sont moins violents, donc on en parle moins? Ou c'est qu’on n’en parle tellement pas qu’on n’entend même pas parler des cas violents?
M'ma : Je pense qu’il peut y avoir une corrélation et le fait que ça choque plus les gens et ça fait aussi en sorte que les médias rapportent les nouvelles parce que… je veux dire si c'est simplement une chicane qui a éclaté dans un couple un mardi soir, je pense que peu de médias vont être intéressés à le couvrir. Donc, c'est sûr que les médias ont un rôle par rapport à ça, et plus le niveau de gravité est élevé, plus, bien sûr, les médias vont être intéressés. Mais, je pense aussi que… ç’a encore un lien avec la densité du pays. Le fait que ce soit un plus petit pays, et qu’il y ait beaucoup d’organisations qui en ont fait leur gagne-pain, donc c'est un peu le côté pervers de ce genre de problématique. Je sais qu’il y a beaucoup d’organisations qui reçoivent des fonds parce qu'ils travaillent sur ce genre de projet. Mais ça fait en sorte que justement qu’y a beaucoup de couverture.
Katherine : C'est dommage de savoir qu’il y a des cas aussi violents où tu travailles, mais en même temps j’imagine que c'est une expérience pour toi que tu vas pouvoir ramener dans tes prochains postes.
M'mah : Oui exactement, je sais pas par contre si je vais vouloir travailler en droit de la famille, ou en droit criminel. Je me pose beaucoup de questions, mais c'est sûr que c'est une bonne expérience. Personnellement, je ne fais aucune représentation juridique comme j’ai dit, donc, les cas que je traite c'est des cas qui sont terminés en général, donc soit des décisions des tribunaux qui ont été faits, ou bien des rapports sur lesquels je travaille. Mais c'est aussi intéressant de voir comment cette violence qui est exercée sur les femmes est due à plusieurs d’autres facteurs sociaux. Donc c'est sûr c'est un très jeune pays, seulement 30 ans d’existence. Donc une bonne partie de la population ici a vécu sous les années d’apartheid qui était un régime ultra violent. Donc pour plusieurs personnes c'est… c'est justement cette violence politique qui s’est transmise dans la manière dont ils éduquent leurs enfants, dans la manière dont ils traitent les femmes. C'est aussi de la violence qui est exercée sur les hommes. Donc, on voit… cette dynamique-là c'est quelque chose que j’ai pas nécessairement pu expérimenter au Canada, mais on voit comment ç’a un impact sur les familles et sur les enfants surtout.
Katherine : Avant ton retour au Canada, aurais-tu des objectifs précis à rencontrer pour ton stage? Est-ce que t’as toi-même des attentes des dossiers sur lesquels tu voudrais travailler?
M'mah : C'est sûr qu'à mon arrivée j’ai fait beaucoup beaucoup de recherches. Donc je suis arrivée en fin d’année, eux y terminaient leur année. Donc, vu qu’on est arrivé en début octobre, c'était comme le dernier rush. C'était une arrivée très très rapide, donc très rapidement on m’a donné des rapports qui étaient commencés qu'il fallait que je termine, des recherches à faire. Donc, c'est sûr que les trois premiers mois j’étais vraiment dans la jurisprudence, dans la doctrine. Mais c'est de cette manière-là que j'ai pu un peu comprendre c'est quoi le système juridique namibien. Donc, depuis 2020, en janvier, à la rentrée et tout, j'avais exprimé le souhait de travailler avec les communautés. Puis c'est quelque chose que j'ai déjà pu euh... la semaine dernière en fait, j’ai eu la chance d'aller dans une communauté ici. Donc on fait des workshops où justement on essaie de sensibiliser la population à la loi qui est mise en place. Parce que en Namibie, les lois sont très bonnes, très avant-gardistes, la constitution est excellente pratiquement. Même les lois, justement, pour combattre la violence domestique, pour combattre le harcèlement, elles sont très bonnes. C'est juste qu’elles sont peu implémentées et inforced dans les communautés.
