Julia Tétrault-Provencher reçoit Frédérique Chabot d’Action Canada
À la lumière de l’invalidation de la décision Roe v Wade aux États-Unis, le balado Juriste branché se penche ce mois-ci sur les droits, les lois et la réglementation en matière d’avortement au Canada et sur la façon dont le droit à l’avortement est ou n’est pas protégé par la Constitution canadienne.
jbavortement
L’indicateur de temps [00:00:00] indique un mot incompris ou incertain.
__________________________________________________________________________
Vous écoutez Juristes branchés, présenté par l'Association du Barreau canadien.
Animatrice : Aujourd'hui nous avons le plaisir de parler avec Frédérique Chabot, directrice pour la promotion de la santé, chez Action Canada pour la santé et les droits sexuels. Bonjour Frédérique, merci beaucoup d’être avec nous aujourd'hui comment ça va? Frédérique comme vous le savez le 24 juin 2022, la Cour suprême des États-Unis a renversé la décision Roe contre Wade. Quelle a été votre réaction en tant qu’activiste?
F. Chabot Écoutez, ça fait longtemps qu'on sait que c'est une possibilité, ça fait des mois qu’on en parle. Il y a eu la fuite des documents de la décision au début du mois de mai. Malgré tout ça, le 24 juin a été une journée choquante pour tout le monde à Action Canada. Y a eu des larmes, y a eu de la colère. Parce que de voir sur papier une telle décision qui va avoir des impactes dévastateurs sur des gens et sur des décennies à venir. Même s'il y a des changements qui se passent dans quelques années, les gens aujourd'hui et jusqu’à tant que ces changements-là soient faits leur vie va être impactée pour le reste de leur vie. Donc, il va y avoir des conséquences énormes et c'est surtout sur les populations qui sont déjà marginalisées par des systèmes qui déjà rendaient l’accès aux soins de service complexe. Donc, ç’a déjà été un choc.
Ceci étant dit, ça fait déjà des mois que les organisations qui s’occupent de droits reproductifs et de droits humains sont sur la question. Y a des networks qui sont en place, des réseaux qui sont en place pour s'assurer qu’on allait aider le plus de gens possible. C'est transnational, tout le monde se parle à travers la région pour s’assurer qu’on met la main à la pâte, pour essayer de mitiger ces effets-là. Ceci étant dit, moi ça réaffirme pour moi, devant une décision comme ça, parce que dans la décision de Dobbs versus Jackson qui est annulée Roe v Wade, dans le texte de la décision ça dit : il est temps de renvoyer aux États la possibilité de légiférer ou de déréglementer l’avortement selon les opinions de leurs citoyens.
Les droits humains ce n'est pas une question d’opinion. C'est un des plus progrès de l’humanité d’avoir établi ces droits inaliénables et ce n'est pas une question d’opinion, parce que ce n'est pas comme ça qu’on protège les droits et la dignité des gens de dire : « on verra qu'est-ce que nos voisins en pensent. » Donc, ça c'est une grande erreur qui va avoir des effets dévastateurs, surtout aux États-Unis où l’on voit des efforts herculéens pour limiter le droit de vote dans les États. Donc, vraiment là on a vu un coup politique se passer dans les institutions politiques américaines et c'est épeurant pour quelqu'un qui travaille sur ces questions-là de voir la possibilité des impacts qui vont au-delà de l'avortement, d’un moment comme ça. C'est aussi l’essence d’une colère qui j'espère va être productive au Canada chez les activistes, aux États-Unis et partout, que l’on se rende compte que la défense des droits humains, le travail de tous c'est la responsabilité de tous. Et c'est une conversation qui est très importante.
Animatrice : Est-ce que les lois canadiennes sont à l’abri de l’impact de la rhétorique antiavortement qui nous vient des États-Unis?
F. Chabot C'est une question que beaucoup de gens se posent en ce moment. Je pense que le choc a été brutal, non seulement aux États-Unis, avec la décision qui est venue de la Cour suprême, mais aussi au Canada. Il y a beaucoup d’inquiétude sur ce qui pourrait se passer ici. Est-ce que nos droits sont à l’abri? Est-ce que l’avortement est garanti au Canada. Donc, c'est une question qui est certainement d'actualité depuis la décision-choc qui a été annoncée le 24 juin dernier aux États-Unis. La chose qu'il faudrait dire c'est que le paysage légal, politique, au Canada est bien différent des États-Unis. Ceci étant dit, je pense que c'est une discussion qui vaut la peine en ce que concerne l’importance de rester vigilant pour ce qui est de nos droits.
