Julia reçoit Fabien Fourmanoit du Sous-comité ABC Bien-être et la professeure Nathalie Cadieux de l’Université de Sherbrooke.
Julia reçoit Fabien Fourmanoit du Sous-comité ABC Bien-être et la professeure Nathalie Cadieux de l’Université de Sherbrooke pour discuter de la Phase 1 du rapport sur les déterminants de la santé psychologique des professionnels du droit, réalisé en partenariat avec l’Université de Sherbrooke, la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada et l’Association du Barreau canadien.
Quelles que soient les raisons qui motivent votre intérêt, si vous êtes un·e professionnel·le du droit ou si vous aspirez à le devenir, il est essentiel de fixer des limites et de parvenir à un détachement psychologique de votre travail.
Recommandations: https://flsc.ca/wp-content/uploads/2022/12/FR_Rapport_Cadieux-et-al_Universite-de-Sherbrooke_FINAL.pdf
Sommaire exécutif : https://flsc.ca/flsc-s3-storage-pub/u/flsc-s3-storage-pub/FINAL_Sommaire%20Executif-Mieux-etre.pdf
FAQ : https://flsc.ca/flsc-s3-storage-pub/u/flsc-s3-storage-pub/FAQ%20V6%20Mieux%20etre.pdf
Association du Barreau canadien - Le sous-comité ABC Bien-être (cba.org)
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Intervieweur : Bonjour, je m’appelle Julie Tétrault-Provencher et bienvenue à un nouvel épisode du balado Juriste branché où nous parlons aujourd’hui de la santé psychologique.
Annonceur : Vous écoutez Juriste branché, présenté par l’Association du Barreau canadien.
Intervieweur : Nous discutons du rapport de recherche conjoint qui a été réalisé en partenariat avec l’Université de Sherbrooke, la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada et l’Association du Barreau canadien, évidemment. Alors les mots d’ordre du jour sont détachement psychologique du travail et capacité à mettre ses limites. Quel que soient les raisons qui motivent votre intérêt, que vous soyez un ou une professionnel.le du droit ou si vous aspirez à le devenir, il est essentiel de fixer des limites et de parvenir à un détachement psychologique de votre travail. Pour discuter de ces enjeux aujourd’hui, je souhaite d’abord la bienvenue au docteur Cadieux de l’Université de Sherbrooke et bienvenue également à Fabien Fourmanoit de l’Association du Barreau canadien. Donc aujourd’hui, vous l’avez compris, on parle de la santé psychologique dans la profession juridique.
En tant qu’avocat et avocate, notre force psychologique, et là je mets des guillemets ici, ou ce qu’on croit l’être est souvent présenté comme étant un élément qui est essentiel pour assurer notre crédibilité face à nos clients et nos clientes et aussi pour inspirer la confiance. Mais en fait, est-ce qu’on est aussi inébranlable qu’on semble le penser? Donc, docteur Cadieux, je me demande un peu comment ça a été pour vous alors que vous étiez la chercheuse principale de ce rapport. Vous avez entendu des témoignages, vous avez rencontré des gens qui vivaient de l’anxiété, du stress, parfois consciemment, parfois même pas, et ce pendant des jours, des mois, voire même des années. Donc en fait ma première question ça serait comment est-ce que votre travail… comment l’avez-vous vécu? D’abord, on va commencer avec ça. Comment avez-vous vécu cette recherche que vous avez faite pour ce rapport?
Dr Cadieux : Je l’ai vécu… j’ai trouvé que c’était quand même tout un défi d’abord d’étudier à l’échelle nationale avec des réalités diversifiées à travers le Canada, d’est en ouest, du nord au sud, quand même des réalités qui sont parfois distinctes, mais qui, malgré une grande hétérogénéité, il y a quand même beaucoup de points communs. Fait que je l’ai vécu comme un défi professionnel d’abord quand on me l’a présenté. Ensuite, je l’ai vécu aussi avec beaucoup d’accueil, je dirais, un bel accueil reçut de la profession à travers le Canada, beaucoup de confiance des professionnels qui se sont impliqués, qui ont été très nombreux à répondre à l’appel. Je les remercie d’ailleurs parce que je dois dire à quel point et de multiples façons ils m’ont touché au cours de la dernière année.
Intervieweur : Trouvez-vous justement que les gens que vous avez rencontrés et que la profession juridique en général est ouvert à avoir une discussion sur sa propre santé psychologique? Puis pensez-vous, par exemple, qu’il y a quelques années ça aurait été peut-être plus difficile de faire ce rapport ou, non, on a toujours été très ouvert? En fait, je me demande un peu comment vous nous voyez dans notre perception de la santé psychologique.
Dr Cadieux : Je dirais que c’est beaucoup plus facile et c’est minimalement peut-être le seul avantage que la pandémie aura eu, peut-être pas le seul, mais quand même un des seuls avantages qu’on aura eus. La pandémie de COVID-19 nous a tous plongés dans une… Je dirais quand même ça l’a brisé un sentiment de sécurité psychologique qui existait avant. On est dans un pays qui est quand même développé avec de multiples ressources et il est clair qu’on n’aurait jamais cru être plongé instantanément dans une insécurité telle que chaque personne serait confinée à la maison, que ceux qui ne font pas de télétravail doivent automatiquement télétravailler et ceci pour des mois voire ça s’est étiré pendant deux ans. Donc, je dirais que ça l’a fait en sorte, évidemment, qu’une vaste proportion de la population ait vécu des enjeux de santé mentale, de santé psychologique, de détresse et ça, ça l’a fait en sorte qu’on en parle plus, donc ça l’a facilité les choses, je dirais.
Je dirais que les professionnels du droit, eux, étaient prêts à en parler. C’est clair qu’après, a posteriori, quand on arrive avec les conclusions d’une étude où le portrait dressé évidemment est pas très positif et ça, ça peut engendrer, des fois, des discussions plus soutenues parce que ça veut dire aussi de changer, dans le futur, si on veut reconstruire et faire en sorte d’aller vers un futur de la profession qui soit positif. Donc c’est clair qu’il faut capitaliser sur ces résultats. Ça va vouloir dire des changements dans les entreprises...
