Yves Faguy reçoit Patricia Gamliel, associée chez Dunton Rainville à Montréal, et présidente de la section du Forum des femmes juristes de l’ABC, Division du Québec, pour parler d’équité salariale dans la foulée d’une récession qui a eu un impact disproportionné sur les femmes.
Épisode bonus présenté par ABC National, Après la pandémie: Encore loin de l’équité salariale Ép. 4
Dans cet épisode Yves Faguy reçoit Patricia Gamliel, associée chez Dunton Rainville à Montréal, et présidente de la section du Forum des femmes juristes de l’ABC, Division du Québec. Maître Gamliel nous entretient sur l’impact disproportionné de la COVID sur les femmes en milieu de travail, l’équité salariale, et l’absence de transparence quant à la rémunération au sein de cabinets.
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Yves Faguy : Vous écoutez un programme du magazine ABC National. Bonjour, Yves Faguy, rédacteur en chef du magazine ABC National. Bienvenue à : Après la pandémie, où il s’agit d’explorer des questions de droit émergentes dans un monde transformé. Cet épisode vous est présenté par la Financière des avocats. Obtenez des conseils d’experts et des assurances et des investissements de qualité avec la Financière des avocates et avocats. Et comme ils sont à but non lucratif, vous obtenez une valeur exceptionnelle, pour commencer rendez-vous sur financieredesavocats.ca.
Aujourd'hui nous allons parler d’équité salariale et d’associations professionnelles en droit. On le sait et on l’a souvent entendu, l’impact inégal du coronavirus sur les femmes est énorme : garde d’enfants, perte de revenus et perte d’emploi. Le repli économique dû à la COVID 19 se distingue par rapport aux récessions antérieures par le fait qu’il a frappé les femmes de manière disproportionnée. Et même si les professionnels du droit ont été un peu plus épargnés, peut-être, il faut dire qu’avant la COVID 19 les femmes étaient déjà sous-représentées dans les postes de direction, dans le secteur des affaires et dans le monde juridique. Vingt-sept ans après le rapport, les assises de l’ABC, le document de 1993 qui étudiait la discrimination à l’encontre des femmes en droit, le problème de la diversité et de l’inclusion demeure réel. Force est-il de constater que le progrès se fait lentement et là on a le revers de la pandémie qui inquiète. Les femmes vont-elles retrouver le même niveau qu’avant et pouvons-nous espérer réinitialiser la discussion atour de l’équité du travail et faire mieux qu’avant?
Pour nous aider à mieux comprendre tous ces enjeux, nous avons invité Maître Patricia Gamliel. Elle est associée chez Danton Rainville à Montréal, elle a pratiqué depuis 25 ans en droit administratif, plus particulièrement en droit de l’immigration, elle est depuis longtemps impliquée avec l’ABC et préside actuellement la section du Forum des femmes ABC, division Québec. À ce titre elle est membre aussi de l’exécutif du Forum des femmes ABC section nationale. Bienvenu au programme Maître Gamliel et merci de participer à cette émission de l’ABC National.
Patricia Gamliel : Merci beaucoup de l’opportunité.
Yves Faguy : J’en profite d’ailleurs pour souligner le fait que le Forum des avocats de l’ABC présente une table virtuelle le 21 avril sur l’équité salariale dans la profession juridique. Elle sera animée par la journaliste Robyn Doolittle du Globe and Mail. C'est elle qui a publié un reportage sur l’écart salarial entre les sexes dans la profession juridique canadienne tout dernièrement. D’ailleurs, dans ce reportage, je crois qu’elle a mentionné une initiative entreprise par le Forum qui voulait justement mener une enquête sur la rémunération des associés. Mais, ç’a été un petit peu laborieux pour tout le monde, n’est-ce pas?
Patricia Gamliel : Oui. C'est… c'est beaucoup de travail et puis ça demande aussi beaucoup d’implication parce que ça ne va pas être une sorte de conférence, puis on pose des questions et tout le monde s’en va à la maison, mais ça va avoir la formule, comme on dit, c'est une « table ronde » sur l’égalité de paye dans la profession légale. Et, donc l’idée c'est d’avoir des tables rondes virtuelles avec des groupes qu’on appelle des focus group et des facilitatrices qui vont aider à poser les questions et à recueillir surtout l’information dont nous avons besoin. L’information que nous cherchons à obtenir c'est une information sur les expériences, les perceptions des avocats sur le sujet de l’égalité de paye et, potentiellement les solutions proposées. Tout cela va faire l’objet par la suite d'un rapport.
