Avec notre invité Me Jean-François Leroux, nous explorons la question de l’aide à mourir et le projet de loi fédérale C-7.
Avec notre invité Me Jean-François Leroux, nous explorons la question de l’aide à mourir et le projet de loi fédérale C-7.
Nous parlons de l’historique de la loi sur l’aide médicale à mourir, de l'influence et des travaux de l'ABC sur le sujet, de l'impacts sur les législations provinciales et bien plus.
Me Jean-Francois Leroux a agi à titre de co-procureur dans le procès Gladu/Truchon pour lequel il a représenté deux citoyens qui ont réussi à invalider les dispositions du Code criminel qui conditionnaient l’accès à l’aide médicale à mourir au fait d’être en fin de vie. Me Leroux agit régulièrement à titre de conférencier sur les questions relatives aux soins de fin de vie.
Cliquez sur les liens pour consulter l'article du Magazine National Entre l’autonomie et la protection, les recommendations de l'ABC et la victoire de la soumission de l'ABC.
Nous sommes sur Spotify, Stitcher, Apple Podcasts et laissez une évaluation.
Vous avez des questions ou souhaitez obtenir plus d’information? N'hésitez pas à nous contacter à: podcasts@cba.org en citant l’objet « Balado ».
Parlons de l'aide médicale à mourir
Katherine : Vous écoutez Juriste branché présenté par l'Association du Barreau canadien. Bonjour et bienvenue à Juriste branché, je suis votre animatrice Katherine Provost. En novembre 2020, l’Association du Barreau canadien comparaissait devant le Comité permanent de la justice et du droit de la personne de la Chambre en appui au Projet de loi fédérale C-7. Un mémoire a été rédigé par le groupe de travail de l'ABC sur la fin de vie. Quelques semaines plus tard, en février 2021, l'ABC comparaissait également devant le comité du Sénat. Le projet de loi C-7 modifie le Code criminel afin de permettre aux personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible d’obtenir l’aide médicale à mourir. Bien que l'ABC soutienne plusieurs aspects du projet de loi, il n’en reste pas moins que certaines préoccupations inquiètent l’association, telle que l’exclusion actuelle de la maladie mentale. Pour en discuter aujourd’hui nous recevons Me Jean-Leroux chef de file dans le domaine de la responsabilité médicale. Durant l’hiver 2019, Me Leroux a agit à titre de Centre-Ouest-procureur dans le procès Gladu-Truchon pour lequel a représenté deux citoyens qui ont réussi à invalider les dispositions du Code criminel qui conditionnait l’accès à l’aide médical à mourir au fait d’être en fin de vie. En 2020, en attendant que le Code criminel soit modifié pour être conforme au jugement Gladu-Truchon, Me Leroux a représenté plusieurs citoyens et leur a obtenu une exemption constitutionnelle afin d’obtenir l’aide médicale à mourir alors qu’ils ne satisfaisaient pas les critères de fin de vie. Me Leroux agit régulièrement à titre de conférencier sur les questions relatives aux soins de fin de vie, et ce, dans le cadre des activités de formation continue des professionnels de la santé, des avocats et du grand public.
Bienvenue Me Leroux.
Me Leroux: Merci.
Katherine : L’ABC est impliqué dans la question de l’aide médicale à mourir depuis plusieurs années déjà, il y a même un groupe de travail qui est dédié à l’enjeu? Pourquoi à votre avis ce dossier est-il si important et d’actualité au sein de la société canadienne?
Me Leroux: Écoutez… pour moi c'est un sujet qui est universel. C'est un sujet qui est universel parce que ça nous concerne tous de près ou de loin. On va tous être, un jour ou l'autre, confrontés à la mort. Mais on est aussi confronté à cette réalité-là à travers nos proches. Y a eu beaucoup de changement dans le paysage législatif au cours des 6 dernières années. Le cadre législatif est en transformation, je vous dirais, depuis 6 ans. Que ce soit à travers des réformes législatives ou que ce soit à travers des débats juridiques plus formels, je pense que c'est des changements qui sont plus rapides si on se place à l’échelle du droit en général. À l’opposé, pour certaines personnes ne sont juste pas assez rapide. C'est un thème qui est clairement polarisant et qui est contaminé, jusqu'à un certain point, par nos croyances personnelles, par notre vécu, par nos craintes, par ce qu’on peut s’imaginer qu’on voudrait que soit notre mort, alors que c'est vraiment quelque chose qu’on ne contrôle pas. Alors je pense qu’on a l’impression d’avoir plus de contrôle, puis de se doter de plus d’outils pour nous permettre de contrôler un moment où on sait très bien que finalement on ne contrôlera pas trop ce qui va se passer nécessairement. Alors, je pense que c'est certainement les raisons parmi lesquelles c'est un sujet qui est si couvert et qui génère autant de passion.
Katherine : Pour bien se mettre en contexte, est-ce que vous pourriez nous parler brièvement de l’historique de la Loi sur l’aide médicale à mourir?
Me Leroux: Oui, alors, c'est le Québec qui est précurseur d’un premier cadre législatif en matière de soin de fin de vie, ou en 2015 est entrée en vigueur la Loi des soins de fin de vie où on ouvrait la porte à l’aide médicale à mourir, mais dans un contexte de soin. À tort souvent les gens croient que c'est le résultat d'une démarche, bon, politique, de différents groupes de pression. Mais dans le fond, en fait, la démarche a été initiée par les membres du Collège des médecins. Et ça, c'est pas nécessairement très connu ou diffusé. En fait, la réflexion découle d’un comité qui a été créé alors qu’il y avait des questions qui se posaient sur l’acharnement thérapeutique. Entre autres, en début de vie, donc pour ce qui est des grands prématurés, et aussi, en lien avec l’acharnement thérapeutique en fin de vie.