Fabien : J’ai envoyé un courriel ce matin à un conseiller externe, donc moi, je suis en entreprise, puis j’ai envoyé un courriel ce matin à un conseiller externe demandant une question assez simple, puis je reçois un bounce back qui me dit : « Je répondrai à votre courriel le plus rapidement possible, mais je ne me sens actuellement pas très bien. Je vous reviens. » Il y a dix ans, je pense que ça ne serait pas arrivé. Je pense que je n’aurais pas reçu un bounce back de cette nature-là. Donc, est-ce qu’on est à un moment dans la profession où on est capable de prendre conscience des résultats qui font partie de l’étude en question, puis d’agir là-dessus? Je crois que oui. Je pense qu’il y a un mouvement collectif vers ça. Ça ne va pas se faire tout seul, ça ne va pas se faire du jour au lendemain. Et les résultats, effectivement, de l’étude sont assez choquants d’un certain point de vue dans la mesure où je crois qu’il n’y a pas grand-chose là-dedans qui est particulièrement nouveau en fait de notions. Par contre, l’ampleur du problème, je crois, est grande par rapport à ce à quoi je m’attendais par exemple.
Donc je pense que c’est choquant de ce point de vue là, du point de vue de l’ampleur des difficultés qu’on constate dans la profession. Et donc mon espoir, parce que je vis d’espoir, mon espoir c’est qu’effectivement la profession va être en mesure de prendre acte de ces recommandations-là, de prendre acte de ces difficultés-là et d’effectuer des changements réels. Maintenant, ça ne va pas se produire tout seul. Il va y avoir du travail à faire. On est une profession qui est relativement conservatrice, disons, et donc je pense que ce travail-là va être difficile, mais l’Association du Barreau canadien, de concert avec beaucoup d’autres acteurs, y compris les sociétés d’aide de soutien aux avocats, les Barreaux à travers le Canada vont devoir se pencher là-dessus, puis développer de meilleures pratiques, je pense, pour éviter la perpétuation des résultats qu’on voit dans l’étude en question.
Le rapport en tant que tel, finalement, fait état d’une situation avec une recherche qui est très détaillée et le rapport aussi comporte des recommandations. Elle a dit que les recommandations ne sont pas accompagnées d’un plan d’action concret. Donc le travail qui doit venir après ça c’est d’exactement ça, c’est aller développer un plan d’action qui soit propre à chaque milieu de travail dans la profession juridique et je ne parle pas nécessairement uniquement de la pratique privée. Est-ce que c’est un changement de paradigme ou est-ce que c’est une réalisation que les façons de faire actuelles ne fonctionnent pas? Je n’ai pas la réponse à cette question-là. Maintenant, ce que je constate à la lecture de ce rapport-là c’est qu’effectivement on est à un point où ce n’est pas une option de ne rien faire. Il y a des statistiques là-dedans… Par exemple, il y a une statistique, je n’ai plus le pourcentage exact, mais je crois que c’était plus de 24 % des membres de la profession qui ont eu de l’idéation suicidaire, par exemple, juste pour sortir un exemple. Je pense que c’est 12 fois la population des travailleurs du Canada, donc à multiple de 12. Des faits comme ça qui sont concrets et qui montrent qu’il y a manifestement des problèmes structurels, je crois, vont nous pousser au changement parce qu’il n’y a pas d’alternatives essentiellement. C’est ça ou l’avenir de la profession qui est en jeu. Donc de ce point de vue là, peut-être que, oui, il y a un changement [intervieweur par-dessus intervenant 00:09:32] de paradigme [inaudible 00:09:33].
Intervieweur : Est-ce qu’il y a un point, un élément qui n’est pas nécessairement très évident à la lecture du rapport et que vous aimeriez faire ressortir pour nos auditeurs et nos auditrices?
Fabien : Une chose, je ne sais pas si je réponds tout à fait à la question, mais il y a une chose qui m’a un peu étonné. En fait, il y a beaucoup de choses, mais il y a une chose en particulier et c’est le pourcentage de personnes qui sont dans la profession depuis peu de temps et qui déclarent avoir des problèmes sérieux, voire sévères. Le pourcentage chez les jeunes est beaucoup plus élevé que chez les personnes plus âgées. Pourquoi? Est-ce que c’est parce que les gens qui ont grandi dans les années 90, début des années 2000 sont habitués à réclamer des choses et à ne pas tolérer certaines situations? Est-ce que c’est ça? Est-ce que c’est parce que, justement, les gens qui sont des vétérans de la profession, des gens de 40, 50, 60 ans ont été exposés à ça toute leur vie, puis se disent : « Mais non, moi, je n’ai pas besoin d’aide. Tout va bien. Ma santé mentale est parfaite. Je n’ai absolument aucun problème. »? Donc, est-ce qu’ils sont habitués à un certain niveau de mal être, finalement? Qu’est-ce qui explique ça? Je pense que ça va prendre… Effectivement, je crois que ça va prendre un petit peu de temps pour décortiquer tout ça, [que ça ne soit pas 00:10:53] une question de : « Ah, t’sais, les jeunes, on sait ben, les jeunes, ça se plaint toujours de toute façon. » Je pense que ça va prendre du temps pour faire le tour de cette question-là.
Intervieweur : Donc j’aimerais maintenant retourner à docteur Cadieux. Comment est-ce que vous trouvez que votre travail, le résultat des recherches, vous y avez un peu touché déjà, mais j’aimerais savoir, avec les recommandations que vous avez faites, comment il a été reçu jusqu’à présent par, par exemple, les personnes à qui vous faites certaines recommandations?