Katherine : Donc t’as un travail un peu de sensibilisation aussi.
M'mah : Exactement, exactement, donc ce que je voulais faire c'est qu’après avoir passé beaucoup de temps à lire, à produire des rapports, à produire toute sorte de matériel de sensibilisation j’avais vraiment envie d’aller dans les communautés. Puis j’ai eu la chance justement d’aller dans les communautés et c'est là où est-ce qu'on voit qu’il y a un grand gap, une grande… presque une disparité entre le milieu intellectuel de la clinique juridique puis les communautés. Parce que, on arrive au début de l’atelier, puis sur 30 personnes je pense qu’il y avait seulement une personne qui savait qu'est-ce que c'était une Protection Order. Donc que les gens peuvent demander en cas de harcèlement par exemple. Donc même si la est utilisée euh... pardon, même si la loi est passée, elle est très peu utilisée, donc y a beaucoup de travail à faire au niveau de l’éducation populaire.
Katherine : Est-ce que tu comptes repartir à l’international pour le travail?
M'mah : À court terme, je ne pense pas, parce que j'ai le Barreau du Québec à passer à la rentrée, donc je sais que c'est ce qui m’attend. Ensuite je vais devoir faire mon stage probablement à Montréal. Pour ce qui est du futur, j’aimerais, c'est sûr que… je regrette, ben en fait c'est un peu comme un sentiment bitter sweet d’avoir fait le programme et de l'avoir terminé parce que j’aimerais le recommencer pour repartir à un autre endroit. Mais j’imagine que les opportunités vont s'ouvrir. Pour l’instant non, mais je… je vais voir d’ici l’année prochaine beaucoup de choses auront le temps de changer.
Katherine : Crois-tu que d’avoir le programme du PIJJ sur ton CV va te faire ressortir du lot un peu?
M'mah : Oui c'est certain, c'est certain, parce que justement trouver des expériences à l’international c'est vraiment difficile. C'est dur de savoir où chercher, c'est dur de savoir si l’organisation est digne de confiance, si on ne va pas se faire avoir. Alors que le programme organise tout pour nous, ils sont partenaires avec des organismes de confiance comme Legal Assistance Center, je pense que justement depuis près de 20 ans ils ont des stagiaires de partout dans le monde. Donc c'est sûr que tout ce travail qui est fait à l’avance ça facilite beaucoup les choses et ça fait en sorte que l'expérience que j'ai acquise va pouvoir me faire sortir du lot parce que c'est une expérience qui est très riche. Et le fait qu’ils prennent peu de stagiaires par année aussi, ça fait en sorte que ça reste un peu unique comme expérience.
Katherine : Quelles grandes leçons as-tu apprises grâce à ton séjour à Windhoek? Jusqu’à présent on pourrait dire.
M'mah : C'est une bonne question. C'est peut-être pas une leçon, mais j’ai réalisé que ça me manquait de marcher dans les rues.
Katherine : Ah!
M'mah : Ouais, je pensais jamais dire ça parce que à Montréal je marche beaucoup pour me rendre d’un lieu à l’autre, mais ici c'est pratiquement impossible, c'est aussi déconseillé. Donc une des leçons que j’ai apprises c'est que j’aimais marché plus que je ne le pensais.
Katherine : Et donc en fait, c'est que t'es choyé à Montréal d’avoir accès à ça, d’être capable de marcher dans la rue, d’être capable de te promener librement?
M'mah : Exactement, en fait j’ai réalisé que marcher c'était un luxe. Souvent on pense que c'est avoir une voiture, mais c'est vraiment avoir le privilège de pouvoir marcher librement dans la rue. Je l’ai pris pour acquis pendant de nombreuses années.
Katherine : Je trouve que c'est une excellente réalisation, ça nous montre à quel point on est chanceux. Même s’il fait froid, même s’il pleut, même si on a de la neige, on peut se promener librement nous-mêmes.
M'mah : Exactement, exactement, donc la première chose que je vais faire en revenant à Montréal c'est marcher.