Alors, il y a un comité qui a été créé au Québec, où, au Collège des médecins on se questionnait à savoir, finalement c'est quoi les soins appropriés? En termes de conclusion, y a eu un sondage qui a été mené auprès des membres où on posait la question : s’il n’y avait pas d’interdit de principes en lien avec, à l’époque on référait davantage à l’euthanasie, est-ce que vous seriez à l’aise de donner ce soin-là. Et les médecins, dans la majorité des cas, sont arrivés à la conclusion qu’il existait des situations cliniques pour lesquelles il n’y avait aucune alternative à proposer aux patients, qui, dans les faits, présentaient importantes en lien avec leur situation, et pour lesquelles un soin approprié pourrait être dans les faits d’avoir recours à l’aide médicale à mourir. Suite à ça, il y a eu différents comités qui ont été créés, la Commission de Mourir dans la dignité a été faite et y a eu des recommandations qui ont été pondues au terme desquels la Loi concernant les soins de fin de vie a été adoptée. Alors ça, si vous voulez, c'est la première loi formelle qui a été adoptée, et ce qui était, dans le fond, un progrès social au niveau de cette loi-là, on parle beaucoup de l’aide médicale à mourir, mais c'est quatre ou cinq articles dans cette loi-là. C'est plutôt de garantir à tous les citoyens du Québec l’accès à des soins palliatifs.
Et ça, c'était vraiment le progrès social de cette loi-là, c'était de garantir au plus grand nombre, parce que, dans les faits, c'est le plus grand nombre qui va décédé sans avoir recours à l’aide médicale à mourir. L’aide médicale à mourir ça demeure statistiquement négligeable dans toutes les sociétés matures où ces lois-là ont été adoptées. C'est pas plus que 4 ou 5 % des décès. Et, au Québec, de mémoire, on est peut-être rendu autour de 2 ou 3 %. Mais, à terme, 95% des gens vont décéder sans avoir recours à l’aide médicale à mourir. Mais, pourtant, en ayant probablement recours, ou en tout cas selon la Loi concernant les soins de fin de vie, en pouvant avoir recours aux soins palliatifs. Et ça, on sait que c'était des soins qui étaient sous-financés. Puis, pas nécessairement valorisé au niveau de l’appareil et du système médical. Donc, en ce qui me concerne, le véritable progrès en lien avec l'adoption de cette loi-là, c'était de garantir l’accès à des soins palliatifs et en parallèle la mise en place du cadre normatif en lien avec l’aide médicale à mourir.
Et ça, c'est au Québec. Maintenant dans le reste du Canada le chemin parcouru est un peu différent. Malheureusement c'est le chemin des tribunaux qui a été nécessaire. Il faut souligner qu’au Québec on a été capable de tenir un débat social, bon, où on est en mesure d'exprimer nos positions respectives sur ce sujet-là et arriver à un certain consensus. Au fédéral, malheureusement, c'est plutôt une contestation judiciaire qui a été nécessaire à travers la décision Carter ou le jugement a été rendu également, donc en 2015, suivant lequel on a reconnu comme étant non constitutionnels les articles relatifs à l'interdiction de l’aide au suicide.
Katherine : Ça l’a mené au Projet de loi C-7. On en est rendu où avec celui-ci?
Me Leroux: Ouais ben en fait, avant C-7, y a eu un autre débat judiciaire qui est celui que j’ai eu le privilège de copiloter comme coprocureur, qui était l’affaire Gladu-Truchon au Québec. Suivant l’adoption de la Loi fédérale qui était C-14 après l’affaire Carter, pour avoir l’accès à l’aide médicale à mourir, on conditionnait l’accès à l’aide médicale à mourir au fait d’être en fin de vie. Alors nous, on a représenté deux citoyens, Madame Gladu et Monsieur Truchon, revendiquant le droit d’avoir l’aide médicale à mourir à l’extérieur d’un cadre de fin de vie. Et, la juge Beaudoin dans un jugement qui est digne d’une véritable commission d'enquête sur le sujet d’environ 200 pages est arrivé à la conclusion que cette interdiction-là d’avoir accès à l’aide médicale à mourir si on n’était pas en fin de vie était non constitutionnel. Et c'est en réponse à ce jugement-là que le Fédéral a été obligé d’adopter une nouvelle loi, donc qui est le Projet de loi C-7 qui a été adopté et qui est maintenant en vigueur depuis mars 2021. On s’est doté d'un nouveau cadre normatif qui encadre l’aide médicale à mourir qu’on soit en fin de vie ou non. Alors ça c'est la nouveauté en lien avec le Projet de loi C-7.
Katherine : Donc, au niveau du Code criminel ça l’a eu beaucoup de changements. Maintenant que le projet a reçu la sanction royale, qu'est-ce que ça veut dire pour le Code criminel?
Me Leroux: Alors, pour ce qui est du Code criminel, maintenant on peut donc assister quelqu'un à travers une demande d’aide médicale à mourir, même si cette personne-là n’est pas… j’utilise le terme « fin de vie », mais évidemment dans le Code criminel on parle plutôt « d’une mort naturelle devenue raisonnablement prévisible. » On utilise beaucoup l’acronyme « MNRP » pour y référer. Pour simplifier la conversation d’aujourd'hui, je vais me contenter de référer à la notion de fin de vie. Mais, en gros, c'est vraiment la nouveauté de cette loi-là de permettre aux gens qui ne sont pas dans une situation de fin de vie d’avoir accès à l’aide médicale à mourir malgré tout. Maintenant, c'est un peu particulier si on pense à la situation du Québec, alors qu’on avait la loi la plus permissive au Canada avant l’adoption de C-14.