Si la question est : est-ce que nos droits sont à l’abri? En ce moment au Canada l’avortement est régularisé comme une procédure médicale. Pour un petit retour dans l’histoire assez simplifié, c'est quelque chose qu’on pourrait avoir une longue discussion sur le sujet, mais en 1988, avec l’arrêt Morgan Taylor, l’avortement ou l’offre de soins en avortement a été décriminalisé. À ce moment-là, la Cour suprême a offert au parlement d’introduire de nouvelles lois qui encadreraient l’offre de soins en avortement qui serait en ligne avec la nouvelle décision Morgan Taylor. Et, le gouvernement qui était conservateur à l’époque a essayé d’introduire un projet de loi qui s’est rendu au Sénat et qui a été défait au Sénat. Donc, c'est à ce moment-là que l'avortement a été décriminalisé, pas parce qu'il n’y a pas eu un effort pour régulariser l’offre de l’avortement au Canada, mais parce que le projet de loi a été défait. À ce moment-là c'est devenu une procédure médicale comme une autre.
Mais ce n'est pas entièrement vrai, parce qu'il existe encore beaucoup de stigmas autour de l’avortement, mais techniquement c'est devenu une procédure médicale qui n’est pas réglementée dans le Code criminel canadien. Ça, ça veut dire qu’il y a une loi canadienne qui entoure l’offre de la procédure médicale de l'avortement, c'est la Loi canadienne sur la santé. Il y a 5 piliers qui nous sont offerts par la Loi canadienne sur la santé. Donc, là c'est sûr que je vais les oublier, ou je vais en oublier un. En gros ça garantit que les soins médicaux au Canada sont administrés de façon publique, que le public n'a pas à payer de frais pour des procédures médicales qui sont assurées, qui sont accessibles au public. Ils sont portables, que l’on se trouve en Colombie-Britannique ou au Nouveau-Brunswick, on a accès aux mêmes soins de santé. C'est là que je vais oublier le numéro 4 et le numéro 5. En gros, ça veut dire qu'il y a une loi qui établit les standards selon lesquels l’offre en avortement doit être faite.
Est-ce que ça veut dire que depuis il n’y a pas eu des assauts politiques sur l'avortement? Pas du tout. Ça, ça veut dire qu’au niveau du gouvernement fédéral il y a plusieurs projets de loi privés qui ont été mis de l’avant depuis les années 80 pour essayer de restreindre l’offre en avortement, ou encore de voir la vie d’un fœtus reconnu comme étant sa propre personne. Y a plusieurs projets de loi qui ont été offerts, mais qui ont toujours été défaits depuis 1988. Donc, au Canada c'est différent des États-Unis c'est pas au Code criminel où l’avortement est réglementé, c'est réglementé comme une procédure médicale par la Loi canadienne sur la santé et ensuite par les collèges professionnels qui y sont associés.
Animatrice : C'est-à-dire que Morgan Taylor ne va pas jouer le même rôle dans le système judiciaire au Canada que Roe versus Wade va jouer aux États-Unis, c'est ça?
F. Chabot Effectivement, c'est important de faire la distinction, Roe v Wade, la façon dont le jugement a été écrit, on a légiféré un droit constitutionnel à l'avortement protégé par un des amendements qui protège la vie privée. Donc ça veut dire que c'est comme une loi qui a encadré l'accès à l'avortement, non pas comme une procédure médicale, mais dans le fond pour dire que c'est un droit en tant que tel.
Animatrice : Est-ce que les femmes, ou toute personne qui peuvent être enceintes ont des raisons de craindre que leur droit à l’avortement soit menacé ici au Canada?
F. Chabot Écoutez, dans ma longue, longue, longue réponse, je donne un peu le contexte pour dire oui c'est très différent aux États-Unis et au Canada. Ceci étant dit, je pense qu'il faut rester vigilant au Canada. Je ne pense pas que le droit à l'avortement au Canada qui a été affirmé à plusieurs reprises dans plusieurs jugements ou par les obligations en droits humains que le gouvernement canadien est signataire. Les inquiétudes ne sont pas nécessairement les mêmes. Ceci étant dit, ce que je me dis, moi, c'est que aux États-Unis il y a 4 ans, ça aurait été impensable que Roe v Wade soit annulé. Donc, ça prend une certaine combinaison de circonstances qui viennent ensemble qui peuvent créer un moment spécial où il peut y avoir de la régression pour ce qui est de nos droits. Aux États-Unis, ç’a été l’élection de Donald Trump comme président qui a ensuite précipité l’introduction de trois juges à la Cour suprême, deux de ces nominations-là ont été forcées par les républicains. Et ces trois juges-là ont affirmé devant le congrès et devant le Sénat qu’ils considéraient Roe v Wade comme étant une loi qui était établie, impliquant de cette façon-là qu’ils n'allaient pas y toucher.
