Juriste branché

Les assises de la réforme : égalité, diversité et responsabilité, avec l’honorable Sophie Bourque

Episode Summary

À l’occasion du 30e anniversaire du rapport novateur de l’ABC « Les assises de la réforme : Égalité, diversité et responsabilité », une discussion avec l’honorable Sophie Bourque sur le « tao » de la « Bertha Wilson Task Force » et le long chemin du changement sociétal.

Episode Notes

Il y a trente ans, le Groupe de travail de l’ABC sur l’égalité des genres, présidé par la regrettée juge Bertha Wilson, première femme nommée à la Cour suprême du Canada, a exposé et cherché à faire exploser le plafond de verre pour les femmes dans la profession juridique. Accusés d’être des radicales et d’évoquer des problèmes qui n’existaient pas, les membres dudit Groupe de travail ont publié en 1993 le rapport Les assises de la réforme : Égalité, diversité et responsabilité, qui explorait la discrimination envers des femmes et d’autres membres de la profession juridique qui ne ressemblaient pas au modèle traditionnel de l’homme blanc. Le Groupe de travail, dont l’honorable  Sophie Bourque, jeune avocate en défense dans ce temps, était l’unique membre québécoise et francophone, a identifié les obstacles rencontrés par les femmes et les personnes racialisées à tous les niveaux : les obstacles à l’admission dans les facultés de droit et le climat « empoisonnée » dans les facultés, les obstacles à l’obtention de stages ainsi qu’à la réussite des femmes au sein de cabinets juridiques privés et de la magistrature.

Le rapport « Les assises » a déclenché une campagne de trois décennies en faveur de l’équité, de la diversité et de l’inclusion, qui se poursuit encore aujourd’hui.

L’honorable Sophie Bourque, de Montréal, a été nommée juge à la Cour supérieure du Québec, district de Montréal, en 2005. Au moment de sa nomination, elle était associée au sein du cabinet Hébert, Bourque et Downs à Montréal, où elle pratiquait surtout dans les domaines du droit criminel, du droit pénal constitutionnel et du droit disciplinaire. Madame Bourque a été membre très active de l’Association du barreau canadien, membre de plusieurs comités du Barreau du Québec et présidente du Comité sur les femmes dans la profession du Barreau du Québec.

Vous avez des questions ou souhaitez obtenir de plus amples informations? N’hésitez pas à nous contacter àpodcasts@cba.org en indiquant «Balado» dans la ligne d’objet.

Episode Transcription

L’honorable Sophie Bourque

L’indicateur de temps [00:00:00] indique un mot incompris ou incertain. 

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Intervieweuse : Après 20 ans comme avocate à la défense, 19 ans comme juge à la Cour supérieure du Québec et ayant démontré un engagement constant auprès de l'ABC et du Barreau du Québec, particulièrement en matière d'équité, de diversité et d'inclusion, on voulait savoir comment allait Madame la juge Sophie Bourque, celle qui a eu un impact si positif sur la profession juridique ces dernières années. Vous, ça va bien ?

 

S. Bourque :       Ça va, moi je suis à la retraite.

 

Intervieweuse :Oui, c'est ça, moi je me souviens la dernière fois qu'on avait parlé avec les autres membres de la Berta Wilson Task Force et vous disiez « OK, ça s'en vient la retraite », donc le voilà maintenant. Depuis combien de temps ? 

 

S. Bourque :       31 décembre.

 

Intervieweur :    Yahoo! 

 

S. Bourque :        Yahoo, certain. Je me sens comme une petite jeune qui se demande ce qu'elle va faire dans la vie.

 

Intervieweuse :Oui, bien là, c'est ça que j'allais dire, c'est comme un monde des possibles qui s'ouvre.

 

S. Bourque :       Tout est possible, tout est possible, c'est comme trop de possibles.

 

Intervieweur :    Oui, c'est ça. 

 

S. Bourque :       Je ne sais pas quoi faire ! Il y a trop d'affaires que je veux faire, je veux tout faire.

 

Intervieweuse :Ah, c'est clair, mais c'est trop bien, vous vous sentez bien somme toute, ça se passe bien, justement.

 

S. Bourque :        Oui, oui, oui, à part un accident de ski samedi dernier, je me suis fait une entorse au genou, c'est pas grave, tant que c'est bien que ça. J'ai fait un petit tour de train d'eau pour la première fois de ma vie.