En raison de l’adoption de C-7, et du fait qu’il existe… donc, les deux lois ne sont pas harmonisées ensemble, parce qu'on n’a jamais, au Québec, modifié notre loi, ça fait en sorte que suivant l’adoption de C-7, au Québec on a probablement la loi la plus restrictive que dans le reste du Canada. Parce que nos lois ne sont pas uniformisées, y a des choses qui sont permises au Canada à travers le Code criminel qui ne le sont pas au Québec. Pour vous donner certains exemples : on sait très bien que dans le reste du Canada, peut donner l’aide médicale à mourir, un médecin ou un infirmier praticien, ou une infirmière praticienne. Au Québec la dispensation de l’aide médicale à mourir est réservée au médecin. Au Canada on permet l’auto-administration. Donc, une personne pourrait aller chercher un médicament à la pharmacie et s’auto administrer l’aide médicale à mourir. Au Québec c'est pas permis. On permet aussi d’avoir recours, pour l’instant, à la renonciation au consentement final, donc c'est-à-dire, dans la nouvelle loi au niveau du Projet de loi C7, si on perd l’aptitude à consentir avant de recevoir l’aide médicale à mourir alors qu’on est en fin de vie, on va pouvoir donner l’aide médicale à mourir. Au Québec c'est pas permis.
Alors, on est dans une situation qui est un peu aberrante au Québec, alors que y a pas une harmonisation des deux lois. Au point où le Collège des médecins a été obligé de publier un communiqué daté du 5 mai 2021, donc c'est tout récent, la semaine dernière. Suivant ce communiqué-là, le Collège est obligé d’écrire que les médecins qui décideront au Québec d’appliquer le Code criminel ne feront pas l’objet de plaintes disciplinaires, pour rassurer en fait la communauté médicale. Parce qu'il existe vraiment un flou dans l’application des deux lois au Québec, et il est grand temps que les gouvernements harmonisent cette loi-là. Et si ç’a été très long pour le gouvernement fédéral d’adopter la Loi C-7, en toute franchise, c'est plutôt inacceptable que le gouvernement provincial n’ait pas eu le temps d’harmoniser sa loi qui date de 2015, en sachant très bien, suivant les débats parlementaires qui ont eu lieus à Ottawa, et les recommandations qui ont été faites par le Sénat, c'était plutôt facile pour eux quelles allaient être les conclusions. Alors je comprends mal qu’aujourd'hui le Collège soit obligé d’émettre des communiqués comme ça pour aider les gens à y voir plus clair.
Katherine : Au niveau provincial et l’harmonisation des législations fédérale et provinciale pour le Québec, est-ce que c'est une question d’inconfort? On ne veut pas changer la loi? Ou c'est simplement qu'on n’a pas eu le temps de faire les changements de politiques?
Me Leroux: Ben là écoutez, j’entends déjà qu’on va nous parler peut-être de la COVID, puis : ah à cause de la COVID on n’a pas eu le temps. Moi je pense que c'est peut-être un manque de coordination, je ne pense pas que c'est un manque de volonté. C'est-à-dire qu’il n’y a pas de débat de principe à faire au niveau des discordances qui existent entre la loi québécoise et la loi fédérale. Peut-être, hormis pour ce qui est la question de garder l’acte comme étant réservé au médecin. Ça, c'est peut-être une approche philosophique qui peut être pour certains défendables. Mais quand je pense à la renonciation du consentement final, ça, c'est, tout le monde s’entend pour dire que c'est correct, y a pas de débat à ce niveau-là, mais c'est pas harmonisé encore. Voyez-vous au Canada on a le droit de recevoir l’aide médicale à mourir en fonction d'une maladie ou d’un handicap. Dans la loi concernant les soins de vie, la notion de handicap n’existe pas. C'est une question de sémantique peut-être, mais à la fin de la journée, ça crée des distinctions et ça peut créer des difficultés d'interprétations bien réelles pour les médecins, qui, au final, se traduisent par des difficultés d’accès pour les patients. Et c'est ça le problème.
Le problème quand on est en présence de conflits et de discordances entre les deux lois, la seule résultante que ça a c'est que ça crée de la confusion et ça empêche l’accès. Et mois pour être clair, je ne suis pas ici pour faire la promotion de l’aide médicale à mourir, je ne l’ai pas mentionné d’entrée de jeu, mais je tiens à le faire. Je ne suis pas ici pour promouvoir l’aide médicale à mourir, je suis plutôt ici comme juriste pour faire état des lois qui sont applicables, mais aussi m’assurer qu’à terme le respect de l’intégrité physique et les choix des gens soient aussi respecter. Et, de permettre une application uniforme de la loi, puis un accès uniforme. Là, ce qu’on se rend compte, c'est qu’avec ce problème d’uniformisation là, y a clairement des problèmes d’accès avec un accès asymétrique entre ce qui peut se passer dans le reste du Canada et ce qui se passe au Québec.
Katherine : Un patient d'une province, disons du Québec, est-ce qu'il pourrait voyager dans une autre province pour recevoir l’aide médicale à mourir selon la Loi C-7?
Me Leroux: Ben, c'est-à-dire que selon la Loi C-7, pour pouvoir avoir accès à l’aide médicale à mourir, il faut être inscrit au Régime d’assurance, donc en théorie y a pas problèmes à ce niveau-là. Par contre, pour ce qui est de l’inverse, c'est pas exact. Parce que si on regarde la loi concernant les soins de fin de vie, on fait comme critères d’accès le fait de souscrire à l’Assurance maladie du Québec. Donc, un Québécois, et là il faudrait voir s'il existe d’autres règlementations plus particulières dans différentes provinces, mais pas à ma connaissance, c'est juste le Code criminel. Donc, auquel cas un Québécois pourrait en théorie changer de province. Mais, entre vous et moi, c'est pas un objectif qui est souhaitable. Si on s’est doté d’une politique pour avoir accès à l’aide médicale à mourir qui est censée être uniforme, ben alors, faisons-le! Et uniformisons le système.
Honnêtement le communiqué qui a été publié par le Collège des médecins la semaine passée règle un peu ces questions-là. Parce que le communiqué dit aux médecins, tant que vous appliquez la loi fédérale vous êtes correct. Donc, j’ose croire que ça va permettre de régulariser la situation, mais encore faut-il que les médecins soient au fait de ce communiqué-là et que ce soit diffusé au sein de la communauté, ce qui n’est pas toujours le cas. On se rend compte des fois en parlant avec des médecins et des gens du réseau que l'information ne circule pas non plus aussi rapidement et adéquatement qu’il faudrait. Et ça génère des demandes et des questions.