Dr Cadieux : Bien, je dirais que ça l’a été bien reçu, mais c’est sûr que les recommandations ont été… On a fait un dépôt la semaine dernière, donc c’est tout récent. La semaine dernière, on a présenté à tous les Barreaux canadiens, qui sont partie intégrante de ce rapport, ce projet quand même qui est en deux phases. Donc ça, c’est la phase un qu’on vient de terminer. On a eu vraiment une réception très positive des Barreaux. Je suis allée aussi le présenter dans un sommet en Alberta. Ça a été bien reçu. Il y avait des gens des milieux de travail, des programmes d’aide également, des professionnels. Donc jusqu’à présent, la réponse est vraiment très positive. Les conclusions, en fait les recommandations finales seront publiées dans les prochains jours et c’est là qu’on verra dans les milieux de travail au cours de prochains mois. J’ai déjà des indications que je ne peux pas dévoiler à ce stade. Je reçois des messages quand même très positifs des milieux de travail qui sont en train de revoir leur alignement, leur façon de faire et cherchent vraiment des moyens très concrets à mettre en place pour améliorer de façon durable la santé des professionnels et ça, c’est une excellente nouvelle.
Il y a deux phases, mais la première phase était de dresser un portrait à l’échelle nationale et c’est ce qui a mené au rapport qu’on vient de publier, mais qui n’incluait pas les recommandations. Il faut savoir que faire des recommandations à l’échelle nationale c’est quand même un défi et ceci en souhaitant qu’on ne soit pas trop général, mais que les recommandations seront suffisamment spécifiques pour que les acteurs se sentent concernés. Donc, ça, c’était vraiment important pour mon équipe et moi-même. Et dans ce cadre-là donc, c’est le rapport complet avec les recommandations qui va être publié, mais qui concerne seulement la première phase.
La deuxième phase sera de dresser des portraits à l’échelle nationale, mais dans chacune des provinces et territoires. Donc on va reprendre les données qu’on a collectées, on fera un rapport par provinces et territoires et dans ce cadre-là on ira faire des entrevues aussi à travers le Canada pour contextualiser les résultats et contextualiser aussi les défis. Parce que quand on est dans l’est du Canada versus dans l’ouest ou peut-être dans un territoire, les réalités peuvent parfois être différentes et dans ce cadre-là c’était important pour nous de donner une voix aux professionnels. Donc on a commencé déjà à faire des entrevues, mais dans la phase deux on ira faire des rapports qui seront plus courts, mais vraiment plus contextualisés.
Intervieweur : Mais c’est très intéressant parce qu’une chose que j’ai beaucoup aimé de votre rapport c’est l’aspect très intersectionnel, donc qui prend beaucoup en compte. Ce n’est pas un monolithe, la profession juridique, puis on a des contextes, des expériences différentes. Donc je trouve ça hyper intéressant de savoir qu’il y a une phase deux plus contextuelle, plus par provinces, donc encore plus, peut-être, détaillée et poussée. Donc on va suivre ça de près. Mais pour cette phase deux, je comprends, pour nos auditeurs et auditrices, le rapport a été… c’est tout chaud, ça a été publié en octobre 2022. Enfin, j’aimerais savoir quand vous et vos collègues vous avez débuté ce projet. Donc c’est en quelle année que ça a commencé?
Dr Cadieux : Il faut savoir que ce projet-là découle d’un premier projet qu’on avait réalisé au Québec en partenariat avec le Barreau du Québec. Donc ça fait quand même dix ans maintenant que je m’intéresse à la santé des avocats, avocates et autres professionnels du droit également. Donc dans le cadre d’une étude qu’on avait faite au Québec, j’étais allée faire des entrevues qualitatives sur le terrain dans trois Barreaux du Québec, trois Barreaux régionaux, pour un peu comprendre vraiment les facteurs de risques spécifiques à la pratique du droit, ce qui avait mené donc à un premier rapport au Barreau du Québec, puis ensuite à une collecte quantitative à l’échelle du Québec où on avait eu quand même 2700 professionnels au Québec qui avaient participé. Et c’est en présentant les résultats, qu’on avait obtenus au Québec, devant les Barreaux canadiens avec l’invitation de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada où la réception avait été incroyable, de la Fédération.
Et à ce moment-là, on a commencé à entamer des pourparlers pour faire une étude, voir si ça serait possible de faire une étude à l’échelle nationale. Et donc on a fait cette étude-là, on a conclu un partenariat en pleine pandémie alors que nous venions tout juste d’entrer en contexte de pandémie. On a longtemps jonglé en se disant est-ce qu’on continue. Est-ce que ça va biaiser les résultats? Et finalement, en discutant avec les partenaires, on s’est dit qu’il n’y aurait pas de meilleure occasion de s’intéresser à la santé que celle de la pandémie. Donc c’est un projet qui a débuté en 2020 formellement et dont la première phase se termine en 2022, puis la deuxième phase débute, a déjà commencé, et elle se terminera en 2025. Donc c’est quand même un projet de très longue haleine, mais aussi de très grande envergure ce qui exige quand même du temps.
Intervieweur : Tout à fait, puis justement si on rentre un peu dans le vif du sujet, donc cedit rapport. Finalement quel est un peu, je sais que c’est une question très large, mais quel est l’état en général de notre santé psychologique au final?
Dr Cadieux : J’aurais certainement une réponse courte à vous donner à ça, puis aussi une réponse plus longue. Je dirais que clairement, si j’avais à donner la réponse courte d’abord, je dirais plus ou moins bonne et je dirais même mauvaise. Mais je crois malgré tout que cette réponse courte mérite des nuances et elle mérite d’être appuyée par certains indicateurs clés qu’on a mesurés dans le cadre de cette étude-là et, évidemment, dans le contexte qu’on les a mesurés. D’abord, on a collecté ces données-là suivant la troisième vague de COVID-19 et durant la pandémie l’ensemble de la population canadienne a été fortement impacté par la situation pandémique, par les mesures sanitaires, par les turbulences, l’incertitude, les changements multiples qui s’opéraient en même temps dans les milieux.
Et malgré tout, ce qui est intéressant, c’est qu’il y a quand même eu des études au même moment dans la population canadienne en général qui nous permettent quand même d’avoir des comparatifs, mais qui montre malgré tout que toute chose étant égale par ailleurs, on a quand même des proportions qui sont plus élevées dans la communauté juridique. Ce qui était déjà le cas avant la pandémie. Avant la pandémie, avec l’étude qu’on avait faite au Québec, on avait vu quand même que les professionnels du droit étaient vraiment affectés par des proportions de détresse psychologique plus importantes et que ces proportions-là étaient plus importantes que la communauté en général. Maintenant, depuis la pandémie, si on prend les résultats simples de l’étude qu’on a faite, on a constaté que 59 % des professionnels du droit, pensez-y 59 % c’est [inaudible 00:18:46].