Yves Faguy : Justement, dites-moi, vous qui êtes avocate en pratique depuis 1995, je crois?
Patricia Gamliel : Mm... mm...
Yves Faguy : En matière d’équité salariale ou en matière d’expérience de travail où en sommes-nous 25 ans plus tard? Comment avez-vous vu évoluer les choses? Et comment avez-vous vécu ça?
Patricia Gamliel : Bon, j’ai été longtemps, j’ai dirigé longtemps mon propre cabinet. Alors on ne peut pas dire que je l’ai vraiment vécu. Quand je regarde autour de moi, je fréquente beaucoup d’avocats et d’avocates, évidemment. Il est évident que ce qu’on appelle la compensation salariale pour les associés qui diffère un petit peu du salaire prévu pour les professionnels qui sont avocats dans un cabinet, fait appel à beaucoup de facettes et beaucoup d’éléments, je dirais même de facteurs, qui peuvent affecter la compensation au-delà de la compensation : vous êtes de telle année de Barreau, vous avez tant d’années d’expérience donc votre compensation serait X. Y a beaucoup plus de facteurs que cela qui entrent en jeux.
Yves Faguy : Par exemple.
Patricia Gamliel : Comme, par exemple vous savez que le Forum des femmes juristes (FFJ) en 2016 avait déjà essayé d’obtenir une compréhension de la façon dont la compensation était faite. On s’est rendu compte déjà à l’époque que parmi les facteurs dont il fallait tenir compte, il y avait la production de l’avocate. Donc, le nombre de dossiers que l’avocat apportait au cabinet et traitait au cabinet. Le genre de clients qui était généré par l’avocat, c'est sûr qu’on peut avoir 500 dossiers individuels, mais 3 dossiers de grosses corporations, ça change un petit peu les choses dans un cabinet. La gestion de la pratique par l’avocat, sa délégation de dossiers à de plus jeunes avocats, sa participation dans la direction du cabinet, son mentorat de jeunes avocats, et dans certains cabinets, l’existence de bonus. Tout ça, rentre dans les facteurs qui vont affecter la compensation.
Alors qu’en 2016 nous pensions étudier la différence homme/femme, on s’est aperçu que bon, on n’est plus dans une situation binaire, ce n’est plus une situation homme/femme, mais on doit regarder bien au-delà. Il peut y avoir aussi… ça peut affecter aussi l’origine ethnique, ça peut affecter la culture, y a des cultures dans chaque cabinet. Donc, vous voyez, les facteurs sont multiples. Et si on voulait pouvoir toucher à tous ces facteurs, la meilleure solution que le Forum des femmes juristes de l’ABC a trouvée, c'est d’avoir ces tables rondes qui permettraient aux avocats de s’exprimer. Donc, on ne va pas retenir les noms, on ne va pas prendre en note des cabinets non plus, mais c'était de recueillir l’information sur les expériences de ces avocats, les perceptions qu’ils ont de leur propre situation sur le sujet, et, potentiellement comme je l’ai dit tout à l'heure, les solutions proposées.
Yves Faguy : Je comprends tout à fait que ce n’est pas un monde binaire et puis il y a plein d’autres facteurs qui peuvent entrer en jeu. Toujours est-il qu’on dit que les femmes ont été parmi celles qui ont été le plus frappées par la dernière récession, cette dernière récession causée par la COVID 19. En anglais on emploie souvent le terme de « shesession » à la « ellecession ». Selon vous, comment est-ce que les femmes dans le milieu juridique ont vécu cette dernière année par rapport à d’autres secteurs?