Puis, vous savez, un patient qui se fait dire « non », une première fois…
Katherine : Il ne va pas s’essayer…
Me Leroux: Ben, pas nécessairement, y a bien des gens qui vont recevoir ce non-là. J'ai représenté au cours de l’été, une dame qui a demandé d’avoir accès à l’aide médicale à mourir et on lui a dit qu’on ne pouvait pas lui donner l’accès tant que la loi n’est pas modifiée. Alors que c'est faux, il existe clairement une possibilité d’avoir accès à l’aide médicale à mourir à travers les exemptions constitutionnelles. L’équipe traitante n’était pas au courant de cette possibilité-là, on n’en a pas parlé à la cliente et c'est la dame qui a dû se débrouiller pour nous trouver pour éventuellement nous poser la question. Mais pour cette personne-là à qui on a pu répondre, y en a combien d’autres qui se sont arrêtées à un début sans faire les démarches supplémentaires pour vérifier?
Katherine : Et c'est pas non plus le rôle du médecin d’aller apprendre à être avocat ou à être juriste. Donc est-ce que la solution c'est d’avoir des équipes légales qui travaillent au sein d’hôpitaux, dans les cliniques qui représentent un groupe de médecins?
Me Leroux: Ben en fait, il existe déjà ce qu’on appelle les « GIS », donc l’acronyme G I S dans les établissements du moins au Québec, qui sont les Groupes interdisciplinaires de soutien. Ce sont des gens qui sont censés être informés et au courant des plus récentes pratiques en la matière et qui sont censés pouvoir répondre à leurs membres. Donc, qui seraient par exemple les membres des associations professionnelles des établissements concernés. Mais après ça, si les médecins sont plus ou moins au fait, on n’ont pas cherché cette information-là, c'est clair qu’il peut y avoir des manquements. Moi, quand je suis intervenu dans cette cause-là j’ai formulé directement une plainte au directeur des services professionnels visé par l’établissement, en lui mentionnant qu’à l’évidence l’information n’avait pas circulé adéquatement dans son établissement. Et bon, on avait reçu une réponse favorable à notre demande en indiquant qu’il allait s’assurer de faire circuler l’information de façon adéquate.
Alors vous avez raison qu’on ne peut pas s’attendre à ce que les médecins soient nécessairement tous juristes. Par contre, dans un domaine où les choses sont, effectivement, aussi changeantes, puis qui sont quand même fondamentales, on parle ici d'une personne qui souhaite mettre un terme à ses jours en raison de souffrances qu’on n’arrive pas à soulager. Pour la petite histoire du cas clinique en tant que tel, c'était une dame qui souffrait d’une forme avancée de la maladie de Parkinson, qui parfois ce qu’on oublie c'est que lorsque la maladie progresse, c'est aussi associé à des troubles neurocognitifs. Un peu des symptômes qui peuvent être similaires et apparents à la démence ou à la maladie d’Alzheimer. Donc, si une des conditions pour avoir accès à l’aide médical à mourir c'est d’être toujours apte, et qu’on génère des délais en disant à la patiente, ben vous savez quoi, on va attendre que la loi change, est-ce qu'on est en train de faire le pari, ou que la dame va toujours être apte au moment où la loi va être changée? Pis qu’en est-il si le législateur décide de demander une nouvelle prolongation?
Alors voyez-vous, pour ces questions-là, ça me semble crucial que les médecins demeurent au fait. Et, quelque part, c'est la responsabilité des directions d’établissements de s’assurer de faire circuler l’information adéquate, mais surtout en temps utile.
Katherine : Et justement, si on veut rendre ça tout clair comme de l’eau de roche, quels amendements ont été faits au Code criminel par rapport à la fin de vie. Par exemple, vous avez mentionné la fin de vie raisonnablement prévisible. Qu'est-ce qu'on veut dire par ça? Parce qu'on s’entend que la mort est un fait de société, ça va arriver à nous tous. Ma mort n’est pas nécessairement prévisible, de dire ça va être dans 50 ans, ça va être dans 20 ans, mais qu'est-ce que ça veut dire au niveau légal?
Me Leroux: C'est une excellente question. Le législateur s’est bien gardé de définir cette notion-là. Le législateur n’a pas défini en quoi consistait la mort naturelle devenue raisonnablement prévisible. Pour certains, la mort devient raisonnablement prévisible dès la naissance, et c'est pas faux. Maintenant, que c'est pas défini, en fait c'est la pratique médicale sur le terrain qui a eu à définir cette notion-là à travers l’usage et la pratique. C'est une notion qui n’existait pas même scientifiquement et médicalement, je vous dirais avant l’adoption de C-14 qui est la première Loi sur l’aide médicale à mourir au Canada. On a vu une définition asymétrique s'instaurer de cette notion-là dans les pratiques médicales. Si on regarde certaines provinces, par exemple en Colombie-Britannique, il y avait une définition qui allait autour d'un pronostique qui tournait de 18 à 24 mois grosso modo dès le départ. Alors qu'au Québec certains médecins interprétaient cette notion-là de façon plus restrictive autour par exemple de 6 mois, 12 mois. Maintenant la loi nous dit bien qu'on n’a pas à quantifier en mois le pronostic, mais que c'est plutôt l’ensemble de la condition clinique du patient qui doit être considérée. Et si on arrive à la conclusion qu’on se dirige dans une trajectoire de fin de vie, ben, c'est donc que la mort est devenue raisonnablement prévisible. De façon générale il y a un consensus pour nous dire qu’au tour de 18 à 24 mois, c'est le pronostic auquel on peut s’attendre.