Intervieweur : 59, c’est énorme. C’est énorme.
Dr Cadieux : C’est plus qu’un professionnel sur deux les milieux juridiques qui vit de la détresse, donc c’est vraiment très important. Puis il faut savoir également que c’est le même constat quand on regarde l’épuisement professionnel. 56 % qui sont à un niveau quand même assez important pour qu’on se dise que c’est de l’épuisement professionnel, 29 % de symptômes dépressifs qui vont de modérés à sévères, 36 % d’anxiété à un stade préoccupant et presque un professionnel sur quatre, 24 %, qui ont eu des idées suicidaires au cours de leur pratique professionnelle. C’est vraiment élevé quand on pense, par exemple, à d’autres professions comme aux médecins où des études canadiennes comparables tentent à situer autour de 19 % cette proportion-là. Donc ça veut dire que c’est quand même très élevé.
Intervieweur : J’allais vous demander justement des comparatifs avec d’autres professions, donc vous avez un peu répondu à ma question ici. Puis je me demandais aussi en vous écoutant, parce que les professionnels… Par exemple, moi, je suis avocate, mais je travaille avant tout pour une organisation gouvernementale. J’ai des collègues qui travaillent au gouvernement, j’ai des collègues qui travaillent au privé dans de grosses firmes, de petites firmes. Cette étude, c’était large, j’imagine, on parlait de professionnel juridique au sens large. Est-ce qu’on parlait seulement... Parce que je sais que des fois, je l’ai déjà entendu, on va dire : « Oui, mais les avocats au privé sont hyper stressés. », donc est-ce que c’était ici seulement eux et elles ou au contraire ce n’est pas que les avocats du privé, c’est la profession juridique en général?
Dr Cadieux : La profession juridique en général. Il faut savoir qu’on a mesuré… En fait, on a dressé, dans le rapport qu’on vient de publier, on a dressé un portrait général, mais aussi spécifique. C’est-à-dire qu’on est allé voir dans le secteur public versus privé. On a fait des comparaisons statistiques pour voir s’il y avait des différences significatives. Donc d’abord, si on fait juste regarder le public versus le privé. Il n’y a pas de différences significatives entre les deux, donc c’est presque le même pourcentage à un pour cent près, de mémoire. Donc et ce qu’on voit, ce qui est vraiment très intéressant, c’est que moi, même après 10 années, je découvre toujours de nouvelles choses et je suis toujours impressionnée de voir que malgré l’hétérogénéité de la pratique du droit, il y a une homogénéité au niveau des facteurs de risques. Donc des fois, on dit : « Ah, c’est les heures facturables », « Ah, c’est les demandes émotionnelles », mais je vous dirais qu’au final c’est les mêmes problématiques. Elles émanent toutes des mêmes racines, ces problématiques-là. Donc ça, c’est intéressant et je vous dirais qu’on a pu justement aller dans plusieurs contextes de pratiques différents, que ça soit selon les champs de pratique, que ça soit les jeunes en début de carrière, que ça soit les professionnels plus expérimentés. Donc on est allé voir vraiment une diversité de contexte pour aller voir quel est l’impact le plus important ou parfois le moins important de certains facteurs de risque selon les contextes.
Intervieweur : Puis c’est également, je pense, la richesse de ce rapport. J’ai trouvé ça très, très intéressant, j’ai beaucoup aimé. Je le garde très précieusement dans ma pochette arrière pour le sortir, le montrer, allumer aussi certains, certaines collègues. Puis je comprends qu’il y a toujours des surprises, donc je comprends aussi qu’il y avait aussi une certaine… vous aviez une certaine idée des résultats. C’est venu confirmer certains résultats. Est-ce que certaines surprises que vous avez eues vous ont fait dire : « Ah, ça, voilà… » soit dans le bon sens, soit dans le mauvais sens. Vous pensiez que ça allait être plus, ça a été moins ou donc vraiment quelque chose qui vous a surprise dans ce rapport?
Dr Cadieux : Oui, je dirais ce qui m’a le plus surpris et ce qui, de mon point de vue, est le plus alarmant, c’est non pas les résultats, mais d’autres éléments qui sont concomitants à ces résultats-là. Parce qu’évidemment au niveau des indicateurs, on se doutait bien qu’on aurait des indicateurs qui étaient élevés. C’était déjà le cas avant la pandémie et la pandémie n’a certainement pas amélioré les choses. Mais ce que j’ai trouvé particulièrement préoccupant de mon point de vue, particulièrement alarmant, c’est les barrières liées au fait d’aller chercher de l’aide. Vous savez, il y a une large proportion des professionnels du droit qui nous ont répondu que dans le passé ils avaient vécu des difficultés, du stress et qu’ils n’avaient pas été en mesure d’aller chercher de l’aide pour toutes sortes de raisons. Parfois parce qu’ils ne connaissent pas suffisamment bien les services qui sont offerts par les programmes d’aide, parfois parce qu’ils manquent de ressources que ça soit [temps? 00:23:28], que ça soit en termes financiers. D’autres professionnels craignent la confidentialité des programmes d’aide, donc ont peur que leurs collègues l’apprennent, que les associés l’apprennent, ont peur que le Barreau l’apprenne et donc ils vont hésiter à aller chercher de l’aide.
Il y a aussi toute l’image entourant ça fait que même quand c’est dans la vie par rapport à ma vie privée, aux gens qui gravitent autour de ma vie privée, je crains l’image que ça va projeter. Donc les gens voient ça comme une faiblesse et je dirais que ça fait partie des barrières qui sont quand même importantes et sur lesquelles on peut travailler. Donc ça, c’est préoccupant, puis j’irais même jusqu’à dire, je me rappelle, en particulier, d’une statistique où il y avait un professionnel, c’est-à-dire qu’on évaluait la proportion de professionnels qui n’avaient pas été en mesure d’aller chercher de l’aide alors qu’ils avaient eu des idées suicidaires. C’est 60 %, c’est vraiment important. C’est 60 % des professionnels qui sont eu des idées suicidaires en cours de pratique qui ne sont pas allés chercher de l’aide pour toutes sortes de raison parmi ces barrières-là que je viens de vous évoquer. Fait que ça, c’est la première des choses.