 

Intervieweuse :C'est toujours agréable, en descente, on se sent comme une jeune. 

 

S. Bourque :        C'est ça. 

 

Thème de l’émission 

Vous écoutez Juriste branchée, présentée par l'Association du barreau canadien.

 

Bonjour, je m'appelle Julia Tétrault-Provencher. Bienvenue à Juriste branchée. Notre invitée aujourd'hui est l'honorable Sophie Bourque, juge de la Cour supérieure du Québec, tout récemment retraitée, et manifestement, ça lui va bien la retraite, mis à part cette entorse.

 

S. Bourque :        J'ai écouté les épisodes de podcast, c'est vraiment bien.

 

Intervieweuse :Oui, ah ouais.

 

S. Bourque :        Non, mais c'est le fun, puis le monde que vous êtes allé chercher, puis le lien entre le passé et l'avenir. Vous avez vraiment fait de la belle job, vraiment, vraiment.

 

Intervieweuse :Quel grand éloge venant d'une personne si impressionnante et distinguée, mais à la fois si chaleureuse et authentique. C'est la deuxième fois pour moi que j'ai le plaisir de discuter avec l’honorable Sophie Bourque. La première fois étant l'année dernière, lors des enregistrements pour notre balado anglais The Every Lawyer, fêtant le 30e anniversaire du rapport de l'l'ABC : Les Assises, Touchtones for Change, un jalon de l'EDI sorti en 1993 et développé par le groupe de travail de l'ABC sur l'égalité des genres, de Bertha Wilson, dont l’honorable Sophie Bourque, jeune avocate en défense à l'époque, était l'unique membre québécoise et francophone. Ce rapport, Les Assises, était et est toujours remarquable. Alors que le rapport visait ultimement à créer de grands changements au sein de la profession juridique et de la société en général, ses recommandations concrètes permettaient à la profession d'y aller pas à pas et de s'adapter progressivement.

 

Alors que Madame Bertha Wilson était de l'avis que 30 ans, ce n'est pas long pour un changement sociétal, voici ma conversation avec l'honorable Sophie Bourque sur le long chemin parcouru entre le début du groupe de travail jusqu'à aujourd'hui et ce qu'il nous reste à faire.

 

S. Bourque :        Je ne me rappelle pas si j'en avais parlé du rapport de la firme McKinsey. McKinsey? McKinsey, qu'on dit ? McKinsey? K-I-N-S-E-Y, McKinsey. Ils ont fait un rapport sur les 500 plus grandes compagnies, sur la diversité, puis ils ont démontré que quand les jeunes arrivent en entreprise, ça rentre 50-50. Après ça, première promotion, il y a plus d'hommes que de femmes qui ont de la promotion. Au dernier échelon de la promotion, on est rendu à 75 % d'hommes. La profession juridique fait juste suivre le… ça suit se passe dans la société, c'est la même chose.

 

Intervieweuse :Oui, elle n'est pas différente.

 

S. Bourque :        Non, elle n'est pas différente. Et ça explique aussi un peu, que je me suis dit : regarde donc ! – C'est sorti il y a deux ans peut-être, deux ans à peu près – je me suis dit : aaaahhh ! les femmes, particulièrement dans les grands cabinets, – parce que ça, c'est les 500 plus grandes entreprises qui généralement font affaire avec de grands cabinets – elles perdent leurs sources de référés aussi. Elles perdent leurs contacts pour avoir de nouveaux clients, parce qu'il n'y en a plus de femmes dans les échelons supérieurs.

 

Intervieweuse : Oui, c'est ça aussi.

 

S. Bourque :        Oui, fait que ça va être la filière – les femmes sont remplacées en entreprise par des gars aux échelons supérieurs. C'est sûr qu'on fonctionne par les biais d'association. On aime travailler avec des gens qui nous ressemblent, qui sont comme nous. Ça, c'est très insidieux, mais c'est fort.

 

Intervieweuse :Non, vraiment. 

 

S. Bourque :        C'est très fort, mais en tout cas. 

 

Intervieweur :    Non, mais c'est fort. C'est vrai, ça finit que les femmes se retrouvent isolées finalement aux plus hauts échelons.