Alors, un des changements les plus significatifs du Projet de loi C-7, c'est de ne plus conditionner l’accès à l’aide médicale à mourir au fait d’avoir une mort qui est raisonnablement prévisible. Alors on élimine cette notion-là de la loi comme étant un critère d’accès, mais on maintenant en vie cette notion-là pour créer deux corridors d’accès auxquels vont être associées des mesures de sauvegarde, donc des mesures pour protéger les personnes d'une décision intempestive, par exemple, différente. Alors on a deux corridors d’accès qui sont différents. Quand une personne va formuler dorénavant une demande d’aide médicale à mourir, la première question que le praticien va devoir se poser c'est : est-ce que la personne rencontre le critère de mort naturelle raisonnablement prévisible, ou non? Et en fonction de la réponse, le médecin va devoir évaluer certains critères dans l’une ou l’autre des trajectoires identifiées.
Alors essentiellement, si une personne maintenant rencontre le critère de mort naturelle, bien ce sont les mêmes critères qui existaient auparavant. Donc, la personne va devoir avoir une couverture d’assurance, être éligible au service assuré au Canada, la personne va devoir avoir une maladie grave et incurable, elle va devoir aussi avoir des souffrances qu’on n’arrive pas à soulager et elle va devoir être apte, à l’exception au moment d’administrer l’aide médicale à mourir. Il existe pour cette trajectoire-là dorénavant une renonciation au consentement final. Donc, si la personne perd son aptitude à consentir alors qu’elle est dans une trajectoire de fin de vie, sous réserve de rencontrer certains critères la personne va pouvoir tout de même recevoir l’aide médicale à mourir, même si elle n'est plus apte en fin de parcours. Et, on a appelé ça : l’Amendement d’Audrée, essentiellement, comme le prénom d’Audrée. Parce que, ce qu’on s'était rendu compte, c'est que des gens refusaient de prendre des médicaments, ou des antidouleurs, pour soulager leurs souffrances, craignant que ces médicaments-là puissent altérer leur condition cognitive au point de ne plus être apte à consentir au moment de recevoir l’aide médicale à mourir.
Alors on s’est bien rendu compte que c'était une situation complètement aberrante. Si l’objectif c'est de soulager des souffrances, et ce au point où on est prêt à donner l’aide médicale à mourir, ben ce serait plutôt ridicule de ne pas permettre à la personne de ne pas prendre des médicaments dans l’intervalle. Donc, on pourra donc procéder de cette façon-là dorénavant. Les critères qui sont prévus essentiellement, il faut que la personne ait complété un formulaire à cet effet-là, que si jamais elle perd son aptitude, elle est d’accord pour recevoir l’aide médicale à mourir. Elle ne devra pas non plus, au moment de recevoir l’aide médicale à mourir manifester des gestes ou une réticence physique qui pourrait être interprété comme étant un refus de recevoir l’aide médicale à mourir. Ça, je dois admettre qu'il y a un côté plus subjectif, un peu plus flou. Mais si jamais la personne se débat, et qu’à l’évidence elle souhaite refuser l’injection, à ce moment-là ça va être interprété comme un refus et on n’ira pas de l’avant. Essentiellement c'est un peu ça.
Ça, c'est la première trajectoire. La deuxième trajectoire maintenant, si on ne rencontre pas le critère de mort naturelle devenue raisonnablement prévisible, bien on ajoute pour l’essentiel une mesure de sauvegarde qui est d’imposer un délai de 90 jours entre la demande initiale et le moment où l’aide médicale à mourir va être administrée. En fait le délai coure à partir de la première évaluation et non pas à partir du moment où le formulaire est signé, c'est une petite nuance qui est quand même importante ici et qui rajoute des délais. Et, pour le reste, c'est essentiellement les mêmes critères qui vont être applicables, en considérant, par contre, que la personne ne pourra pas avoir recours à la renonciation du consentement final.
Alors, la renonciation au consentement final elle est prévue uniquement si la personne est dans une trajectoire de mort naturelle prévisible, alors que la personne ne pourra pas s’en prévaloir dans un contexte où la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible. Et pour votre information, ce délai-là de 90 jours avec lequel le Barreau canadien… en fait le Barreau canadien n’était pas nécessairement d’accord avec le délai d'un chiffre précis de 90 jours, mais on pouvait effectivement imaginer qu’il y ait un délai plus long que le 10 jours qui était prévu initialement à la loi. Et pourquoi donc penser à un délai comme celui-là? Ben c'est essentiellement les gens qui vont recevoir des diagnostics ou qui vont présenter des handicaps suite à un trauma, suite à un AVC par exemple. Ils peuvent avoir de la difficulté à accepter la situation dans laquelle ils se trouvent. Donc, pour s’assurer que le consentement qui est émis est bien libre et éclairer, pour essayer de minimiser les phénomènes, par exemple, de trouble d’adaptation ou de problèmes, de dépression associée à une mauvaise nouvelle comme celle-là, on s’est dit qu’un délai devrait probablement s'imposer.
Maintenant le Barreau du Québec a pris position à l’encontre de ce délai-là et estime que ce délai de 90 jours pourrait possiblement être interprété comme étant non constitutionnel. En fait, la question je pense qu’il faut se poser c'est : est-ce qu'on est obligé de prévoir un délai dans la loi? Ou, s’il ne faut pas plutôt s’en remettre au jugement clinique du médecin au cas par cas. Et je pense que c'est plus là l'essence de l’argumentation du Barreau du Québec pour ce qui est de s’opposer au délai formel de 90 jours qui est prévu dans la loi.
Katherine : Vous avez parlé plutôt d'un exemple de santé mentale où on avait une patiente qui est atteinte de Parkinson, ou peut-être d’Alzheimer où il y a une dégénérescence cognitive. Qu'en est-il d'une maladie mentale où on n’a pas de mort prévisible, mais la personne ne veut simplement pas vivre avec la maladie, par exemple : un cas de schizophrénie important?