Katherine : Notre deuxième invité Alexandre Petterson est diplômé du Programme de droit canadien, une formation bijuridique intensive offerte à l’Université d’Ottawa. Il réalise présentement son stage du Barreau de l’Ontario au Legal Resources Center à Durban en Afrique du Sud. Il est d’ailleurs le premier stagiaire canadien à effectuer son stage du Barreau au sein de ce cabinet d’intérêt public fondé en 1979.
Katherine : Alexandre, bienvenue à Juriste branché.
Alexandre : Merci Katherine.
Katherine : Pourrais-tu me décrire une journée typique? Quels genres de tâches est-ce qu'on t’a assignés durant ton stage?
Alexandre : Certainement ça va me faire plaisir. Donc, comme vous l’avez mentionné, je poursuis présentement une voie un peu atypique pour compléter mon stage du Barreau de l’Ontario. Donc, je suis présentement en train de compléter mon stage du Barreau à l’étranger, au Legal Resources Center et plus précisément dans les bureaux régionaux de Durban. Donc, le LRC est un cabinet d’avocat d’intérêt public dont la vocation consiste à assurer la pleine réalisation des droits garantis par la Constitution sud-africaine. Ce qui peut vous donner un aperçu du genre de dossiers qu’on prend, en ce moment nos orientations stratégiques ce sont les réclamations territoriales et tout ce qui concerne l’éducation.
Donc, je vous dirais que les tâches qui m’ont été assignées jusqu’à présent ont été très variées. L’expérience que j’acquiers présentement est très très enrichissante. En gros, j’arrive au bureau, et ça arrive souvent comme aujourd'hui, on a des urgences. Ça arrive qu’il faut courir à l’extérieur pour aller faire certifier des documents, ça nous arrive d’avoir à imprimer un paquet de documents aussi pis ensuite les servir, devoir aller au bureau du procureur de la couronne. Ça implique euh... c'est ça on passe quand même pas mal de temps sur la route aussi. Il faut faire des aller-retour entre Durban et Pietermaritzburg parce qu'y ont une cour supérieure là-bas aussi. Je vous dirais que c'est très varié. J’ai été amené à offrir des ateliers, je prépare d’autres ateliers que nous allons offrir dans les environs de Durban.
Y a aussi tout l’aspect donc du recouvrement des [dépends dépenses? 00:20:29] qui m’a été assigné. Ça, c'est une tâche très importante aussi qui permet d’avoir une entrée de capital et de payer les factures. Dans le domaine des ONG, c'est quand même un aspect primordial et c'est ça.
Katherine : C’est assez impressionnant qu’ils donnent ça à un stagiaire.
Alexandre : Voilà. Donc, c'est vraiment comme le rôle de Candidate Attorney, donc de stagiaire qui est très intéressant ici en Afrique du Sud. C'est très différent je vous dirais. Puis le contexte dans lequel j’effectue mon stage aussi.
Katherine : Vous dites que c'est différent, en quoi est-ce que le travail est différent et similaire de ce que vous avez fait jusqu’à maintenant au Canada?
Alexandre : Je vous dirais qu’au niveau des similitudes ce serait par rapport à la jurisprudence. Le cabinet où je travaille en ce moment, les Legal Resources Center utilisent beaucoup de jurisprudence canadienne pour s’inspirer et aussi pour prendre des décisions exécutives, à savoir si ils vont porter une affaire en appel et si ils vont en gros décider de poursuivre les procédures pour essayer de contester une ordonnance qui a été rendue par un tribunal ou une cour. Donc, à ce niveau-là je vous dirais que ma connaissance de la jurisprudence canadienne a pu être mise à profit et ç’a été à bon escient. Dans le sens que, l’organisation où je travaille a pu bénéficier de cette connaissance-là que je porte.
Puis, sinon, les différences, le load shedding, c'est une grosse différence. Je sais pas si vous avez déjà entendu parler de cela?
Katherine : Pouvez-vous expliquer un peu c'est quoi oui?