Donc là, ici, on a plusieurs morceaux d’un casse-tête qui se mettent en place. On a des juges qui ont en effet menti lors de leur assermentation, et on a des juges qui ont été rushé à travers le processus pour être mis à la Cour suprême par un président qui n'avait… qui de plusieurs façons était problématique. Donc, ç’a pris toutes ces forces-là qui ont travaillé ensemble pour avoir une cour qui a pu agir sur le plaidoyer de groupes antiavortement qui, depuis 20 ans, travaillaient pour essayer de faire annuler Roe v Wade. Et en attendant, ils avaient déjà véritablement décimé l’accès à l’avortement dans plusieurs États aux États-Unis. Roe v Wade c'est un gros moment aux États-Unis, mais ça ne veut pas dire que le déclin n’avait pas commencé avant le 24 juin 2022. L’accès à l’avortement aux États-Unis était déjà sévèrement compromis dans plusieurs États.
Au Canada, ce que je me dis, c'est que premièrement il faut être vigilant parce que des circonstances qui s'alignent et qui font qu'un moment qui semble surprenant, ça peut arriver. Les forces antiavortement, antidémocratiques, anti-vote et anti droits humains sont fortifiées par ce qui s’est passé aux États-Unis, c'est une monté globale en ce moment d’attaques contre les droits reproductifs, des droits des femmes et les droits humains généralement. Donc, ce n’est pas un moment qui est unique aux États-Unis. Et ce sont des forces qui sont transnationales avec un financement qui est transnational.
Ce que l’on sait, il y a un rapport qui été publié par le Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs, il s’appelle The Tip of the Iceberg. Il trace le financement à travers le monde et qui démontre que la majorité de ce financement-là vient de pays comme les États-Unis et la Russie. Il se retrouve, en Irlande, au Canada, en Afrique, en Amérique du Sud. Donc ce sont des forces qui se sont alliées avec un projet politique bien pointu. Et, il ne faut pas penser qu’au Canada on est immunisé contre ces forces-là. Et que tout à coup, un moment politique distinct qui se forme, pour des raisons qui ne semblent pas possibles à ce moment-ci, pourrait mener à une régression des droits humains au Canada.
Animatrice : En effet, c'est vrai que souvent dans la Loi, on va essayer de prendre la législation comme une manière de nous protéger contre des virages extrémistes par exemple, ou des lois ou des politiques qui seraient déposés et qui seraient de l’extrêmement droite. C'est un peu pour ça qu’on entend de la part de certains activistes, certaines activistes, qu'ils plaident pour qu’il y ait une nouvelle loi qui protégerait l’avortement au Canada. Cependant, Action Canada avec l'Association nationale de femmes et droits ont récemment publié un article qui est sur leur site internet qui plaidait tout le contraire en fait. Et, est-ce que vous pourriez nous expliquer pourquoi?
F. Chabot Absolument. Action Canada et l’Association nationale des femmes et du droit se sont joints pour créer un papier sur notre position, qui soutient le fait que nous ne désirons pas voir une nouvelle loi qui, dans le fond, protégerait le droit à l’avortement d’une façon distincte au Canada. Et ça semble peut-être surprenant à plusieurs, je sais qu'il y a quelques réponses qu'on a reçues qui démontraient de l’incompréhension que des groupes leader au Canada sur les droits reproductifs et sur le droit des femmes prennent cette position-là. Mais, la raison pour laquelle nous le faisons, c'est qu’au Canada on a un modèle qui est unique au monde et qui est utilisé comme un exemple à suivre dans plusieurs pays qui souhaitent libéraliser l’accès à l’avortement. Dans plusieurs endroits, les activistes proavortement disent : l’avortement est un soin médical Abortion is Health Care. C'est au Canada où on a un modèle où c'est véritablement le cas que l’on réglemente comme un soin médical. L’avortement est protégé de cette façon-là. En n’étant pas soutiré du concept de procédure médicale, pour devenir un sujet politique qui peut ensuite se voir soumis à des assauts politiques qui ne sont pas basés dans l'évidence que l’on a, ou bien la science qui existe autour de cette procédure médicale là.