La deuxième des choses, c’est encore une barrière, mais c’est la stigmatisation. Il y a une stigmatisation dans la communauté juridique, mais dans d’autres communautés aussi. On peut penser à toutes les professions réglementées, les environnements de travail hautement qualifiés, hautement performants. Il y a de la stigmatisation. Il y a encore beaucoup… On doit faire beaucoup de sensibilisation en matière d’aller chercher de l’aide de façon préventive, avant de développer des symptômes trop significatifs qui signifient qu’on est en dépression, par exemple. Et on a posé des questions de… On a eu un regard très intéressant, je pense, sur la situation. On a posé aux gens « Que pensez-vous des professionnels du droit comme vous qui vivent avec des enjeux liés à la santé mentale dans le cadre de leur pratique? » Donc par exemple, « Je pense que les gens qui vivent des défis en lien avec leur santé mentale sont faibles ou ne devraient pas pratiquer le droit ou… »
En tout cas, bref, on a posé plusieurs questions, mais ensuite on a posé les mêmes questions, mais par rapport à ce que je perçois des gens qui exercent notre pratique. Donc « Comment pensez-vous que les professionnels dans votre profession perçoivent les gens avec des enjeux de santé mentale? » Et savez-vous quel est l’écart entre la perception individuelle et la perception collective? C’est 40 %, c’est énorme. C’est 40 % d’écart et ça, ce 40 %-là c’est un obstacle significatif pour aller chercher de l’aide. Et on peut le réduire de façon très considérable en parlant de santé mentale un peu à travers des balados comme vous le faites aujourd’hui, mais aussi en faisant des campagnes de sensibilisation, dans les organisations en ayant des pratiques comme en organisant des dîners thématiques, en mettant la santé en valeur, en la mettant de l’avant, en étant sensible aux enjeux de santé. Puis les [humains? 00:26:55] je pense qu’on est capable de réduire cette stigmatisation-là.
Intervieweur : C’est tellement intéressant, puis juste pour être certaine, pour être sûr qu’on s’est tous bien compris. C’est qu’en fait, j’imagine que quelqu’un, par exemple, sa réponse est moins dans le jugement, mais il voit plus que les autres personnes extérieures vont juger. C’est ça les enjeux, voilà donc. Mais c’est quand même, comme vous dites, c’est très parlant. 40 % c’est énorme comme différence, puis c’est aussi, je pense, c’est vraiment… Comme vous dites, vous avez parlé des racines, puis je pense que tout ce qui est associé à la performance, puis la faiblesse qu’on associe à la sensibilité, à ces enjeux-là, je pense qu’il faut en parler, puis il faut vraiment déconstruire ça beaucoup aussi, je pense. Mais c’est vraiment très, très intéressant et j’avoue que je vois tout ça aussi. Moi, je travaille beaucoup dans ce qui est égalité des genres et tout et je pense que toutes les questions aussi de sortir parfois toutes les masculinités comme qu’on essaie de prouver. Puis la profession juridique parfois est très encore dans ce conservatisme-là. Donc c’est quand même très intéressant. Je m’emballe un peu, mais c’est que je vois tout ce côté-là aussi que je trouve…
Dr Cadieux : C’est tout à fait intéressant, puis vous savez juste sur la question de la diversité dans la pratique du droit, on a tout un segment, une bonne partie du rapport qui est consacrée à comprendre les enjeux vécus chez les professionnels selon différents profils, par exemple les membres de la communauté LGBTQ, les personnes issues de minorités culturelles ou ethniques, les gens selon les jeunes, les personnes selon l’âge, donc ça peut être des jeunes, mais ça peut être aussi de professionnels plus expérimentés qui sont parfois victimes d’âgisme. Il va y avoir également les professionnels en situation de handicap. Donc, bref, il y a vraiment une diversité, les femmes et tout ça. Donc on a vraiment analysé différents profils, puis je vous dirais que ce qu’on a retrouvé d’intéressant et qui montre encore une fois la stigmatisation, mais de façon indirecte.
Je discutais de ça d’ailleurs récemment avec [Steve Bigeau] à l’Association du Barreau canadien. Lorsqu’on s’est rencontré en Saskatchewan, on discutait de ça, puis je lui disais : « Vous savez, fait intéressant, on a mesuré la discrimination perçue selon différents profils, qui est un peu une forme de stigmatisation, mais appliqué dans le contexte de travail quand on le vit au quotidien et dans ce cadre-là on a posé la question aux gens s’ils se sentaient discriminés. » Il y avait plusieurs questions, mais on a vu que les membres de la communauté LGBTQ étaient vraiment parmi ceux où le sentiment de discrimination était le moins élevé. J’étais quand même surprise de ça, que dans un milieu assez conservateur, la profession juridique est encore assez conservatrice, peut-être moins dans certaines provinces que dans d’autres, mais en tout cas bref, au final j’étais surprise. Mais je suis allée voir, parce qu’on a aussi posé la question : « Est-ce que les gens de votre milieu le savent que vous êtes membres de la communauté LGBTQ? » Ben il y en a 40 % qui le cachent à leur milieu de travail.
Donc voilà, ceci explique cela parce que finalement on ne posait pas les questions sur la discrimination si les gens du milieu ne le savaient pas pour ne pas induire un biais. Et donc ça montre à quel point même quand un phénomène n’est pas présent, il est présent de façon indirecte, de façon sous-jacente, donc les gens hésitent à aller parler de ces questions de diversité et tout ça. C’est préoccupant quand même parce que la vie au travail est un milieu d’épanouissement. C’est un milieu où on partage, puis sans rentrer dans le détail de notre vie privée, mais quand on arrive le lundi matin, de dire « je suis allé avec mon conjoint, ma conjointe faire du ski », mais là c’est comme si ça devient complètement étanche la vie personnelle, puis la vie professionnelle dans un contexte comme ça. Et donc ça limite aussi la proximité du soutien qu’on peut obtenir des collègues dans certains contextes où on vit [Intervieweur par-dessus intervenant 00:31:01] difficultés.