Alexandre : Donc c'est comme tout le monde en parle ici, mais pour comprendre en quoi consistent les load shedding il faut savoir Quescom. Une entreprise publique sud-africaine fournit 95% d’électricité en Afrique du Sud, et pour ce faire, l’entreprise utilise encore pour l’essentiel des centrales à charbon qui sont mal entretenues. Donc l’entreprise croule présentement sous les dettes et puis ils peinent vraiment là à maintenir leur niveau de production. Donc ils vont devoir procéder à des délestages et ça arrive quand même assez fréquemment. C'est pas nécessairement à toutes les semaines que ça arrive. Depuis 2018 y a différents niveaux de load shedding, niveau 1, 2, 3 ça va jusqu’à 7, en ce moment on est au niveau 4. Puis c'est ça c'est des coupures de courant récurrentes et là en ce moment vu qu'on est au niveau 4, on a 4 heures de délestage. Et l’heure à laquelle ces délestages arrivent varie selon le quartier et la ville. Donc la durée de la coupure de courant varie selon la ville.
Hier par exemple, pendant qu’on avait une panne d’électricité au travail, on a profité de la situation pour aller à la cour supérieure, puis certifier, déposer des documents juridiques qu'on avait préparés. C'est ça vu que ça varie en fonction des quartiers y avait de l’électricité à ce moment-là à la cour supérieure. On a quand même préparé notre journée puis arrangé notre horaire en fonction de cela. Ç’a un gros impact sur notre productivité aussi en bout de ligne parce qu’on ne peut pas faire tout le travail qui nous est assigné, par exemple avec des ordinateurs ou de la recherche, lorsqu’il y a des pannes de courant.
Katherine : Donc il faut utiliser un peu les méthodes vielle-école, on retourne au temps sans internet.
Alexandre : C'est ça il faut être pas mal débrouillard je te dirais.
Katherine : Sur une autre note, vous avez récemment eu la chance de participer à un atelier sur le droit de l’accès à l’eau et aux services essentiels. Est-ce que tu peux m’en parler un peu plus?
Alexandre : Oui ça va me faire plaisir. En gros il s’agit du jugement [Muchengou 00:24:28] et puis c'était notre client, Monsieur Zabalaza Muchengou. Et ça concerne plus particulièrement des personnes qui résident sur des terres agricoles, qui ne sont pas nécessairement propriétaires des terres qu’ils s’occupent. Donc ils utilisent aussi souvent le qualificatif « occupant » pour se référer à ces personnes-là. Pendant l'atelier, je me suis occupé par exemple des communications, des préparatifs, j’ai aussi eu l’occasion d’expliquer le jugement à une audience d’environ 80 personnes, incluant des représentants municipaux, des fonctionnaires du gouvernement national ou fédéral, des occupants des fermiers aussi et les ONG.
Donc, c'est ça, ça impliquait de spécifier en gros ce que prévoit l’ordonnance qui mentionne notamment qu'une source d’eau potable doit être située à moins de 200 mètres d’où ces occupants demeurent. Et y a d’autres dispositions, ou d’autres précisions qui sont amenées au niveau du débit d’eau qui doit être satisfaisant. L’ordonnance mentionne aussi par exemple que ces occupants doivent avoir accès à des installations sanitaires salubres, et que la municipalité doit veiller à ce que les ordures soient collectées régulièrement. Donc, avant que ce jugement ait été rendu par la cour supérieure, y avait une confusion à savoir à qui revenait la tâche d’assurer la fourniture de ces services essentiels. Et, on a pu clarifier cette conclusion et là maintenant y a pu de doutes à savoir que ce sont réellement les municipalités et non pas les fermiers qui sont tenus de fournir ces services-là.
Katherine : Donc vous avez vraiment la chance de travailler sur une variété de dossiers autant des jugements, que un peu de la paperasse on pourrait dire?