 

S. Bourque :        Oui, elles se retrouvent toutes seules aux plus hauts échelons. Mais je trouve ce qu'il y a d'intéressant, par exemple, avec cette situation-là, c'est que moi, je me rappelle à l'époque, on se faisait dire, « Ah oui, mais là, vous êtes de plus en plus nombreuses. Ça va finir tout par se régler par le nombre. » Mais les hommes, généralement, qui tenaient ce discours-là, étaient vraiment convaincus de ça. Quand vous allez être 50/50, majoritaires, vous n'aurez plus de problème. – Non, non, non, pas sûr de ça. On n'est pas sûr de ça. 

 

Intervieweuse : Non, la rétention. 

 

S. Bourque :       Oui, la prédiction s'est avérée. J'ai regardé vos questions. 

 

Intervieweuse : Oui, et puis ? 

 

S. Bourque :        C'est très bien.

 

Intervieweuse :On se lance.

 

S. Bourque :        Oui, oui, on peut s’avancer.

 

Intervieweuse :Est-ce qu'il y a des questions que vous auriez voulu rajouter ?

 

S. Bourque :        Ah, j'oserais pas.

 

Intervieweuse :Ben oui, voyons ! Non, mais avec la discussion, de toute façon, ça va y aller naturellement. Mais en fait, parce que le but aussi, c'était un peu d'avoir la version française québécoise de tout ça, qu'on a malheureusement… qu'on a cruellement pas, de façon très triste. Donc là, on voulait vous avoir pour en parler justement pour nos collègues qui sont plus à l'aise avec le français. Donc justement, on va commencer avec le commencement, c'est-à-dire comment et pourquoi le groupe de travail de Bertha Wilson, ce qu'on a appelé la « Bertha Wilson Task Force », avait été créé. Puis, c'était quoi les objectifs derrière ce groupe-là ? Et aussi, je trouve ça très intéressant quand vous racontez un peu comment vous vous êtes retrouvés dans ce groupe de travail là. La parole est à vous.

 

S. Bourque :        Merci. À l'époque, le groupe de travail a commencé ses travaux en 91, déposait le rapport en 93. Et ce qui était arrivé, c'est que… ce qui a amené à la création, à la mise sur pied du groupe de travail, c'est qu'il y avait des femmes à l'ABC qui poussaient pour qu'il y ait une étude qui soit faite sur la place des femmes dans la communauté juridique, dans la profession juridique. Il y avait certaines corporations professionnelles, certains Barreaux, qui commençaient à s'intéresser à ces questions-là, mais il n'y avait rien au niveau national. Et c'est comme ça que des femmes à l'intérieur de l'ABC ont poussé pour que l'ABC se préoccupe de cette situation-là d'une façon pannationale. Considérant que c'était la seule organisation qui était peut-être à même à travers son mandat de faire ça. Alors l'ABC a créé le groupe de travail et ce qu'on m'a dit – parce que moi évidemment je n'étais pas là – c'est que c'est sous la présidence du président Chapman qu'a été créé le groupe de travail. Et la petite histoire voudrait que Maître Chapman se soit retrouvé à un souper auquel participait Bertha Wilson quelques semaines après sa retraite. Alors, il lui a « sauté dessus » avant que tout le monde lui propose des millions d'affaires à travers le Canada. Et il lui a proposé de présider ce groupe de travail là. On va se le dire, le fait que ce soit Bertha Wilson qui ait présidé le groupe de travail et que le groupe de travail et le rapport portent son nom, en quelque sorte, ça a quand même été majeur. Ça a été majeur au niveau de la difficile... acceptation ? Acceptance?

 

Intervieweuse :Acceptation.

 

S. Bourque :        Je pense souvent en anglais. Quand je pense au [00:09:15]. 

 

Intervieweuse :Oui je comprends. 

 

S. Bourque :        Je pense souvent en anglais dans ma tête parce que ça se passait en anglais.

 

Intervieweuse :C'est difficile.

 

S. Bourque :        Oui, alors c'est difficile des fois de passer d'une place à l'autre. Alors ça, ça a définitivement beaucoup aidé et ça a aidé aussi à l'orientation des travaux. Moi, je suis arrivée sur ce groupe de travail là. Premièrement, évidemment, au Barreau canadien. Le Barreau canadien est toujours soucieux de la représentation régionale et provinciale. Le Québec est évidemment un incontournable. C'est bien difficile de faire un groupe de travail sans représentants du Québec. À l'époque, j'étais déjà active à l'ABC, j'étais à la conférence des jeunes avocats et notaires. J'étais active dans plusieurs organisations professionnelles. J'étais active au barreau canadien, j'étais active au barreau du Québec. J'étais sur le comité sur les femmes dans la profession. J'étais active au jeune barreau, au jeune barreau de Montréal, qui à l'époque s'appelait l'Association du jeune Barreau de Montréal, où j'avais poussé pour la première étude sur la conciliation travail-famille au Canada, qui a été faite en 1987 par le Conference Board, quand même.