En ce moment l'accès à l’avortement est protégé par une loi qui existe au Canada qui est la Loi canadienne sur la santé qui a des standards élevés pour ce qui est de : à quoi on doit s’attendre en tant que canadien pour l’accès à l’avortement. Est-ce que c'est le cas que l’accès à l’avortement est nécessairement accessible de cette façon-là? Non! Mais on a les standards en place pour faire ce plaidoyer-là avec nos gouvernements. Et on a une procédure médicale au lieu d’avoir un sujet politique qui… Ce qui veut dire que la pratique est dictée pas les avancées scientifiques, par les standards qui sont établis internationalement et au Canada par les collèges professionnels ou l’Organisation mondiale sur la santé. Au lieu d’avoir un sujet où les opinions politiques pourraient dicter quand et où l’avortement pourrait être offert.
Pour faire un parallèle, si on compare la procédure médicale d’un avortement avec la procédure médicale du remplacement d’une hanche, ou une procédure cardiaque, parce que quelqu'un a besoin d’une valve. Ce n'est pas par la loi criminelle que l’on dicte qui a accès à cette procédure médicale là ou comment cette procédure-là doit être offerte. Ce sont les standards médicaux des collèges professionnels et les standards mondiaux sur le sujet qui dictent comment cette procédure-là peut être offerte, et pour qui. Imaginez, par exemple, si on a une procédure comme une transplantation de poumon et ça devient un sujet politique et là on a des groupes de lobby qui disent : bien écoutez, ça devrait simplement offert aux gens ne fument pas, ça devrait être simplement offert aux gens qui font de l’exercice régulièrement, ça devrait… Donc, si des considérations politiques ou d’opinion personnelle venaient interférer avec le fait que c'est une procédure médicale.
Donc, c'est à la base, la raison pour laquelle Action Canada et l’Association des femmes et du droit ne soutiennent pas l’introduction d’une nouvelle loi sur le sujet qui isolerait l’avortement, le sortirait du fait que c'est établi au Canada que nous considérons l’avortement comme faisant partie du droit à la santé et régulé de cette façon-là. Donc ça, c'est la réponse courte.
Animatrice : Donc, en fait on comprend aussi qu'au Canada l’avortement est perçu comme un service médical, un soin de santé. Est-ce que ç’a été décidé à un certain moment dans l’histoire de l’avortement au Canada, ou alors c'était après une décision de la Cour suprême qui est déjà derrière nous, qui était dans les années 1990, ou c'est le résultat d’un mouvement, où ça s’est fait organiquement finalement, avec l’évolution du droit des femmes et des personnes en général au Canada.
F. Chabot Ç’a été organique. Donc justement, si on retourne au jugement Morgan Taylor en 88, le parlement a introduit une loi à ce moment-là qui aurait criminalisé l’offre de l’avortement après un certain point dans la grosse avec des pénalités pour les fournisseurs de soins qui offriraient ces services-là. Et, le fait que la loi n’ait pas passé le Sénat a automatiquement décriminalisé l'avortement quand le gouvernement a décliné introduire une nouvelle loi. Comme ils n’ont pas réussi à passer la première version de la loi. Donc, c'est arrivé de façon organique et c'est devenu un modèle à suivre pour le reste du monde, de dire qu'on considère véritablement l’avortement comme une procédure médicale (ce que c’est!) et que c'est une procédure médicale qui est clé pour des services en santé reproductive qui sont complets pour la sécurité des personnes qui peuvent être enceinte, des femmes. Donc, c'est arrivé de façon organique et ç'a été un développement qui a été extrêmement positif. Parce qu'au Canada il n’y a aucune limite imposée à l’offre de l’avortement qui viendrait d’une opinion non informée par ce qu’offre la science en termes d'information.
Animatrice : Donc, est-ce que je peux revenir sur quelque chose que vous avez dit plus tôt : c'était qu’il fallait être vigilant et vigilante au Canada, en ce qui concerne le droit à l’avortement, parce que nous on a un système qui a éliminé toute la question politique en y faisant plutôt une question de santé, puisque l'avortement est considéré, somme tout, un soin de santé. Mais il faut être vigilant et vigilante pour s’assurer que ce système-là nous reste. Est-ce que vous pourriez un peu plus élaborer pour nous dire quelle forme devrait prendre cette vigilance? Où est-ce qu'on devrait mettre de la pression pour s’assurer que ce système-là nous reste?
F. Chabot Excellente question. Il y a plusieurs endroits où il faut garder les yeux bien ouverts. Premièrement, l’accès à l’avortement, malgré le fait que la Loi canadienne sur la santé établit que l’avortement doit être accessible partout au Canada, ce n’est pas présentement le cas. Donc, ça, c'est un endroit où le manque de volonté politique peut avoir un effet dévastateur. Considérant le fait que l’avortement est une procédure médicale extrêmement commune, donc une personne sur 3 qui peut être enceinte va avoir un avortement dans sa vie au Canada. Donc, c'est extrêmement commun, c'est aussi commun que de se faire enlever les dents de sagesse. Ce n'est pas traité de cette façon-là.