Me Leroux: Alors, c'est le prochain grand débat de notre société en lien avec l’aide médicale à mourir. Quand on a eu gain de cause dans l’affaire Gladu-Truchon, assez rapidement la ministre de la Santé et de la Justice de l’époque ont fait des sorties pour dire qu'ils n'allaient pas aller en appel de la décision et que la résultante allait être de permettre aux gens qui ont des problèmes de santé mentale d’avoir accès à l’aide médicale à mourir. Évidemment nous, dans notre dossier on était bien au fait que ça pouvait être une conséquence d'un jugement qui nous était favorable, mais ça demeurait quand même une subtilité pour monsieur et madame tout le monde, et le fait de se le faire dire de cette façon-là à amener une levée de boucliers où tout le monde s’est opposé à ces possibilités-là. L’opinion publique était largement en défaveur de ces possibilités-là. De sorte que, le gouvernement fédéral dans l’adoption de sa nouvelle loi a cru bon d’exclure la santé mentale comme étant une maladie qui permet de formuler une demande d’aide médicale à mourir. Et, si on s’en remet au texte de la loi, c'est l’article 2.1 du Projet de loi C-7, on dit donc pour l’application de la loi, la maladie mentale n’est pas considérée comme une maladie, une affection ou un handicap. Alors il y a une exclusion assumée de la part du gouvernement d’exclure les gens qui ont des problèmes de santé mentale du processus. Et, il faut bien comprendre que quand on lisait les débats au moment où C-14 a été adopté en réponse à l’arrêt Carter, on estimait que la façon d’exclure les personnes qui avaient des problèmes de santé mentale, c'était de conditionner l’accès à l’aide médicale à mourir à la notion de fin de vie, à la notion de la mort naturelle raisonnablement prévisible. Et les ministres de l’époque qui avaient témoigné devant le Sénat avaient ouvertement admis que c'était la façon de les exclure.
Maintenant, on ne peut pas discriminer directement, alors on le faisait indirectement à l’époque. Là on décide de discriminer ouvertement de façon assumée, pour moi c'est absolument un non-sens que dans un article on puisse lire qu’une maladie mentale n’est pas une maladie. Ben je pense que juste de l’écrire comme ça, la réponse face à un éventuel débat constitutionnel est assez déjà prévisible. Alors pour essayer d’atténuer l’impact de cette disposition-là, parce qu'on comprend que le gouvernement a encore besoin de temps pour évaluer les meilleures pratiques qui doivent être mises en place pour répondre à cette situation-là. Bien, ç’a été d’adopté à la recommandation du Sénat ce qu'on appelle une clause crépusculaire. Donc, c'est une disposition de la loi qui est en vigueur en ce moment, mais qui ne sera en vigueur uniquement pour une période de 24 mois à compter de mars 2021. Donc, d’ici mars 2023, les gens qui souffrent uniquement d’un problème de santé mentale pourront, dans les faits, présenter une demande d’aide médicale à mourir pour ce motif-là, dans l’éventualité où évidemment leur condition est associée aux autres critères, dont celui d’avoir un déclin avancé et irréversible de leurs capacités, et aussi présenter des souffrances. Donc, que la personne n’arrive pas à soulager.
Donc, c'est pas nécessairement pour demain matin cet accès-là, mais évidemment les choses évoluent rapidement, puis 24 mois on peut considérer que si c'est pas demain matin, c'est peut-être la semaine prochaine. Il faut que les autorités en place prennent l’initiative de se rassembler, de discuter et d’adopter les meilleures pratiques en la matière pour se préparer à ce changement législatif là. Puis au Québec on n’a pas chaumé. Y a déjà un premier comité qui a été créé, l’Association des médecins psychiatres, qui ont déjà produit un premier document à l’automne dernier, qui fait état de ce qu’eux pourraient considérer comme étant les meilleures pratiques en la matière. Et, y a une série de recommandations qui sont formulées dans ce document-là qui nous permettent de comprendre déjà un peu à quoi pourrait ressembler une pratique d’aide médicale à mourir en santé mentale.
Dans les législations où on a permis ça, si je vous disais tout à l'heure que c'est une minorité de la population qui a accès à l’aide médicale à mourir, bien, comprenez que c'est encore plus une minorité qui a accès à l’aide médicale à mourir pour des fins de santé mentale. C'est environ .5% des demandes d’aide médicale à mourir qui sont acceptées dans les législations où c'est permis. Alors on ne s’attend pas à ce que ce soit un phénomène très important au niveau du nombre de cas, mais il faut savoir quand même bien encadrer ça. Et, parmi les défis associés à l’aide médicale à mourir éventuellement pour des cas en santé mentale, bien le premier défi c'est de définir une condition qui est devenue irrémédiable. Donc pour avoir accès à l’aide médicale à mourir, il faut que la condition du patient soit irréversible. Et, la santé mentale, c'est connu comme étant variable dans le temps, que ce soit au niveau de l’intensité de la symptomatologie, ou même de l’existence en soi du diagnostic qui peut parfois fluctuer dans le temps.
Si vous prenez l’exemple de la schizophrénie, elle est associée en général à une symptomatologie très importante. Quand les gens ont 20, 30, 40 ans, mais on sait aussi qu’avec le temps qui passe, la symptomatologie peut parfois être un peu moins aiguë, ou encore le patient peut éventuellement répondre à des thérapies qui vont lui permettre d’avoir des symptômes atténués. Alors quels sont les critères qui vont servir à déterminer qu’une maladie est vraiment irrémédiable ou non? Ça reste encore un débat qui est important au niveau de la communauté médicale. Souvent les pistes de qu’on a en ce moment, il faudrait qu’il y ait des périodes en années durant lesquelles le patient n’a pas connu d’évolution favorable, pour permettre d’arriver à conclure à ce niveau-là. Pour cerréflexiontains psychiatres ce serait une période de 5 ans, pour d’autres ce serait au moins 7 ans, donc, voyez-vous un peu le genre d’observation qu’on devrait être ne mesure de faire avant de conclure qu’une personne pourra recevoir l’aide médicale à mourir.