 

Intervieweuse :Quand même, OK.

 

S. Bourque :        Quand même, quand même.

 

Intervieweuse :Non, non, on était active, je vois ça.

 

S. Bourque :        On était active, non, non, non. Moi, je pense que j'étais présidente du Comité femme à la [maternelle 00:10:31].

 

Intervieweuse :Ah yes!

 

S. Bourque :        J'étais, j'avais des positions féministes affichées. À une époque, ce n’était pas nécessairement populaire de le faire non plus. Et au Jeune Barreau, on travaillait très fort aussi à mettre sur pied une garderie en milieu de travail, qui finalement n'a jamais eu le jour, mais le Jeune Barreau avait quand même obtenu un prêt du gouvernement pour mettre sur pied une garderie, un CPE. [00:10:59] de la petite enfance. Oui, mais en tout cas, pour toutes sortes de raisons. Alors, je me suis un petit peu retrouvée là, comme ça, puis le président Chapman m'a appelée au bureau à un moment donné, puis il m'a offert ça, puis j'ai dit oui.

 

Intervieweuse :Oui, mais c'était pas trop « là comme ça ». 

 

S. Bourque :       On ne dit pas non à une offre. 

 

Intervieweuse : Dans le sens qu’il n’était pas trop « là comme ça », dans le sens qu’il y avait quand même déjà une grande implication. Clairement, si on se disait « féministe », on pouvait penser peut-être à Sophie Bourque, dans le monde légal.

 

S. Bourque :        Oui, puis il y avait aussi, oui peut-être dans le monde légal, il y a aussi le fait que moi, j'étais dans un petit cabinet.

 

Intervieweuse :Oui, OK.

 

S. Bourque :        Et le task force voulait… puis ça, ça devait déjà être… ça prenait également une espèce de représentativité des différents secteurs de la profession juridique. Alors, il y a les petits cabinets, il y a les grands cabinets, il y a la magistrature, il y a les in-house counsel, les avocats en corpor… je dis in-house counsel, parce que je pense en anglais. Je m’en excuserai. 

 

Intervieweuse :Ah oui, c'est correct. Oui, oui, les avocats dans les grandes firmes.

 

S. Bourque :        Alors, je rencontrais quand même pas mal d'éléments qui faisaient qu'on m'a contactée pour faire partie du task force.

 

Intervieweuse :Et comment c'était ? Parce que le task force, sûrement, était en anglais. Donc, comment c'était travailler en anglais ?

 

S. Bourque :       Difficile ! Très, très, très difficile ! Parce qu'à l'époque, je ne parlais presque… je ne parlais pas beaucoup anglais. Je parlais anglais, mais j'étais, disons que c'était plus à un niveau de functioning English, qu'on appellerait. Et les travaux du task force, c'était souvent des fins de semaine, c'était de longues fins de semaine, on travaillait tard. Puis n'importe qui qui travaille dans une langue seconde sait, qu'à un moment donné, notre esprit se fatigue beaucoup. Et ce qui est difficile aussi, quand tu es dans un groupe qui parle une langue qui n'est pas ta langue, c'est de comprendre toutes les nuances de l'autre langue. Et autant le français, des fois on a l'impression de comprendre, mais le français est une langue qui exprime quand même clairement ce qu'elle veut dire. Alors, qu’en anglais, on utilise souvent des euphémismes ou des métaphores pour exprimer des idées. Et ça, ça prend un haut niveau pour comprendre ces traits culturels là d'une langue.

 

Intervieweuse :C'est tellement vrai.

 

S. Bourque :        Oui, alors je disais, puis la fatigue aidant, à la fin d'une journée, moi je pense que mon niveau d'anglais devait tomber à 20 % là. 

 

Intervieweuse : On parle le franglais. 

 

S. Bourque :        Oui, c'est ça. Je me fiais beaucoup à ce qui était écrit. Alors c'est toujours plus facile de lire. Puis avec le temps, bien évidemment, j'ai développé mon anglais. Moi, j'ai appris mon anglais au task force

 

Intervieweuse : C'est sympathique. 