Donc le manque de volonté politique ne s’explique que par un sentiment antiavortement actif, ou passif, dans le sens que c'est considéré comme quelque chose de trop risqué en tant que gouvernement. Donc, pendant les 30 ans qui ont suivi l’arrêt Morgan Taylor, il y a eu peu d’efforts qui ont été faits pour augmenter l’accès à l’avortement au Canada. Pendant des années, c'est resté contraint aux centres urbains majeurs, Montréal, Toronto, Vancouver, près de la frontière. Donc, toute communauté rurale ou plus au nord des provinces, ou dans certaines parties du pays où il y a moins de fournisseurs de soins. Ça veut dire qu’il y a beaucoup de gens qui se sont retrouvés livrés à eux-mêmes pour ce qui est de trouver l’information nécessaire pour se rendre au service dont ils avaient besoin. Ils ont payé les frais de voyagement et tous les autres éléments logistiques qui peuvent venir avec un voyagement vers des soins médicaux.
Donc, il y a eu des barrières qui ont persistées pendant plus de 30 ans qui sont encore en place dans certains endroits. En 2015, Santé Canada a finalement approuvé la mifepristone au Canada, c'est l’étalon d’or de l’Organisation mondiale de la santé pour ce qui est de l’avortement par médicament. Et, depuis 2017 quand c'est arrivé sur le marché, et quand les restrictions qui avaient été mises en place ont été levées, ça, c'est un élément qui a aidé un peu à augmenter l’accès à l’avortement dans certaines communautés. Mais, au Canada, c'est encore le fait que par manque de volonté politique, ou encore par sentiment anti choix actif, les gouvernements provinciaux peuvent faire en sorte que l'accès à l’avortement peut être difficile. Donc, si on a droit à quelque chose, mais que ce service-là n'est pas disponible, le droit ne veut rien dire. Donc, on a besoin de continuer à travailler ensemble et à être vigilant pour ce qui est d’augmenter l'accès à l'avortement pour tous, partout au Canada. Donc, ça ne devrait pas être le fait que si quelqu'un habite à Toronto c'est un service qui est facile à obtenir, alors que si on se trouve à The Pas au Manitoba, ou dans les régions rurales du Nouveau-Brunswick, que ce soit quelque chose qui nous coûte des centaines et des centaines et des centaines de dollars. Ceci rend ça inaccessible pour beaucoup de personnes au Canada.
Donc, ça, c'est le premier front où ensemble en tant que Canadien, le sentiment proavortement et en support de l'avortement au Canada est très, très, très fort. C'est quelque chose sur lequel on doit continuer à faire pression sur nos gouvernements, sur nos institutions, incluant les hôpitaux. Il y a seulement un hôpital sur six au Canada qui offre le service d'avortement, malgré le fait qu'ils sont souvent le seul point de services dans des régions entières. Donc il n'y a aucune raison pour que l'avortement ne soit pas offert dans tous les hôpitaux au Canada. Donc, c'est un point où l’on doit continuer à être vigilant et actif.
Animatrice : Mais il me semble qu’il nous manque quand même un mécanisme, soit au niveau provincial ou fédéral, pour les obliger à assurer qu’il y ait des services accessibles.
F. Chabot Oui, on a besoin d’avoir des mécanismes pour mieux implémenter la Loi canadienne sur la santé. C'est là où le gouvernement fédéral a du pouvoir et peut activement travailler avec la contrepartie provinciale pour augmenter, peut-être avec l'augmentation des transferts fédéraux sur la santé, qui sont attachés aux soins reproductifs, en santé reproductive et sexuelle, pour s'assurer que les soins en avortement soient offerts partout dans les provinces. Donc, oui on a besoin de mécanismes de surveillance, on a besoin de mécanismes de mise en place de ces principes-là qui existent au Canada. Parce que même s'il y avait une loi, donc la loi qu’Action Canada et l’Association nationale des femmes et du droit ne supportent pas, même s’il y avait une loi qui soudainement protégerait le droit à l’avortement, ça ne vient avec aucun mécanisme, ce dont on n’a pas déjà besoin avec la loi qu’on a déjà. Donc, on a tout ce qu’il faut pour ce qui est des lois, maintenant ce serait des mécanismes d'implémentation et de surveillance qui seraient nécessaires. Donc ça, c'est un des fronts.