Patricia Gamliel : Premièrement, je ne dirais pas que c'est seulement par rapport à d’autres secteurs. En général, quand il y a une crise, nous le savons tous, les femmes, surtout celles qui sont mères vont être affectées. Les enfants ne vont pas à l’école, c'est ennuyeux à dire, mais souvent ça va être madame à qui on va demander de rester à la maison parce que monsieur doit aller travailler. Madame, elle peut ne pas aller travailler. Il y a aussi les enfants en bas âge qui ont besoin de la présence de leur mère, ç’a toujours affecté la situation générale. Maintenant, quand on parle des femmes juristes dans un monde de COVID, effectivement, on va remarquer que les femmes, surtout celles qui étaient dans la marge, on va dire, de la trentaine, entre 30 et 39 ans, qui sont mères et qui vont avoir des enfants en bas âge, des enfants de moins de six ans, on va remarquer que ces femmes-là vont subir le contrecoup de la situation de COVID. Elles sont obligées de faire quelque chose avec les enfants et bien souvent ce sont elles plus que d’autres qui sont restées à la maison. Alors, oui, effectivement dans ce cas précis on parle de genre, on parle de femmes. Il est certain qu’il y a eu des hommes, il y a eu d’autres personnes autres que femmes et hommes qui ont subi le contrecoup. Mais, ce que les statistiques semblent démontrer c'est qu’effectivement les femmes qui étaient dans ce groupe d’âge, on subit le plus de conséquences du COVID.
Yves Faguy : Vous parlez des statistiques, la pandémie nous a également appris qu’un des gros problèmes auxquels ont fait face c'est l’absence de données qui ont masqué jusqu’ici les inégalités dans notre économie et dans notre société, mais également durant la pandémie elle-même. Sans données, c'est très difficile d’adopter ou de mettre en œuvre des solutions concrètes qui permettront de réduire justement ces écarts. Ça semble être un problème d’obtenir ces données-là auprès des cabinets d’avocats en particulier. Pourquoi?
Patricia Gamliel : Je pense que la problématique et vous faites peut-être référence à la tentative d’obtenir ces données-là en 2018 par le Forum des femmes juristes à travers un sondage, c'est difficile parce qu’approcher un cabinet en lui demandant, à l’époque ce qui s’est passé, le pourcentage de compensation en identifiant seulement le genre des associés qui étaient concernés et les facteurs qui étaient considérés dans l'établissement de la compensation, était difficile. Et nous comprenons aujourd'hui. Nous comprenons aujourd'hui comme je l’ai dit tout à l'heure qu’il y a beaucoup plus de facteurs que ceux que nous pensions poser comme hypothèse. Effectivement, ça devenait difficile pour les cabinets d'avocats de participer et c'est pour ça que sur les, je pense qu’il y avait à peu près 80 cabinets qui étaient visés, il y en a eu quarante et quelques pourcents qui ont répondu. Mais, on s’entend, ça ne répondait pas comme je viens de le dire, à la question qui se pose. Mais aujourd'hui, c'est pour ça qu’aujourd'hui je pense que l’idée d’avoir les tables rondes avec une information qui est partagée, on vs dire presque anonymement par les avocats, va nous aider à établir une meilleure vue de l’inégalité qui existe dans les compensations dans le monde juridique.
Y a quand même des statistiques qui ont été émises au niveau du COVID concernant les juristes, mais concernant les inégalités, comme je l’ai expliqué tout à l'heure, à travers les femmes, les hommes et les autres personnes.
Yves Faguy : Mais, je comprends qu’il y ait tous ces autres facteurs. Je pense que ces facteurs sont très importants pour éventuellement aboutir à une meilleure équité salariale peut-être, mais, encore faut-il avoir ces données sur les conditions de travail dans le monde juridique et dans le monde dans le secteur privé en général aussi. Il demeure qu’il n'est pas facile de les obtenir et ça sert quand même de base de comparaison. Donc, je pense un p'tit peu, je sais qu’au Royaume-Uni maintenant les entreprises d’une certaine taille doivent publier des données sur les écarts de rémunération entre les sexes. Ça s’applique aux cabinets juridiques. C'est peut-être pas une loi tout à fait transparente et parfaite, mais faudrait-il obliger les compagnies et les cabinets juridiques de faire la même chose ici?
Patricia Gamliel : Un changement est toujours bienvenu et toujours nécessaire. Nous sommes une société, nous avons beaucoup de chance parce que nous sommes une société qui avance, qui se développe et qui a tendance à s’améliorer. Y a beaucoup de solutions qui vont sortir, j’en sûre, de ces tables rondes. Je vais prendre un exemple très simple, une des solutions que je pense pourrait être visée par nos gouvernements, c'est la solution par exemple lorsqu’on parle de congé de maternité et de congé de paternité. On le sait, les personnes qui donnent naissance à un enfant n’ont pas le choix. D’abord, il y a la période de donner naissance, la période juste après la naissance, vous n’avez pas le choix de vous absenter de votre travail.