 

S. Bourque :        Oui, oui, j'ai pas mal appris mon angl… mais c'est sûr que ça a été une difficulté supplémentaire. Mais ceci dit, tout le monde était bien compréhensif. Puis des fois, je leur disais : « wow, ralentissez, ralentissez. » 

 

Intervieweuse : C'est bon, on aime ça. Puis ils ont pu pratiquer aussi, j'imagine, leur français.

 

S. Bourque :        Le français, puis ils étaient tous conscients. Tout le monde était bien conscient que moi, je faisais comme des efforts supplémentaires. Ça me demandait un effort supplémentaire parce que c'était en anglais.

 

Intervieweuse :Oui, c'est ça. C'est quand même super intéressant. Puis on est très contents que ça soit vous, finalement, qui ce soit retrouvée sur la task force parce que, justement, une avocate féministe, on avait besoin de ça, j'imagine. En fait, j'imagine, les membres de la task force en général, est-ce que c'était toutes des personnes qui, justement, avaient travaillé pour le droit des femmes, étaient déjà très ancrées dans le féminisme ?

 

S. Bourque :        C'était, c'était… bien premièrement, il n'y avait pas que des femmes sur le task force. On était… il y avait, bien évidemment, Mme Wilson. Je ne suis pas certaine que Mme Wilson se définissait comme une féministe. Mais là, je n'ai pas lu tout ce qui a été écrit sur Mme Wilson. Par contre, elle avait.. elle était particulièrement consciente de la position des femmes et des questions de discrimination. Elle était très sensible à ça. Moi, ce qui m'a… la première chose qui m'a frappée chez Mme Wilson, c'était sa capacité d'écoute. Et ça, je pense que ça venait tant de dispositions personnelles que de son expérience à la magistrature. Et parce qu'il y a une différence entre entendre et écouter. Entendre, c'est un phénomène physique, c'est ce qui rentre dans ton oreille. Et écouter, c'est un phénomène cognitif, c'est vraiment de porter attention à ce qui rentre dans ton oreille pour le comprendre. Et le processus intellectuel du jugement – que je comprends mieux maintenant après avoir passé 19 ans comme juge – c'est que de l'information vient de la compréhension et de la compréhension vient le jugement. Et elle avait… on dirait qu'on la voyait écouter. 

 

C'était pas Mme Wilson qui n’interrompait personne. Par contre, nous autres, la gang du task force, on pouvait s'interrompre. Mais Mme Wilson, elle était assise au bout de la table, elle écoutait, elle prenait des notes dans un petit cahier, des petits cahiers qu'on achetait dans le temps, dans le quartier chinois, qui étaient des petits cahiers noirs, rayés bleu pâle avec des petits dessins de dragons dans les coins, puis des petits carrés rouges, des petits triangles rouges aux coins. Elle prenait des notes là-dedans. Et à un moment donné, quand nous autres, on avait fini de s'énerver, là, Mme Wilson, elle résumait le chaos qu'on venait d'exprimer, finalement, et amenait la réflexion encore plus loin. Elle faisait comme une synthèse de ce qu'on avait dit et elle amenait ça encore plus loin. Alors, pour moi, c'était vraiment mon premier cours, mes premiers cours d'écoute efficaces. Je vous dis, on la voyait écouter, c'est la meilleure expression que je pense que je peux avoir pour ça. 

 

Puis autour de la table, il y avait John Hagan, qui est un sociologue, qui est un professeur. Il y avait Alec Robertson, qui est un avocat de grand cabinet de Vancouver. Il y avait moi, il y avait Patricia Bloksum, qui est une avocate des droits de la famille de Calgary. Il y avait Daphné Dumont, qui est une avocate de Charlottetown, d’un petit cabinet aussi. Il y avait… éventuellement, s'est ajouté au task force, Sharon McIvor, une docteure en droit d'origine autochtone, et Connie Spark, qui était juge en Nouvelle-Écosse, qui est une des premières juges noires au Canada, là, je pense. L'édition des deux membres du task force, c'est venu… c'était… il y avait le task force original, là, il y avait Pat, Daphné, moi, Alec, John, il me semble, si je ne me trompe pas. C'est venu, qu’à un moment donné, dans des rencontres qu'on a faites avec différents groupes à travers le Canada, on s'est rendu compte qu'on était… qu'il manquait du monde autour de la table du task force. Pour que le task force soit représentatif et pour qu'on puisse avoir une vision puis une écoute qui soient plus globales, puis qui soient plus justes et réalistes de la situation des femmes dans la profession juridique.