Animatrice : Est-ce qu'on a plus d’information par rapport à l’éducation? Est-ce que la possibilité même d’avoir un avortement est sur le radar d’une jeune fille de 13 ans au Canada? Est-ce qu'elle est au courant qu’elle pourrait se faire avorter? Ou si elle se trouve dans cette situation-là, elle est laissée seule à elle-même et doit chercher par elle-même avec qui en parler?
F. Chabot Ça, c'est un excellent point où on doit continuer à créer des environnements qui supportent les droits qu’on a ici au Canada. Donc, l'accès à l’information est crucial et quand on parle de l’avortement, il y a beaucoup de désinformation qui existe. Il y a un manque d’accès à l’information qui est juste et sans stigma autour de l’avortement et qui s’assure que les gens sont connectés aux services dont ils ont besoin. Il y a des organisations charitables comme Action Canada qui font ce travail-là. Action Canada a une ligne téléphonique, les gens peuvent appeler s’ils ont des questions sur leur santé reproductive et sur l’avortement en particulier. On offre du soutien financier aux gens qui en ont besoin.
Ceci étant dit, ça, c'est accessible aux gens qui nous trouvent. Ils doivent nous trouver sur internet, les soutiens sociaux en santé doivent connaître notre organisation pour connecter leurs patients avec des organisations comme Action Canada. Donc, ce n'est pas systématiquement implémenté à travers le Canada. Ce qui serait le plus utile serait une stratégie nationale pour assurer l'accès à l’éducation en santé sexuelle complète. Le Canada a reçu plusieurs communications de l’ONU sur le sujet qui reconnaît qu'au Canada le système fédéral, qui fait en sorte que chaque province a juridiction sur l’éducation et la santé, fait en sorte qu'il y a des écarts dans le respect des droits des Canadiennes au niveau provincial et ça, c'est la responsabilité du fédéral d’agir sur le sujet. Malgré le fait que l’éducation soit une juridiction provinciale.
Donc, on a besoin de standardiser le genre d’éducation qui est offert, on a besoin de mécanismes de surveillance sur l'éducation qui est offerte, on a besoin de curriculums qui sont bâtis sur les lignes directrices canadiennes qui sont excellentes (elles ont été publiées en 2019) et les lignes directrices internationales que l’UNESCO publie et qui sont liées à toutes les recherches scientifiques les plus récentes. Donc, ça, ce serait un morceau du casse-tête extrêmement important sur lequel les gens au Canada peuvent aussi faire pression. Donc, on a besoin d’éducation à la sexualité complète de façon urgente au Canada, et ça aiderait à avoir l’information dont ils ont besoin pour faire des choix importants sur leur santé.
Animatrice : On peut penser qu’il y a une certaine lueur dans toute cette décision qui est de retourner Roe contre Wade aux États-Unis, ce qui est somme toute assez sombre pour les droits des femmes et des personnes en général. Mais en même temps, ça permet de mettre un peu de lumière sur le manque énorme d’éducation à la santé sexuelle et à la sexualité au Canada, tant pour les adolescents et adolescentes que pour toute personne qui rechercherait de l'information sur sa santé sexuelle.
F. Chabot Absolument, et je peux assurer… Écoutez, Action Canada fait des groupes de focus pour plusieurs campagnes que l’on mène au Canada sur la santé sexuelle, sur les maladies transmises sexuellement ou les infections transmises sexuellement. Et, le niveau de connaissance, qu'on remarque dans ces groupes-là dans ces conversations-là qu’on a à travers le pays, est extrêmement bas. Donc, ce serait lié aussi, une stratégie nationale sur le sujet serait liée à la stratégie nationale pour adresser les ITSS, les infections transmises sexuellement, sur la stratégie nationale pour adresser la violence faite aux femmes et personnes de divers genres. Donc, il y a plusieurs connexions, ici, qui peuvent se faire pour ce qui est du respect des droits de plusieurs populations ici au Canada.
Animatrice : Qu'est-ce qu'on peut faire? Est-ce qu'on peut écrire au ministre?
F. Chabot Oui, c'est un sujet qui a beaucoup de support au niveau canadien, au niveau du public. Ils veulent que leurs enfants soient en sécurité, ils veulent qu'ils aient accès à l’information, mais c'est un sujet aussi où il y a beaucoup d’énergie nerveuse, donc de savoir que des politiciens sachent que c'est un sujet qui nous tient à cœur a un effet important sur leur volonté d’adresser ce sujet-là.