Yves Faguy : Juste un peu, juste un peu pas trop longtemps.
Patricia Gamliel : Juste un peu. Ben ça dépend, ça dépend. Parce que c'est sûr qu’il peut y avoir des complications, il peut y avoir toute sorte de choses, mais généralement, c'est un peu ennuyeux, mais généralement les femmes font les frais, justement, de ce congé parental. Une des solutions pourrait et je dis bien « pourrait être » d’obliger les hommes à prendre un minimum de congé parental. Si les cabinets se retrouvaient avec une obligation de monsieur, madame et autres personnes de prendre son congé parental, ne serait-ce qu’un mois, deux mois, la question se poserait moins de savoir si la jeune femme, ou la jeune personne qui rentre dans le cabinet, est-ce qu'elle va nous quitter elle dans un an ou deux ans parce qu'elle va avoir des enfants? Peut-être que la question se poserait moins si tout le monde avait cette obligation et pas un choix.
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Yves Faguy : Je sais qu'il y a certains bureaux, de plus en plus tranquillement pas trop vite, mais qui encouragent les pères à prendre ce congé parental, mais je me demande pourquoi, selon vous, est-ce que vous avez une idée pourquoi il y a une résistance à imposer ces congés parentaux, même à l’interne d’un cabinet d’avocat ou de l’encourager? Ou, est-ce que les jeunes hommes, les jeunes pères aujourd'hui, est-ce qu'ils sont plus disposés à prendre ces congés-là?
Patricia Gamliel : Oui, mais il faut savoir aussi qu’on est dans une profession qui est difficile, il est difficile de s’absenter de sa pratique. Vous avez dépendamment de sa pratique, de la pratique qu’un avocat a, excusez-moi. Il doit gérer des dossiers, souvent ce sont des dossiers de litiges, il doit se rendre devant les tribunaux, il y a des dates, il y a des dates de procès, il y a des préparations de dossiers. Si vous êtes dans un dossier depuis plusieurs mois, voire quelques années, décider de prendre un congé d'un mois, deux mois, c'est difficile. Il est certain que la vie étant ce qu’elle est, les personnes qui veulent avoir des enfants vont vivre avec ces difficultés. Là, les dossiers doivent être transférés à quelqu'un, ça demande aussi beaucoup de travail. Ils doivent être transférés à quelqu'un et la plupart des avocats s’ils ont le choix, ils ne vont pas le faire.
Yves Faguy : Y compris les femmes?
Patricia Gamliel : Ben, elles n’ont pas le choix, justement. Si madame est enceinte et qu’elle va accoucher dans deux mois, elle n’a pas le choix. Il faut qu’elle transfère ses dossiers.
Yves Faguy : Il va falloir.
Patricia Gamliel : Alors que monsieur lui s’il ne va pas accoucher d’un enfant, il n’est pas obligé de transférer ses dossiers.
Yves Faguy : Cela dit, je veux dire, y a d’autres industries, d’autres secteurs professionnels où il y a beaucoup de stress. Je ne sais pas s’ils sont confrontés aux mêmes blocages culturels, si on veut dire. Pourquoi, comment se fait-il que les cabinets d’avocats aient tant de mal à faire un virage culturel de ce genre-là?
Patricia Gamliel : Je ne sais pas si j’appellerais ça un virage culturel ou un virage social.
Yves Faguy : Virage social, c'est peut-être préférable comme terme oui.
Patricia Gamliel : Les médecins sont dans la même situation. C'est très difficile pour une femme médecin de rester au cabinet alors qu’elle va avoir un enfant dans trois jours, quatre jours, cinq jours ou alors qu’elle vient d’avoir un enfant. Si on parle de ce côté-là de la pratique, de l’exercice d’une profession. Mais il y a d’autres limites. Vous avez aujourd'hui, et je vais juste toucher ça très légèrement, vous avez aussi les proches aidants.