 

Intervieweuse : Donc, en fait, plus de diversité autour de la table.

 

S. Bourque :        Plus de diversité, oui. On commençait à dire le mot diversité.

 

Intervieweuse :Oui, OK. Ce n'était pas nécessairement…

 

S. Bourque :        On était vraiment… c'était pas, non, il y a 30 ans, là, il faut se rappeler quand même, il y a 30 ans… je veux dire, on a eu, le task force, on a vraiment eu un choc quand on a rencontré, l’Association des avocates noires à Toronto. Je ne me rappelle pas du nom exact, le titre de l'association, je pense que c'est une association qui existe encore, à Toronto. Puis qu'on nous a dit : « vous, les femmes blanches, vous luttez contre un plafond de verre, mais nous, les femmes noires, on essaie de rentrer, mais on fait face à une porte de fer. On ne peut même pas rentrer dans la profession juridique. » Puis là, on s'est regardé, puis on regardait qui on était le task force, puis on s'est dit tabarouette, c'est peut-être un petit peu trop blanc notre affaire, là, je veux dire. Alors, on n'a pas, le task force n'a pas résisté à ça, là. Il n'a pas tassé ça, mais ça, c'était vraiment, vraiment, vraiment nouveau. 

 

Intervieweuse : C'est ça, c'est ça qui est bien. 

 

S. Bourque :        Parce que, premièrement, de parler de la discrimination ou de la place des femmes dans la profession juridique, c'était déjà relativement nouveau. Alors, ajouter d'autres réalités de discrimination, même pour des femmes, ce n'était pas encore nécessairement évident.

 

Intervieweuse :Non, c'est clair. Oui, oui, oui. 

 

S. Bourque :        Mais le task force n'a pas du tout résisté à ça. Ça nous est venu, là, ça a été comme, wow ! on s'est dit qu'il faut que… bon, là, il y a eu toutes sortes de discussions à l'interne, parce qu'il y a eu des questions de budget, il y a des ci, il y a des ci, il y a des ça. Et le task force devait s’autofinancer, ça a été le premier groupe de travail au Barreau canadien qui avait comme condition de s'autofinancer. Le Barreau canadien rentrait, oui… Alors, il a fallu faire des levées de fonds, il a fallu faire preuve de beaucoup d'ingéniosité pour financer le task force. Il y a toutes sortes d'histoires extraordinaires sur le financement du task force. On pourrait en parler pendant des heures. Des femmes qui se sont, qui se sont levées pour financer, pour financer le groupe de travail. En tout cas, toujours est-il que le task force a élargi ses horizons pour finalement lancer la balle de la diversité, si on veut, dans la profession. Parce qu'on s'est rendu compte aussi très rapidement qu'on ne pouvait pas produire un rapport qui portait également sur le racisme systémique, même si on l'a finalement documenté.

 

Intervieweuse : Oui, carrément. 

 

S. Bourque :        En quelque sorte, on a mis la question sur la table, parce qu'on n’a pas l'espace, on n'a pas le temps, on ne peut pas bien le faire. On ne voulait surtout pas le faire mal. Mal faire est causé plus de tort que de bien. C'est pour ça qu'il y a eu un task force sur le racisme dans la profession par la suite, au Barreau canadien.

 

Intervieweuse :Ah oui ?

 

S. Bourque :        Sauf erreur de ma part. Oui. Après ça, il y a eu un groupe de travail sur le racisme dans la profession. Sauf erreur de ma part, c'est une des recommandations du rapport Wilson.

 

Intervieweuse :Ça, c'est un bon exemple aussi. Vous avez quand même mis la table, vous en avez parlé. Après, c'est peut-être pas au task force de pouvoir non plus en plus toucher à ça. Il devait y avoir un nouveau task force, un nouvel angle. C'est quand même un succès en soi qu'il y a eu de suite. Aussi, la réponse du task force qui était très positive à se remettre en doute, à dire si on veut vraiment faire quelque chose de bon et de complet, on n'a pas le choix. Et ce, même malgré les questions budgétaires. Je trouve que c'est très beau et c'est hyper intéressant aussi. Je trouve ça très inspirant. Ça m'amène un peu aussi à… Le terme maintenant qu'on utilise, c'est « l'intersectionnalité », qui est un terme très populaire de nos jours. Parfois, à l'utiliser, je pense, c'est juste comme un buzzword, un mot qu'on utilise. C'est ça juste pour dire qu'on le fait. Mais clairement, aussi maintenant, j'ai l'impression que le rapport, les assises, ça a été aussi une espèce de… Maintenant, on parle de toute l'équité, diversité et inclusion. Il y a beaucoup de cabinets qui ont une politique. Ils font venir des gens qui vont faire une étude à quel point les politiques EDI sont là ou pas. Après ça, ils vont dire qu'ils l'ont fait.