Intervieweur : J’ai l’impression que vous pourriez nous sortir des statistiques, des informations pendant des heures et des heures. Moi aussi, encore je le réitère, j’aime beaucoup comment le rapport a été fait, puis je pense que tout le monde qui nous écoute peut trouver aussi certains passages ou certaines réalités qui les concerne plus, qui les touche plus, puis tout le monde est concerné en fait. Puis je pense que c’est ce que montre ce rapport-là aussi, c’est que ça touche vraiment tout le monde. Puis il faut vraiment qu’on sorte, qu’on déstigmatise la chose, puis j’aimerais un peu… Est-ce que… Il y a plusieurs témoignages, j’ai aussi aimé comment c’est fait, ça, des témoignages que vous avez pris. Vous avez marqué, parfois vous les avez mis mot pour mot. Est-ce que vous, de votre côté, vous avez raconté quelques anecdotes, mais j’ai comme le goût de vous en demander d’autres. Une qui vous a personnellement marquée peut-être lorsque vous avez fait cette étude?
Dr Cadieux : Je dirais que oui. Il y en a plusieurs qui m’ont marqué. Vous savez, à la fin de l’enquête, on avait une boîte de sondage, de commentaires, excusez-moi, et dans cette boîte de commentaires on avait alloué un certain nombre de mots. Je me disais c’est clair… Je n’avais pas tellement d’attente parce que je me suis dit les professionnels… C’était quand même, ça prenait parfois une heure pour certains profils pour répondre à l’enquête. Donc je me disais rendu là peut-être que ça ne leur tentera pas d’écrire des commentaires. Mais vous savez quoi? On a reçu 300 pages de commentaires des professionnels. Ça a été incroyable. Ça a été… Et on les a tous lus. On les a tous lus, on les a tous analysés et on a choisi d’inclure une partie de ces commentaires-là, évidemment en les anonymisant, en les décontextualisant parfois pour éviter justement que le professionnel soit identifié. Mais simplement pour donner une voix aux professionnels. En mettant des segments selon les différentes thématiques du rapport, donc ça s’appelle la voix des professionnels du droit. Donc vous avez des segments dans chacune des sections du rapport, puis parmi ces…
On a reçu aussi plusieurs courriels. On a créé une boîte qui s’appelle [inaudible 00:33:07] que les professionnels peuvent écrire, également directement à l’Université de Sherbrooke, ça arrivait directement à moi dans ce cadre-là. J’ai reçu beaucoup de témoignages et parmi ceux-ci, celui d’une jeune femme qui était enceinte, ou avait été enceinte dans un cabinet privé et avait fait le choix de cacher la situation à ses collègues pour être en mesure de continuer d’avoir des dossiers intéressants, à atteindre ses objectifs et tout ça. Et allant même jusqu’à consommer de l’alcool pendant toute la grossesse devant ses collègues pour éviter que ses collègues fassent le lien et se rendent compte qu’elle était enceinte finalement. J’ai trouvé ça immensément triste et [inaudible 00:33:51], je ne suis pas du tout dans le jugement. Ça m’a touché particulièrement comme femme. Moi, je suis une professionnelle. J’ai moi-même cinq enfants et donc je me suis dit que ça montre comment il y a encore beaucoup de travail à faire dans le milieu de travail pour… On parle de conciliation travail-famille, donc il y a plein d’organisations qui ont de belles politiques de conciliation travail-famille, mais qui malheureusement ont des propos parfois contradictoires qui ne permettent pas d’actualiser ce droit à la conciliation travail-famille.
J’ai même déjà entendu dans le passé, des professionnels, de jeunes professionnels se faire dire « Si tu veux avoir des enfants, ne viens pas travailler ici parce qu’il n’y a jamais personne qui est allé en congé de maternité jusqu’à présent ». Donc c’est malheureux, mais ça existe encore aujourd’hui malgré que ça soit proscrit selon la Charte des droits et libertés, mais je vous dirais que c’est encore présent. Puis un autre professionnel, un homme cette fois, qui a dit, après avoir raconté son témoignage, puis les difficultés vécues : « Vous savez, au fil des ans, cette profession-là m’a tué à plusieurs reprises et de bien des manières. » Je trouvais ça quand même lourd de sens et ça montre comment des fois les professionnels se sentent un peu pris au piège. Ils vivent des difficultés, mais en même temps ça l’a un coût social important de quitter sa profession quand on est malheureux fait que c’est ça. Ça, c’est difficile de recevoir ça parce que tu te dis ces gens-là après plusieurs années d’études, plusieurs années investies dans leur carrière, vivent ces difficultés-là et quitter la profession c’est avec de graves conséquences.
Mais vous savez, un autre élément qui est préoccupant au-delà des indicateurs de santé, c’est l’engagement des ordres professionnels, puis l’engagement dans la profession. On a mesuré, on a demandé aux gens : « Si vous aviez la chance de quitter votre profession pour un emploi plus rémunérateur ou au même niveau de rémunération, est-ce que vous le feriez? » Vous savez, on a 54 %, je crois, des professionnels qui ont répondu « Oui » fait que c’est plus qu’un professionnel sur deux qui quitte la profession ou qui veulent le faire. On a quand même 7300 répondants. Fait que moi je trouve que c’est quand même parlant, puis si on veut protéger l’engagement des professionnels dans le futur, c’est clair pour moi qu’on doit soutenir de manière durable la santé des professionnels.
Ça passe nécessairement par-là sinon on aura du mal à recruter dans le futur, puis ça je pense que s’il y a un message à recevoir. J’ai vu aussi dans les dernières semaines que déjà le message a été reçu. J’ai eu de grands cabinets avec qui j’ai échangé, mais j’ai entendu des réorientations dans ce cadre-là parce qu’on a du mal à recruter. Les jeunes professionnels qui arrivent ne souhaitent plus travailler dans des contextes, qui ne s’identifient plus dans des modèles où ils doivent travailler 60-70 heures par semaine. Ce n’est pas ce qu’ils veulent.