Yves Faguy : Oui
Patricia Gamliel: C'est ennuyeux à dire, mais souvent ça va être la femme dans le groupe des êtres humains qui va s’occuper des personnes âgées de la famille, des personnes handicapées de la famille. Même avec l’aide, même si vous engagez quelqu'un pour aider. Il y a comme une responsabilité. Il est certain que ça affecte la qualité de vie de toute personne qui entre dans ce service merveilleux d’aider les personnes plus âgées, ou les personnes handicapées.
Yves Faguy : L’autre particularité peut-être qu’on est des cabinets d’avocats, c'est très opaque aussi quand même, comment les compensations, les rémunérations entre associés en particulier, sont déterminées. Je pense que le reportage de Robyn Doolitle dans le Globe and Mail en a parlé un p'tit peu.
Patricia Gamliel : Oui
Yves Faguy : Et même au niveau des sociétaires, comment les bonus sont alloués, peut être considéré de la manière dont cela est fait, peut être considéré un peu opaque aussi. Est-ce qu'il n’y a pas lieu d’adopter une approche un peu différente?
Patricia Gamliel : Y a toujours lieu d’apporter des améliorations dans toutes industries, dans toutes corporations, dans toutes associations. Ça prend du temps, puis ça prend une demande d’ouverture d’esprit. Mais, je crois que principalement ça prend une réalisation qu’il y a un problème.
Yves Faguy : Le réalisent-ils? Et le réalisent-ils avec tout ce qui se passe autour de la pandémie?
Patricia Gamliel : Je pense que c'est ce que la table ronde va nous dire.
Yves Faguy : Est-ce qu'il y a lieu que les barreaux interviennent dans cette question-là? On a vu ça un petit peu en Ontario où ils ont essayé de faire adopter des statement of principles pour que les cabinets divulguent leurs efforts en matière de diversité et d’inclusion. Est-ce qu'il faut réfléchir à ça?
Patricia Gamliel : Il faut voir le résultat aussi. On peut réfléchir à plein de choses.
Yves Faguy : C'est très sage.
Patricia Gamliel: On peut recommander beaucoup de choses.
Yves Faguy : Comme je disais, au Royaume-Uni y a une obligation qui est imposée.
Patricia Gamliel : Oui, mais c'est une obligation légale, ce n’est pas une recommandation.
Yves Faguy : Qu'est-ce que ça prendra pour qu’il y ait plus transparence dans tous ces facteurs qu’on chercher à savoir? Compensation, possibilités d’avancement de carrière, bonus, qu'est-ce que ça prendra pour qu’il y ait une meilleure transparence?
Patricia Gamliel : Vous savez nous disons toujours que nous sommes dans une société démocratique, mais il n’y a jamais une transparence complète, même dans une société très développée et aussi démocratique que la société canadienne. Alors oui, on veut tous atteindre plus de transparence en tout, nous demandons à nos gouvernements d’être transparents constamment. Il y a des politiques, il y a des règlements, il y a des lois qui imposent… Et je parle du gouvernement parce que c'est encore plus élevé et plus on s’attend à ce que la demande soit plus forte de transparence à bien des niveaux. Et ça se fait. Maintenant pour que ça descende dans des corporations ou des associations qui sont dans le domaine privé, comme vous l’avez dit tout à l'heure, ça va prendre un changement. Un changement culture, un changement social pour que les choses puissent changer.
Je pense que la jeune génération d’avocats le réclame plus à l’heure actuelle que précédemment. Donc, oui il y a de l’espoir. Comme je dis, on fait cette table ronde pour commencer, je suis très confiante que cette table ronde va déjà apporter certains éclaircissements sur cette situation et que les cabinets vont prendre le pas tranquillement vers plus de transparence ou peut-être plus organiser la façon dont la compensation est faite. Écoutez, je regarde les grands cabinets canadiens et… il y a encore quoi, une vingtaine d’années, vous n’auriez pas vu une femme à la tête d’un cabinet d’avocats.
Yves Faguy : Oui, il y a quand même du changement.
Patricia Gamliel : Oui
Yves Faguy : En quelqu'un m’a déjà dit que le problème n’est pas nécessairement sur le plan de la rémunération et pourquoi la rémunération est-elle un secret si bien gardé dans les cabinets d’avocats. Ce n’est pas juste une question homme/femme, c'est une question associé/associé et qu’il y a des problèmes structurels dans le modèle d’affaires dans les cabinets d’avocats et de la façon dont les associés s’entendent pour partager les revenus du cabinet. Est-ce que c'est vrai ça?