 

En fait, j'aimerais savoir un peu, avec votre expérience de la task force, avec votre expérience comme juge, avec votre expérience dans la profession, vous y avez un peu touché, mais pourquoi est-ce que vous considérez que c'est important de considérer l'intersectionnalité, donc les différentes formes de pression, mais aussi d'avoir un propos antiraciste, etc., pour favoriser cette équité, diversité et inclusion au sein de la profession ?

 

S. Bourque :        C'est pas juste important de le considérer. Je pense que c'est surtout important de s'y attaquer. Je pense que toute forme de discussion, toute forme… chaque fois qu'on met la question sur la table, c'est important. Et tant qu'il va y avoir des injustices, il faut les combattre. On est une profession juridique. On est une profession qui est censée être vouée à la justice. Comment peut-on fermer les yeux face à des injustices qui existent dans notre profession ? Je veux dire, c'est comme, pour moi, c'est comme antinomique. Tu ne peux pas tolérer la discrimination dans le milieu juridique. Si le milieu juridique tolère la discrimination, mon Dieu, quel milieu ne la tolérera pas ? Je veux dire, quel milieu est mieux équipé pour lutter contre la discrimination et les injustices que le milieu juridique, qui possède quand même la formation intellectuelle et les ressources ? On est quand même un milieu privilégié.

 

Tous les juristes ne sont pas privilégiés. Je veux dire, ce n'est pas vrai que tous les juristes sont des juristes de grands cabinets. Les grands cabinets représentent un pouvoir économique dans la profession. D'où leur grande influence et d'où la raison pour laquelle on se retourne souvent vers de grands cabinets et en leur demandant souvent de se comporter en leader, de se comporter, de faire des exemples. Est-ce que la profession réussit au niveau de la lutte contre la discrimination ? C'est sûr, pas tout à fait. Parce qu'on en parle encore. Donc, il y en a encore. Je me rappelle de ce qui m'avait frappé pendant le task force, quand on parlait à des femmes qui vivaient ce qu'on appelait à l'époque la double discrimination. D'ailleurs, je pense que dans les terms of reference du mandat, dans le mandat du task force, on parle justement de se pencher sur la discrimination multiple, dans les termes de référence. Même si à l'époque, ce qu'on entendait plus c'était : double discrimination. 

 

Mais là, on a parlé de multiple, alors déjà, il y avait comme une espèce de petit instinct de dire « ça ne s'arrêtera pas à de la double discrimination. » Puis l'intersectionnalité, je pense que ce mot-là, qui vient de l'évolution de la réflexion et des luttes contre la discrimination, je pense que ça exprime encore mieux que double ou multiple discrimination, l'interaction entre ces différentes formes de discrimination là. Ce n'est pas juste qu'une s'additionne à l'autre, c'est qu'une intervient sur l'autre, multiplie l'autre. Mais je me rappelle de ce qui m'avait frappé, c'est que pour les femmes, pour les femmes racisées, la forme, la pire forme de discrimination, ce n'était pas la discrimination sexuelle, c'était la discrimination raciale. Celle qu'elles identifiaient comme étant la plus dure, la plus maligne, celle qui causait le plus de tort, c'était la discrimination raciale. Ce qui fait que tu ne peux pas faire autrement que prendre conscience que quand tu es une femme blanche, donc que tu as une position privilégiée. Tu es dans une position privilégiée par rapport aux femmes racisées dans la profession.