Intervieweur : Non, c’est vrai ça. Avec tout le, je l’ai juste en anglais, mais off care dont on parle beaucoup plus maintenant, j’ai l’impression que, puis vous le confirmez avec ce chiffre-là, les gens n’ont peut-être plus cet intérêt-là à donner tout ce qu’on a à la profession, à la carrière, puis au risque de notre propre santé psychologique.
Dr Cadieux : Et c’est tant mieux, c’est tant mieux.
Intervieweur : C’est tellement tant mieux, mais tellement.
Dr Cadieux : C’est tellement tant mieux parce que la vie c’est un tout.
Intervieweur : C’est ça.
Dr Cadieux : La carrière c’est important, mais ce n’est qu’un pilier dans l’épanouissement d’une personne et quand on… Je compare ça des fois aux fondations d’une maison. Vous avez différents piliers. Vous avez « vous » en tant qu’individu, ce que vous êtes, comment vous prenez soin de vous. Vous avez votre famille, puis tout le noyau familial rapproché. Ça peut être un conjoint ou une conjointe, des enfants, tout ça. On a la carrière, puis on a les [ennemis? 00:38:03], puis des fois notre implication sociale. Tout ça forme un tout, puis quand on décide de surinvestir dans une de ces sphères-là au détriment d’autres sphères, tant que ça va bien ce n’est pas si mal parce qu’il y en a qui vont dire : « J’aime travailler. J’aime mon travail » et justifient cet investissement-là en disant ça. C’est correct d’aimer son travail, mais ça ne veut pas dire non plus de [limiter? 00:38:29] d’autres sphères de vie qui…
Malheureusement, ce qui arrive souvent dans ces cas-là, ce que moi je leur dis : « C’est super. Vous allez avoir un super gros pilier dans la pièce où vous allez avoir investi beaucoup, mais je vous souhaite de ne jamais rencontrer de grands vents parce que si vous vivez des difficultés dans votre vie professionnelle ça devient votre unique pilier. » Donc tout le reste auquel on a fait le vide autour fait en sorte qu’on a du mal à aller chercher du soutien de proximité que ça soit dans la famille parce qu’on a fait des choix, des fois de pas avoir d’enfants, des fois on n’a pas beaucoup de vie sociale en dehors du travail. Fait que quand on vit des difficultés, puis on en vit tous des difficultés, on ne va pas se leurrer, que ça soit un client difficile, que ça soit un associé qui quitte notre bureau, que ça soit un conflit. Donc là on va avoir du mal à aller chercher du soutien dans [inaudible 00:39:19]. Fait que ça, c’est préoccupant fait que tant mieux si les professionnels sont de plus en plus sensibilisés à ça.
Intervieweur : Tant mieux aussi s’il y a des rapports comme ça qui sortent et ça, je ne peux que le répéter. Puis je suis très contente aussi de savoir qu’il y a une deuxième phase, puis que les recommandations s’en viennent. Juste une dernière question, puis j’ai l’impression que ça va être « Oui » la réponse, mais êtes-vous optimiste quant aux changements qui peuvent être faits et qui peuvent être apportés pour améliorer la santé psychologique de notre profession? J’ai l’impression que tout votre message est plus dans l’optimisme malgré tout, mais j’aimerais quand même vous entendre quelques mots sur ça.
Dr Cadieux : Oui, je suis très optimiste parce que l’étude qu’on vient de faire est quand même une étude assez exhaustive, j’oserais dire. On a analysé selon différentes perspectives les enjeux de santé et ça nous a permis quand même d’élaborer des recommandations qui touchent tous les acteurs à tous les niveaux de la communauté juridique, que ça soit dans les organisations, mais que ça soit aussi au niveau des Barreaux, que ça soit au niveau des associations professionnelles, au niveau des programmes d’aide également, puis beaucoup d’actions qui sont faisables dans le quotidien. Ça nous a permis de développer des recommandations qui soient porteuses, puis je pense que le message à retenir à la lumière de ces recommandations-là… En fait, les recommandations, il y en a une dizaine de recommandations et chacune de ces recommandations-là inclut des recommandations plus spécifiques sur une cinquante de recommandation, quand même. Et on a les ancrées, on les a rendues très, j’oserais dire, SMART en termes d’objectifs. Donc on a clarifié les objectifs, puis identifié des actions précises, mesurables pour les professionnels.
Je pense que le premier pas vers une amélioration, c’est la mesure. Ce premier pas-là est franchi pour la communauté et maintenant on a identifié des actions très claires comme développer certains contenus de formation, comme revoir l’organisation du travail, je pense par exemple aux heures facturables. Donc on a fait des suggestions en ce sens-là, puis du moins pour minimiser certains profils qui sont particulièrement plus, je pense, chez les jeunes professionnels, chez les professionnels très exposés à des demandes émotionnelles intenses qui peuvent en vivre même des traumatismes au fil du temps. Donc je crois qu’on ne peut qu’être optimiste à ce stade-ci. Et je pense que malgré tout je demeure toujours une éternelle optimiste sinon je ne ferais plus de recherche.
Intervieweur : Ça, j’aime ça entendre ça, puis c’est un peu ça qu’on a aussi quand on fait nos podcasts. On parle des gens qui touchent à des sujets très difficiles parfois, puis tout le monde on parle du cynisme et tout, mais pour rester optimiste, puis je pense que c’est avec des gens comme vous qui travaillent sur ces sujets-là qu’on… Moi je suis très optimiste de voir ça, puis je suis vraiment… Merci encore, vraiment très, très… Puis je parle pour moi et mes collègues à qui j’en ai parlé aussi de ce rapport-là, vraiment on vous remercie pour tout le travail qui a été mis derrière ça, puis pour avoir à cœur la santé de la profession juridique. Et vous maintenant Fabien, est-ce que vous êtes optimiste que la profession juridique va vraiment lire, comprendre et qu’elle va bien réagir face aux conclusions et aux recommandations qui sont faites dans ce rapport ou est-ce que, en fait, elle va plutôt avoir une réaction du style : « Ben oui, voilà, c’est comme ça. On le savait déjà, mais on va continuer quand même parce que de toute façon ça fonctionne bien. »?