Patricia Gamliel : Ça dépend du cabinet vraiment.
Yves Faguy : Le gouvernement du Canada ici, eux ils ont adopté des lois, des mécanismes législatifs dans le domaine des droits de la personne, des droits du travail, tout ça pour adresser la question de discrimination salariale fondée le sexe. Évidemment, ces protections ne sont pas égales à travers le pays. Ça change d'une province à l’autre. Le fédéral a sa propre législation. Mais, comment se fait-il que ces lois-là qui sont en vigueur des fois depuis des décennies, comment se fait-il que ces lois-là n’aient pas eu les effets escomptés selon vous?
Patricia Gamliel: Comme vous venez de le dire, parce que ces lois sont dirigées seulement sur « un » facteur. Légalité des sexes n’est pas le seul facteur. C'est un facteur très important on le sait, mais ce n’est pas le seul facteur. Donc, oui, ces lois peuvent aider à dire, voilà, si vous payez un salaire de tant, avec tant d’années d’expérience et tant de diplômes vous devez payer le même salaire. Mais si vous faites entrer dans l’équation d’autres facteurs, comme on l’a dit tout à l'heure, la loi, ne nous aide pas trop.
Yves Faguy : Donc selon vous, les gouvernements devraient cibler quoi d’autre comme facteur?
Patricia Gamliel : Ben on a donné l’exemple tout à l'heure du congé parental. On peut regarder aussi l’obligation d’engager des gens… de communautés sous-représentées. On a vu qu’il y a les personnes qui sont, ce qu'on appelle les personnes racialisées, les personnes d’ethnies différentes, les personnes de communautés autochtones, nous avons l’énorme chance d’avoir comme président à l’heure actuelle à l’ABC quelqu'un qui est originaire des communautés autochtones. Les personnes qui ne sont pas nées au Canada, donc qui ne sont pas seulement d'origine ethnique, mais qui sont aussi des personnes immigrantes qui ont refait tous leurs diplômes, qui ont essayé de s’adapter au pays. Et puis il y a aussi les personnes qui ont des handicapes différents. Alors tout ça, ça fait beaucoup. Ça, ça va demander effectivement une intervention du gouvernement à ce niveau-là aussi.
Yves Faguy : Je suis curieux de savoir quelle est votre opinion aussi sur… on a beaucoup parlé durant la pandémie de télétravail, puis de la capacité justement des cabinets juridiques et de l’industrie du droit et d’autres industries de pivoter, si on veut, et d’aller vers une forme de travail plus agile, plus à distance, et tout ça. Mais ce n’est pas sans problèmes, je crois. Quelle est la difficulté pour un cabinet comme le vôtre ou d'autres cabinets de bien mentorer les jeunes et de bien les assister dans l’avancement de leur carrière ? Parce que je pense que ça c'est un des facteurs aussi dont vous allez certainement parler à la table ronde.
Patricia Gamliel : Quand on parle de télétravail, on parle forcément de travailler de la maison. On sait tout qu'il y a des gens qui se concentrent plus que d’autres en étant à la maison. Si on parle des cabinets, y a des cabinets qui ont carrément fermé leurs portes et qui ont été en télétravail en se disant que les avocats étaient des gens responsables et qu’ils allaient travailler de la maison. C'est vrai en général. Beaucoup de cabinets se sont adaptés au télétravail justement parce qu'ils ont fermé leur cabinet. Et vous avez eu aussi des secrétaires, des paralégaux et tout le monde qui tourne autour de la pratique du droit dans un cabinet. Mais pour y arriver, il faut faire appel à une technologie. Les cabinets qui ont le mieux réussi, je pense, ce sont ceux qui avaient déjà développé une technologie suffisamment bien structurée pour pouvoir passer au télétravail. Ce n’est pas le cas de tous les cabinets.