Katherine : C'est pas pour aujourd'hui, c'est pas pour demain, mais c'est…
Me Leroux: Mais ça s’en vient.
Katherine : C'est en chemin, oui.
Me Leroux: Tout à fait, et on va arriver à cette situation-là. Parce qu’autrement si le gouvernement maintient un moratoire ou d'interdiction pour cette question-là, c'est certain qu’il va y avoir un débat constitutionnel, et, je ne suis pas devin, mais si je me fie aux conclusions de Carter et aux conclusions de Truchon, ça va être excessivement difficile pour le gouvernement de justifier cette exclusion-là. En gros si on applique le test de constitutionnalité à cette question-là, la seule manière dont le gouvernement pourrait justifier sa politique, c'est si les médecins n’étaient pas capables d’évaluer l’aptitude à consentir d’une personne qui souffre de problème de santé mentale. Et, ils ne seront pas capables de faire cette preuve-là. Parce qu'au contraire au quotidien il y a une panoplie de gens qui ont des problèmes de santé mentale qui sont capable de consentir à un paquet d’autres traitements dont l’aide médicale à mourir. Quand les gens ont un cancer, mais qu’en parallèle ils ont aussi une dépression chronique, c'est au médecin à évaluer si la demande d’aide médicale à mourir elle est formulée dans un contexte où le patient est apte. Donc, est-ce qu'il formule sa demande suivant un désir rationnel de mourir? Ou si au contraire le patient formule une demande d’aide médicale à mourir en raison d’une distorsion cognitive induite par sa dépression?
Et on sait déjà que les médecins sont capables de faire cette distinction-là. Alors s’ils sont capables de le faire pour le cas de figure que je viens de vous exposer, est-ce que le gouvernement va être capable d’établir que les médecins ne sont pas capables de le faire uniquement en présence d’un cas de santé mentale? Moi je ne pense pas. Et pour cette raison-là, c'est certain que s’il y a un débat constitutionnel sur cette question-là, le gouvernement va être obligé encore une fois d’adopter une nouvelle loi pour y répondre. Et c'est pour ça qu’ils ont décidé d’adopter la clause crépusculaire. À l’évidence parce que le gouvernement est bien au fait qu’il discrimine de façon ouverte et assumée un sous-groupe de la population alors que c'est pas justifié.
Katherine : Dans la même veine des changements futurs qu’il pourrait y avoir à la loi, vous avez parlé plutôt de la renonciation au consentement final. L'ABC soutient que celui-ci devrait s’appliquer même si la mort est raisonnablement imprévisible. Est-ce que c'est un débat qui va perdurer dans les prochaines années?
Me Leroux: Oui! C'est le deuxième grand débat après la santé mentale. En fait, j’aurais le goût même de le hiérarchiser en premier, si je peux le faire. Je pense que c'est peut-être le premier débat suivi de celui de la santé mentale, parce que ça touche statistiquement plus de cas. Et, on pense spécifiquement aux problèmes neurocognitifs. Les gens qui se font annoncer qu’ils souffrent de la maladie d’Alzheimer ou de démence, c'est des gens qui pourraient se prévaloir d’un accès à l’aide médicale à mourir à travers des directives médicales anticipées. Je suis en contact avec des gens qui sont dans l’Ordre des psychologues, au niveau du CA de l’Ordre, et ils sont un peu découragés de voir la quantité de demandes d’information qu’ils reçoivent pour des gens qui vont formuler des demandes d’aide médicale à mourir hâtive dans leur maladie, alors qu’ils ont toujours une aptitude préservée. Sachant qu’ils vont perdre cette aptitude à consentir là. Et, ça fait en sorte que les gens vont avoir accès à l’aide médicale à mourir plus tôt dans la trajectoire de leur maladie que tard. Alors concrètement ce que ça veut dire c'est que les gens meurent plus rapidement, ils auraient pris le choix de continuer de vivre dans leur maladie, sachant qu’ils auront accès à l’aide médicale à mourir au moment venu. Et c'est une situation, qui, s'il y avait un débat constitutionnel, permettrait d’établir à l’Article 7 de la Charte canadienne, comme on l’avait fait dans le passé pour, par exemple, le dossier Carter et comme ça avait été le cas d’ailleurs au niveau de Sue Rodriguez à l’époque au début des années 90, où est-ce que quand une personne est obligée de s’enlever la vie par elle-même alors qu’elle est toujours physiquement capable de le faire, ben finalement elle se trouve à poser l’acte plus tôt que tard. Donc, c'est une atteinte à son intégrité physique, au droit à la vie aussi, et c'est la même réflexion qui a été faite dans le dossier Gladu-Truchon.
Ça y a une constante au niveau de la jurisprudence à ce niveau-là. Et c'est la même logique qui s’applique pour les gens qui sont obligés d’avoir accès à l’aide médicale à mourir alors qu’ils sont toujours aptes, craignant qu’en raison de leur maladie, ils perdent cette aptitude-là à consentir. Alors il y a un consensus je vous dirais au niveau certainement du Québec, par rapport au dernier comité qui a eu lieu sur la question. Il y a des recommandations qui ont été publiées par des groupes consultatifs qui vont dans ce sens-là. Maintenant, c'est le genre de question où en théorie je pense qu’il n’y a pas beaucoup de problèmes en droit qui se posent, mais où quand on se questionne sur le caractère opérationnel de la chose, il peut y avoir un peu plus de zones grises qu’on rencontre. Vous savez, le fondement même de l’aide médicale à mourir c'est l’autonomie de la personne, le respect de la volonté, et ça a toujours été le principe, l’ultime mesure de sauvegarde, c'est qu’à la seconde avant d’administrer l’aide médicale à mourir on revalide le consentement. Ça, quant à moi, ç'a toujours été l’ultime mesure de sauvegarde.