Fabien : Je pense qu’une façon de le voir c’est ça, effectivement, puis on peut se dire : « Bon, on va continuer jusqu’à ce que ça ne marche plus », mais ce qui arrive quand ça ne marche plus c’est… Donc c’est une profession qui est basée sur les gens. Le service juridique ce n’est pas un service qui est… C’est un service qui est rendu en partie par une machine parfois, mais il faut quelqu’un derrière pour opérer la machine et si la personne qui opère la machine est elle-même brisée, bien le service ne sera pas rendu de façon acceptable. Ce qu’on voit avec ce rapport-là, c’est qu’il y a une proportion des gens, effectivement, qui sont brisés. Donc je crois, ce qui nous guette finalement si on ne prend pas action, ce qui nous guette c’est ça. C’est qu’on n’aura plus accès à des gens qui seront prêts à faire ce travail-là. Pourquoi? Parce que c’est un travail qui dirige les gens directement vers leur [huit? 00:43:42]. Je ne sais pas pour vous, mais moi personnellement ce n’est pas un endroit où je souhaite être, puis je suis prêt à parier que si on a déjà une bonne proportion des jeunes aujourd’hui qui nous disent qu’ils sont en difficulté, je pense que d’ici 5, 10, 15, 20 ans on aura des problèmes sérieux de recrutement.
Le bassin de candidats potentiels n’est peut-être plus ce qu’il était, puis je pense que c’est ce vers quoi on se dirige si on ne prend pas action. Bien essentiellement, c’est une profession qui n’est pas en mesure de rendre le service qu’elle doit rendre, puis ça pose bien sûr des problèmes beaucoup plus sérieux si on se retrouve là. Et même si on est un groupe et une profession relativement conservatrice comme je le disais plutôt, j’ai espoir qu’on est en mesure de faire ce qu’il faut pour ne pas se retrouver là. Je pense que ça fait partie du travail que l’Association du Barreau canadien est en mesure de faire avec les cabinets, grands et petits. C’est donc de porter finalement à l’attention des gestionnaires les résultats de l’étude en question, que ça soit avec les managing partners, avec les gens de ressources humaines des grands cabinets pour s’assurer qu’il y a une connaissance finalement de ces résultats-là. Est-ce que je suis optimiste? Oui, absolument, mais comme je disais ça ne va pas arriver tout seul. On ne peut pas s’attendre à ce que spontanément la profession change du jour au lendemain. Je crois qu’il faut graduellement, comme je le disais, porter l’étude à l’attention des gens, puis souligner la nature du problème, faire voir que l’avenir du recrutement pour les grands cabinets comme pour les petits est potentiellement en jeu.
Ça devient un problème d’affaires à ce moment-là, un problème de chiffre. S’il n’y a plus de personnel qui est prêt à s’investir auprès des cabinets en question, le client va faire quoi? Le client va aller où? Donc je pense qu’il y a un avantage concurrentiel finalement pour les cabinets qui sont prêts à faire ce qu’il faut, qui sont prêts à s’investir dans le changement. Il y a un avantage concurrentiel pour eux parce que non seulement ils vont attirer un certain talent, mais ils vont pourvoir retenir ce talent-là, plutôt que ceux qui vont choisir d’attendre et de voir ce qui se passe. Ce n’est pas une question de… Ce qui est difficile c’est que ce n’est pas une question d’en faire une belle brochure de recrutement. On va diminuer la cible des heures facturables, on va faire une belle brochure de recrutement, puis on va s’arrêter là. Non, il faut qu’il y ait un sentiment pour que ça soit sincère et efficace. Il faut qu’il y ait un sentiment que l’employeur en question s’investisse dans le bien être de son personnel. Et la réalité est que les gens dans la profession se parlent et on va savoir qui sont ceux qui s’investissent réellement et qui font réellement les efforts plutôt que ceux qui ne le font pas. Puis je pense que, comme je le disais, c’est effectivement un avantage concurrentiel pour ceux qui choisissent de s’investir.
Intervieweur : Merci beaucoup Fabien Fourmanoit du sous-comité Bien-être de l’ABC. Merci beaucoup docteur Cadieux vraiment pour votre temps et on va rester définitivement à l’affût des recommandations qui, je comprends en plus, sont des recommandations un peu clé en main. C’est toujours mieux quand on peut vraiment savoir, on n’a pas besoin de se creuser la tête sur comment les mettre en œuvre. Bien merci beaucoup, puis je vous souhaite une très belle journée.
Dr Cadieux : Merci ça me fait plaisir, puis merci beaucoup à vous de me donner une occasion encore de discuter de santé pour justement abattre ces frontières de la stigmatisation, puis sensibiliser à l’importance d’aller chercher de l’aide quand on en a besoin parce que ça, je pense que c’est un message qu’il faut retenir, puis chaque action compte. Ça aussi, il faut le retenir. Ce n’est pas d’entreprendre, de mettre la hache dans la structure au complet, mais de plutôt entreprendre… Je crois beaucoup aux petits pas et quand chacun fait un petit pas, au final, on finit par faire de grandes choses donc je vous remercie encore une fois.
Intervieweur : Et voici finalement les dix recommandations qui, ne vous en faites pas, feront certainement le sujet d’épisodes futurs de Juriste branché. Donc pour nous diriger vers une pratique saine et durable du droit au Canada il faut :
Donc merci beaucoup de nous avoir écouté aujourd’hui et vraiment un grand merci à vous Fabien Fourmanoit du sous-comité ABC Bien-être ainsi que la docteur Nathalie Cadieux de l’Université de Sherbrooke. N’hésitez pas à nous écrire à podcast@cba.org et n’hésitez pas à partager cet épisode sur vos réseaux sociaux. Pour nos épisodes précédents et futurs, abonnez-vous à Juriste branché.