Alexandre : Oui c'est ça, et au niveau des réclamations territoriales, c'est pas nécessairement un domaine de pratique avec lequel on est particulièrement familier au Canada. Évidemment, y a toute la branche des autochtones, du droit autochtone qui touche à certains aspects des réclamations territoriales pour lesquelles les peuples autochtones du Canada. Mais, c'est également le cas en Afrique du Sud, donc en ce moment une réclamation territoriale sur laquelle on travaille, un des dossiers qui a trait à des réclamations territoriales, c'est celle du Wasoulou disons donc euh... Y a un roi dans l’État, dans la province de KwaZulu-Natal natal et il est l’unique fiduciaire du Royaume zoulou, aussi parfois désigné comme l’Empire zoulou, ou Zoulouland. Donc ce Royaume est en quelque sorte le résidu du Bantoustan KwaZulu-Natal qui a été créé durant l’époque de l’apartheid, durant les années 1970.
Donc l’ensemble du territoire que contrôlait la législature du Bantoustan qui était le terme employé pour se référer aux législatures d’alors, a été mis en fiducie et le roi zoulou est l’unique fiduciaire de cette fiducie-là. Donc il est supposé administrer sa fiducie au bénéfice de la population qui réside sur ce territoire-là. Et malheureusement on a pu constater certaines lacunes et on note aussi parfois que y a plusieurs différends entre les chefs de tribus. Le mot « tribu » est employé bon en mal en comme ci comme ça. Mais je veux dire on s’y réfère aussi comme étant des communautés traditionnelles de nos jours. Et en gros, on parle ici d’environ 28 000 kilomètres carrés de terre, ce qui est presque aussi grand que la Belgique.
Et puis on a plusieurs dossiers impliquant c'est ça le roi Zoulou. C'est vraiment très très intéressant, c'est sûr qu’il y a des aspects du droit canadien qu’on peut importer. Tout ce qui concerne par exemple les consultations et d’autres exigences requises au Canada par exemple lorsqu’on fait approuver un projet de développement que pourrait potentiellement être importé en Afrique du Sud via ce type de dossier là.
Katherine : Oui, donc justement de ce que je comprends tout ce que vous apprenez en ce moment en Afrique du Sud, les compétences que vous développez, les dossiers sur lesquels que vous travaillez, tout ça peut être importé, peut-être traduit au niveau du système canadien. Donc c'est pas perdu un peu ce que vous faites dans un autre pays, au contraire ça va vraiment bénéficier votre carrière. En quoi est-ce que tu crois que cette expérience va être bénéfique pour ta carrière au Canada?
Alexandre : Oui alors moi je suis persuadé que je vais pouvoir transposer l’ensemble des compétences que je suis en train d’acquérir ici en Afrique du Sud au reste de ma carrière au Canada. Puis je veux dire je suis particulièrement choyé de travailler sur des dossiers d’une telle envergure, déjà au début, dès le début de ma carrière juridique. Je veux dire des dossiers de responsabilités sociales de l’entreprise, impliquant des grosses minières qu'on poursuit. Je veux dire c'est le genre de dossiers qui m’a amené à postuler au Programme de droit canadien et à poursuivre des études en droit. Alors je me trouve vraiment chanceux c'est ça déjà d’avoir la chance de travailler sur ce genre de dossier dès le début de ma carrière. Je dirais même jusqu’à dire que c'était un peu intimidant.
Le niveau de responsabilité qui m’a été accordé déjà dès les premiers jours, au sein de l’organisation. Je veux dire on procédait également à des consultations, donc, l’un des autres défis que j’ai rencontrés c'est évidemment la barrière linguistique. Non pas parce qu'on travaille en anglais, mais parce que la plupart de nos clients sont zoulouphones, donc l’Afrique du Sud est un pays où y a 11 langues officielles, incluant l’anglais, le zoulou et un paquet d’autres, bref, j’en passe. J'ai eu besoin d'une interprète à plusieurs reprises pour pouvoir conseiller des clients qui venaient à nos bureaux avec l’espoir d’obtenir un avis juridique, à savoir quoi faire devant une situation donnée, ou qui les affectaient.
Katherine : En résumé, le programme est excellent, le programme est un défi, y faut pas avoir froid aux yeux.