Maintenant cette ultime mesure de sauvegarde disparait avec l’accès à l’aide médicale à mourir à travers les directives médicales anticipées. Et si conceptuellement on peut penser qu’il n’y a pas beaucoup de différence quand, par exemple, le consentement anticipé a été donné vlà, 1 mois, vlà 2 mois, vlà 3 mois, vlà 5 mois, ben là où il commence à y avoir un problème c'est si le consentement anticipé a été donné il y a 5 ans, 10 ans, 20 ans. Alors si moi je me projette dans 20 ans étant dans une situation X pour laquelle je voudrais recevoir l’aide médicale à mourir, il y aune frange, un courant de pensée qui va même parfois référer, je le résume comme ça un peu, mais le délire joyeux là. On se fait une conception de l’était dans lequel on sera et on se fait une conception de comment on va perce voir notre situation. Alors qu’il y a quand même certaines études qui démontrent qu’on a une capacité d’adaptation relativement importante. Y a des gens qui vont avoir des traumas importants qui une fois qu’ils sont confrontés à leur handicap vont se satisfaire de la situation et vont quelque part apprécier davantage ce qu’ils ont sachant ce qu’ils ont pu perdre.
Donc, il y a des questions un peu philosophiques qui se posent derrière ça, moi je ne suis pas vraiment un… je n’adhère pas nécessairement à ces questions-là, mais je sais qu’il y a un courant qui réfléchit à ce niveau-là. Donc, est-ce qu'on pourrait, par exemple, conditionner l’aide médicale à mourir à travers des directives médicales anticipées qui auraient été renouvelées chaque année. Alors est-ce que chaque année on ne devrait pas renouveler nos directives pour s’assurer que c'est toujours bel et bien l’expression de notre volonté la plus contemporaine dans le temps. C'est le genre de choses qui pourrait être fait. Mais, disons là que c'est plutôt des considérations plus philosophiques qu’autre chose. Au niveau du droit y a pas vraiment de difficultés, puis il y a vraiment un consensus sur le fait que c'est le prochain chantier à développer et à s’assurer qu’on met en place.
Katherine : Présentement, est-ce qu’une personne qui formule ses directives d’aide médicale à mourir pourrait le faire dans son testament? Ou il faut absolument que ce soit une demande faite avec un formulaire, avec un diagnostic précis?
Me Leroux: Oui, alors, au moment où on se parle, la renonciation au consentement final est soumise aux modalités qu’on retrouve dans le Projet de loi C-7, qui sont très strictes. Alors c'est via le formulaire spécifique à l’aide médicale à mourir. Il faut même que la date de l’aide médicale à mourir soit arrêtée. Il faut qu’on ait convenu de la date qu’on va recevoir l’aide médicale à mourir pour pouvoir se prévaloir de la renonciation au consentement final. Alors, en ce moment ça peut être tentant de dire que c'est une forme de directive médicale anticipée, mais ce ne l’est pas, je pense. C'est plus adéquat, je pense, de parler du cadre actuel comme étant une renonciation au consentement final, qu’étant une directive médicale anticipée, en tout cas, au sens de ce qu’on connait de la loi concernant les soins de fin de vie. Et l’objectif, c'est que ça devienne possible d’avoir accès à l’aide médicale à mourir à travers des directives médicales anticipées, en disant : si un jour on me pose un diagnostic d’Alzheimer, si un jour je suis incapable de me nourrir seule et que j’ai besoin d’aide pour m’hydrater, ben quand on sera rendu à ce stade-là, mes proches seront autorisés à formuler une demande d’aide médicale à mourir en mon nom. Alors je pense que c'est ce vers quoi doit tendre, mais c'est loin d’être le cas en ce moment.
Katherine : Oui, ça reste dans les projets futurs.
Me Leroux: Oui, tout à fait.
Katherine : Avant de terminer notre épisode, avez-vous quelque chose à rajouter? Un commentaire, un fait qu’on n’a pas discuté?
Me Leroux: Écoutez, c'est sûr que c'est un sujet qui est hyper vaste, c'est un très bref survol qu'on a fait aujourd'hui. Pour ceux qui auraient davantage d’intérêt sur la question, je vous invite à consulter nécessairement le Projet de loi C-7 qui va vous permettre d’avoir plus de détails aussi et de continuer de suivre l’actualité nécessairement sur cette question-là, ça va continuer d’être discuté publiquement. Si on pensait que tout était réglé suivant la décision Truchon, en fait je vous dirais que c'est le début de la réflexion sur bien d’autres questions. On n’a pas discuté non plus aujourd'hui de la situation des mineurs de 14 ans à 18 ans, mais ça aussi c'est une situation qui est un peu aberrante, où est-ce que si un mineur a 17 ans et demi, il ne pourrait pas avoir accès à l’aide médicale à mourir, alors qu’à 18 ans il pourrait. Je peux très bien m’imaginer des situations cliniques où ça mènerait à des situations qui portent atteinte aux droits fondamentaux et pour lesquelles un débat constitutionnel pourrait être fait et probablement gagné. C'est aussi une autre question qui reste à suivre de près.
Katherine : Merci, Me Leroux, de nous avoir éclairé quant au Projet de loi C-7 et de l’aide médicale à mourir. Bien que le sujet soit délicat, il touche certainement tous les Canadiens. À nos auditeurs, je vous invite à lire le mémoire déposé par le groupe de travail de l'ABC sur la fin de vie dont le lien se trouve dans la description de cet épisode et à nous faire part de vos opinions sur le sujet via notre Twitter @nouvelles_abc. N’hésitez pas à partager cet épisode sur vos réseaux sociaux et à nous suivre sur ceux-ci. Pour nos épisodes précédents et futurs, abonnez-vous à Juriste branché sur Apple Podcasts, Stitcher et Spotify. N’hésitez pas à nous laisser des commentaires et des évaluations sur ces plateformes. Vous y trouverez également notre balado en anglais The Every Lawyer. À la prochaine.