Maintenant, si je peux retourner à votre question : où est-ce qu'on devrait être vigilant. On a besoin d’être vigilant au niveau de l'accès à l'avortement et de continuer à faire le travail à long terme pour continuer à croître l'accès à l'avortement partout au pays. Donc, ça c'est du travail de plaidoyer de droit qui dure des années. Donc, de travailler avec des collèges professionnels, avec des gouvernements provinciaux, de continuer le travail culturel de parler de l’avortement. Il y a un autre front aussi qui est important à noter. Il y a aussi le front, justement cette conversation culturelle là. Ce que l’on observe aux États-Unis, mais pas juste aux États-Unis, au niveau global il y a des connexions entre les mouvements qui se battent contre l'avortement et les mouvements de suprématie blanche, et les mouvements anti-droits humains et antidémocratique. Donc c'est important de continuer à faire la lumière sur ces connexions-là. Parce que c'est un mouvement qui est minoritaire, mais qui a une influence au niveau mondial qui n'est pas proportionnel.
On le voit à l’ONU, on le voit dans les gouvernements d’extrême droite qui sont en train de monter à travers le monde : en Hongrie, en Pologne, au Brésil, aux États-Unis en ce moment avec les républicains qui se sont radicalisés de façon exceptionnelle. C'est quelque chose à laquelle on doit porter attention, parce que je pense que la conception des droits humains, les gens pensent que le progrès est toujours linéaire. On va de l’avant, c’est acquis, la question est réglée. Mais ce n'est pas du tout le cas comme on le voit à travers le monde où il y a des lois qui sont extrêmement stringentes qui sont en train d'être proposées ou passées par des groupes minoritaires qui ont infiltré les domaines politiques et les institutions politiques de plusieurs pays.
Ici au Canada il y a eu une publication super intéressante qui a regardé pendant les dernières années, l'activité en ligne des groupes de suprématie blanche. On est un des pays où les groupes sont les plus actifs. Donc, peut-être que ça semble un peu bizarre d'avoir cette conversation-là qui parle du droit à l'avortement, de Roe v Wade, de ce qui s’est passé. Mais en fait, il y a des connexions entre les groupes qui se radicalisent du côté antidémocratique, on l’a vu avec le convoi qui a occupé Ottawa pendant plusieurs semaines l’hiver passé. Ils demandaient, justement, de déposer un gouvernement qui a été élu démocratiquement, avec des demandes assez radicales et antidémocratiques, avec des groupes qui se radicalisent sur leur position antiavortement, anti-immigration, anti-droits humains généralement.
Je pense que c'est une conversation culturelle au niveau mondial à laquelle il faut porter attention, et il ne faut pas se faire à croire que ça n’a pas d'impact au politique. Donc, on le voit au Canada, on l’a vu aux États-Unis. Aux États-Unis, il y a aussi du support populaire pour ce qui est de l'accès à l'avortement. Et là, on a des institutions qui ont été infiltrées et qui ont complètement annulées, qui ont gouty là j’oublie le mot en français, des droits qui avaient été acquis il y a plus de 50 ans. Donc, il faut rester vigilant sur ces forces-là qui sont transnationales, les conversations qui se radicalisent et qui sont plus connectées que l’on pense.
Animatrice : Il y a quand même au Canada et partout dans le monde beaucoup de gens qui ont plutôt un sentiment contre le choix, est-ce que vous avez des stratégies pour un peu aider ceux et celles qui nous écoutent sur « comment en parler » avec ces gens-là sans que ça devienne un débat inutilement trop émotionnel?
F. Chabot Oui, je pense que ce qui est important de dire c'est que les sentiments pro-choix au Canada ou proavortement sont très forts. Je veux dire les chiffres changent quand on regarde les différents sondages parce que les questions sont posées de façons différentes. Mais, l’été passé juste avant l’élection fédérale, Radio-Canada a fait un sondage sur les sentiments des Canadiens sur leur désir de voir accroître l'accès à l'avortement au Canada. Donc, pas simplement est-ce que vous êtes pour ou contre, mais de voir une croissance de l'accessibilité à l'avortement. La vaste majorité des Canadiens de tous les partis, incluant les partis où il y a des factions antiavortement, ont communiqué un fort niveau de support à l'avortement.