Alexandre : Non c'est ça! Je veux dire en bout de ligne, c'est une expérience qui je crois va nous permettre de sortir du lot. Et, j’ai aussi eu la chance d’être exposé à d’autres domaines du droit, car, certains des avocats chevronnés avec qui je travaille sont aussi commissaires au CCMA. Donc, c'est un organisme où ils procèdent aux règlements de différends en droit du travail. Donc, j’ai pu assister à plusieurs séances de médiation et d’arbitrage en droit du travail également. Puis c'est très très intéressant d’observer les mécanismes en Afrique du Sud pour résoudre les différents en matière du droit du travail et c'est très varié.
Vous me demandiez au début à quoi ressemble ma journée typique, c'est trop varié pour que je puisse vous donner un exemple concret. Parce que un jour c'est ça, je vais aller passer la journée au CCMA pis je vais en apprendre davantage à propos du droit du travail, pis une autre journée je vais être en train de courir à la cour supérieure pour aller certifier d’autres documents. D’autres journées je vais faire de la recherche, puis d’autres journées, ça va être des consultations avec des clients et de fournir des avis juridiques.
Katherine : Donc ça fait des journées très excitantes, très remplies.
Alexandre : Ah c'est certain! C'est certain, pis c'est pas comme si le travail manquait non plus. Des journées très chargées, ce qui fait que le rythme de travail quelques fois effréné même. En bout de ligne c'est vraiment très stimulant le fait de participer à ce programme-là. Pis effectivement si vous songez à effectuer votre stage du Barreau à l’international, je vous recommanderais absolument de participer au Programme international de jeunes juristes. Parce que ce que j’ai pu constater, c'est qu’on fait pas nécessairement la promotion du Programme international des jeunes juristes comme étant une option pour compléter son stage du Barreau. Mais moi à la fin de mes études, j'ai pris l’initiative d'envoyer ma candidature et puis d’être très clair par rapport à mes intentions, que j’avais l’intention de faire mon stage du Barreau et c'est pour cette raison-là aussi que j’ai été amené à choisir un organisme à but non lucratif où je savais qu’il y allait y avoir des praticiens. Et parce qu’y a plusieurs autres options qui sont axées sur le développement ou en travail plutôt en… au sein d’organisations internationales.
Alors euh... après avoir compris un peu comment fonctionnait le processus d'admission, c'est ça, je me suis dit : pourquoi pas tenter ma chance d’aller faire mon stage du Barreau à l’international. Et, j’étais particulièrement ravi d’avoir cette opportunité-là, et je crois être le premier Canadien à compléter son stage du Barreau de l’Ontario à l’étranger, au sein de cet organisme. On m’a confirmé qu’au Legal Resources Center le LRC, c'était la première fois qu’ils recevaient un stagiaire pour faire son stage du Barreau là.
Katherine : Donc c'est intéressant de savoir et que nos auditeurs puissent l’apprendre qu’ils peuvent faire leur stage à l’international. Donc merci Alexandre de nous avoir fait part de ton expérience, je te souhaite toute la chance possible dans tes projets futurs, et une excellente soirée.
Alexandre : Merci bien
Katherine : Merci beaucoup à M'mah et Alexandre de leur participation à ce balado, et d'avoir pris le temps de nous parler leur expérience avec le PIJJ. À nos auditeurs, j’espère que vous êtes encore plus intéressés appliquer au programme et à faire le tour du monde en tant que juriste. Si vous voulez en savoir plus sur le programme, je vous invite à écouter notre premier épisode sur le sujet, intitulé : Juriste nomade et à cliquer sur le lien dans la description de l’épisode. L’ABC accepte les applications jusqu’au 30 avril 2020. N’hésitez pas à partager cet épisode sur nos réseaux sociaux et à nous suivre sur Twitter @Nouvelles_abc. Pour plus de trucs et conseils, abonnez-vous à « Juriste branché » sur Apple Podcast, Stitcher et Google Play. Vous y trouverez également notre balado en anglais The Every Lawyer. Restez à l’affut pour les prochains épisodes, à la prochaine.