Yves Faguy : Ça je comprends, on parle beaucoup dans les médias, on s’interroge à savoir si on reviendra aux anciennes façons de faire ou la plupart du personnel revient sur les lieux du travail, on semble indiquer que ce sera peut-être un mélange de télétravail et d'une présence imposée, un certain nombre d'heures ou de jours de semaine, je ne sais pas. Mais pour ceux qui sont en télétravail, ça doit être quand même plus difficile de faire avancer sa carrière. Y a quand même des connexions qui se font au travail dans les couloirs, la machine à café. C'est comme ça qu’on ramasse des dossiers ou qu’on se fait interpeller pour sauter sur un nouveau dossier ou dans un nouveau litige ou peu importe. Est-ce que les associés dans les bureaux sont en train de réfléchir à ces défis-là?
Patricia Gamliel: J'ai des difficultés à parler d’autres bureaux parce que je n’y suis pas vraiment. Je parle avec des avocats, mais ça ne me donne pas vraiment l’image de ce qui se passe à ce niveau-là au niveau de la réflexion des directions des cabinets. Je peux vous dire que dans le cabinet où je travaille, moi je préfèrerais retourner au cabinet dès que c'est possible. Travailler pour moi à distance c'est très simple, parce que beaucoup de mes dossiers se font par courriel. Cour fédérale se fait par Zoom, même les tribunaux administratifs. Donc, moi je n'avais pas vraiment de difficulté de le faire de la maison. Mais vous avez raison, être dans le cabinet c'est autre chose. D’abord ça vous demande de commencer à une certaine heure, y a pas d’heure pour finir, de finir au moins à un moment donné, si vous avez une exigence du gouvernement qui fait que vous devez être à la maison à 8 heures, même comme travailleur essentiel, vous allez quand même essayé de respecter ça. Moi j’ai trouvé, mais ça c'est personnel, j’ai trouvé que c'était mieux que je vienne au cabinet plutôt que de travailler de la maison la majorité du temps. Y a des avantages à travailler de la maison, mais il y a aussi beaucoup d’inconvénients. C'est encore plus vrai lorsqu’on parle de personnes qui ont des enfants et que les enfants sont à la maison. Parce qu’un enfant qui est à la maison, vous n’allez pas le mettre devant la télévision pendant 8 heures de temps. Il a des… surtout s’il a des parents à la maison, il va vouloir avoir l’attention des parents, c'est normal. C'est là où la difficulté se pose.
Donc, les personnes qui ont des enfants, ou des personnes qui ont besoin d’aide, on a parlé des proches aidants tout à l'heure, tout cela va faire que votre travail ou votre pratique va en être affecté, veux veux pas.
Yves Faguy : Alors, maintenant tournons juste un tout petit peu vers l’avenir, qu’envisagez-vous? Est-ce que vous croyez qu’une fois sortie de cette pandémie, encore une fois sur la question de l’équité salariale ou de l’équité de l’ascension professionnelle, pensez-vous que les bureaux, les cabinets privés au Canada seront en mesure d’adresser le problème de façon marquante?
Patricia Gamliel : Certainement! Certainement ça va se faire. Comme tout avancement social, sociétal, ça va se faire.
Yves Faguy : Croyez-vous qu’il va y avoir une vraie accélération par contre, vers cet objectif-là?
Patricia Gamliel : Je pense que plus la conversation va se faire sur le sujet, plus la conversation va être publique sur ce sujet, plus rapidement le sujet va se régler comme tout autre sujet.
Yves Faguy : Parfait. J’aimerais vous remercier Maître Gamliel de nous avoir éclairé sur ces questions.
Je m’entretenais donc avec Patricia Gamliel avocate en droit de l’immigration et en droit administratif à Dunton Rainville elle est associée dans ce bureau de Montréal.
Merci beaucoup
Patricia Gamliel : Merci à vous.
Yves Faguy : Bonne journée.
Patricia Gamliel : Bonne journée ça m’a fait vraiment plaisir de vous parler. Au revoir!
Yves Faguy : Si l’épisode vous a plu, veuillez le partager avec vos amis et collègues et si vous avez des commentaires, des réactions ou des suggestions, n’hésitez pas à nous contacter sur Twitter à @cbanatmag, et sur Facebook. Et nous vous invitons aussi à vous rendre sur nationalmagazine.ca pour découvrir le contenu de notre analyse récente de l’actualité juridique au Canada. Un grand merci à notre productrice Ann-Catherine Désulmé et merci à vous tous de nous avoir écouté. À la prochaine.