Ceci étant dit, il y a des discussions qui peuvent être plus complexes. Quand on parle de l'avortement, les gens peuvent être généralement en support, mais avoir des réserves pour l'avortement après un certain moment dans la grossesse, ou l'avortement qui est appelé sexe selective l'avortement sur la base du sexe. Il y a certaines questions où les gens peuvent avoir une opinion qui diffère de leur sentiment général. C'est là où, premièrement, il y a beaucoup de place au partage de l’information. Quand on met un visage sur une histoire, ou qu'est-ce que ça veut dire d’avoir ou non l’accès à l'avortement et qu’on partage des histoires qui sont très humaines, ça peut aider à mieux comprendre pour les gens qui ne sont pas nécessairement convaincus pour l'avortement ils ne seront jamais en support, mais pour les gens qui en général supporte l'avortement, mais pourrait supporter des mesures qui le restreindrait, je pense que de vraiment comprendre l'impact humain, l’histoire humaine de l'accès à l'avortement est un point de rencontre important.
Je vous donne l'exemple, à Action Canada, à cause du fonds d'urgence qu’on opère, on est devenu expert à supporter les gens qui doivent accéder à un avortement tardif. Parce que c'est souvent des procédures qui demandent plus de voyagement parce qu'ils sont offerts dans peu de place. Donc, ça fait des centaines de personnes que l’on supporte. On a pu aussi mieux comprendre pourquoi les gens peuvent avoir besoin d’un avortement plus tard dans leur grossesse. Une situation que si on n'a pas cette information-là peut sembler bizarre ou en désaccord avec notre code moral. Mais quand on commence à discuter de ça ressemble à quoi pour vrai : cette personne-là est en situation d’immigration complexe, n’avait pas accès à une assurance médicale, donc il y a eu un délai d’accès aux soins. Ou encore : c'est une personne en situation de violence domestique, n’a pas été capable de quitter son domicile, c'est très complexe de voyager, ça prend plusieurs semaines pour l’amener à un point de service. C'est une personne qui est en région rurale, dans les prairies, qui s’est vue désinformée par des groupes antiavortement et qui se rend compte plusieurs semaines après ces rencontres initiales là que ce n’est pas le cas, qu’elle n'a pas accès à l'avortement et que là, finalement, elle trouve une façon de communiquer avec de véritables services en soins de santé, mais il y a des semaines qui se sont passées.
Quand quelqu'un a besoin d’un avortement tardif, les raisons psychosociales sont habituellement très, très complexes. Quelqu'un qui est dans la rue, quelqu'un qui a un problème d’abus de substances, quelqu'un qui est en situation de violence domestique, qui a été désinformé. Quelqu'un qui n’a pas d’argent, par le temps qu’elle a ramassé un peu de sous pour se rendre à la capitale de sa province, elle est rendue beaucoup plus loin dans sa grossesse. Bien, les gens commencent à connecter à l’histoire de ces gens-là pour mieux comprendre l’importance de ces soins-là. Donc, je pense que l’aspect humain est très important.
Quand on parle avec des gens qui sont peut-être plus convaincus de leur position antichoix, c'est une position politique, c'est une position morale. Pour eux, je pense que les conversations commencent plus au niveau de l’impact des restrictions sévères à l'avortement. Encore une fois, communiquer l’histoire humaine, dire, par exemple, aux États-Unis avec les restrictions qui ont été immédiatement mises en place dans certains États, on voit déjà des gens qui ne se font pas offrir de soins en situation de grossesse ectopique. Ça, ça peut mettre leur vie en danger, elles peuvent perdre leur habileté à avoir des enfants, alors que c'est une situation où la grossesse ne sera jamais viable. Mais les fournisseurs de soins en santé sont tellement apeurés de perdre leur licence s’ils violent les restrictions mises en place que des soins vitaux ne sont plus offerts aux femmes. On parle de grosses ectopiques, on parle de grossesse molaire, on parle de grossesse sceptique parce qu'un fœtus est décédé, mais il y a encore une activité cardiaque. On parle d’anencéphalie, de développement où, justement, le fœtus ne vivra pas après la naissance, mais il vit dans l’utérus. Donc, dans ces cas-là, je pense que de commencer par là et de dire : écoutez, l'avortement est utilisé dans un spectre très large de situations médicales urgentes. C'est important de l’avoir accessible à tous. Donc, je pense que ça vient encore une fois, de un : d’essayer de connecter, de voir quelles sont les valeurs qu’on a en commun. Je pense que tout le monde veut que les gens soient en sécurité, que leur famille soit en sécurité. Personne ne veut que des parents décèdent sur la table d’opération quand ils ont des enfants à la maison. Il y a beaucoup de points de connexions où on peut se retrouver et commencer à discuter de l’aspect humain de la question.
Animatrice : OK, thank you bye.
Hors entrevue : Et est-ce qu'on peut écrire au ministre par exemple? Et est-ce qu'on peut écrire au ministre? Oups sorry. Est-ce qu'on peut écrire au ministre qu'est-ce qu'on peut faire? On peut faire des balados.