 

Puis, il n’y en avait quand même pas beaucoup là. Je veux dire, il y a 30 ans… moi, j'ai été nommée juge en 2005, les 10 années précédentes, j'ai enseigné à l'école du Barreau. Et quand j'ai commencé à enseigner, donc en 1995, ce n'est pas longtemps après le rapport du task force, il n'y avait vraiment pas beaucoup d'étudiants racisés dans les classes. C'était encore majoritairement, je ne sais pas moi, 35 % de femmes, presque toutes blanches, puis 65 % d'hommes et presque tous blancs. Et je me rappelle que c'est vraiment à la fin de ces 10 ans-là qu'on a commencé dans les classes à avoir des étudiants racisés. Alors, c'est pas… c'est récent là. Et je pense qu'il y a peut-être eu une petite résistance du côté des femmes qui ont… qui ont peut-être eu peur comme femme de « qui trop embrassent mal étreint », comme dit le vieux dicton. De dire, bien là, si on s'éparpille dans trop de luttes, on n'arrivera à rien. Ils ont peut-être eu peur comme d'une espèce de compétition possible, mais il y a quand même eu, même du côté des femmes, il y a eu une certaine, une petite, je ne dis pas une grosse, mais une petite résistance. Pas résistance, mais appréhension face à cette situation-là, à l'émergence, à la réflexion sur les formes de discriminations multiples qu'on appelle maintenant l'intersectionnalité.

 

Intervieweuse :Mais c'est super intéressant. Vraiment, vraiment.

 

S. Bourque :        Alors, bien, ça, c'est ma petite interprétation à 5 cents, comme je dis, là. Ça, c'est juste... Mais ceci dit, je pense que maintenant, ça, ça a été surmonté, là. Je pense que ça, c'est une espèce de petite étape à travers laquelle le mouvement des femmes, dans la profession, a réussi à surmonter cette petite crainte-là.

 

Intervieweuse :Ben oui, non, mais vraiment. Mais je pense aussi, par contre, quand je faisais des entretiens avec différentes femmes, justement, l'année dernière, ça a été surmonté. Mais je pense qu'on a encore souvent – étant moi-même une femme blanche qui provient d’un milieu privilégié dans mon cas – ce sont des angles morts parfois, je pense qu'on oublie. Puis on doit toujours se remettre dans ces positions-là, puis se dire « ah oui, moi je prends ça pour acquis, même dans ma profession, dans les avantages que j'ai eus », puis on les oublie. Donc ce n'est pas tant qu'une résistance, mais juste des fois, je pense qu'on peut les oublier, donc c'est toujours intéressant de revenir. Mais je dois dire qu'il y a eu le mot discrimination multiple, déjà, on parle de quoi ? La professeure Kimberly Crenshaw, ça a été en 89 qu'elle en parlait ? Là on était quoi, en 93 ? On parlait d’équité quand même. Les gens qui ont écrit le mandat de la task force, ils y avaient pensé quand même, donc c'est super bien.

 

S. Bourque :        Oui, ça a été écrit quand même par… ça a été, évidemment, beaucoup discuté à l'interne, mais ça n'a pas été… ah non, on parle de double discrimination. Je l’ai ici le rapport là, ça dit : « Eliminating the double discrimination suffered by women lawyers from minority and disadvantaged groups. Encouraging women lawyers to remain in the practice of law », ça, c'est encore un problème.

 

Intervieweuse :Ah, donc, encore la rétention dont on parlait, ou en tout cas, ça aussi, c'était là, OK.

 

S. Bourque :        Oui, c'est dans les, oui, oui, dans les Terms of Reference, là, parce que, excusez-moi, j'ai une version en anglais devant moi : faire la promotion de l'avancement des femmes dans la profession ; faire la promotion de l'égalité dans les méthodes d'embauche ;

 

Intervieweuse :Oui, les fameux biais.

 

S. Bourque :        Rendre disponibles des garderies, un milieu de travail dans les cabinets, les universités, les gouvernements, les corporations ; rendre déductibles les dépenses pour garde d'enfants. On parlait évidemment de la rémunération, puis de la double… je pensais qu'on avait mis double, je pensais qu'on avait dit multiple, mais je pense que c'est parce que plus tard, dans le rapport, on parle de multiple discrimination. Ça, c'est les Terms of Reference qui ont été élaborés, évidemment, avant, mais dans le rapport lui-même, on parle de multiple discrimination. On avait donc progressé dans notre réflexion, dans le cadre de… dans le cadre d'élaboration du rapport, dans le cadre des travaux, du groupe de travail. 

 

Oui, mais c'est normal aussi qu'il y ait des frictions à travers des mouvements militants. Puis, je veux dire, il ne faut pas se surprendre de ça, puis il ne faut pas faire le reproche : oui, mais vous ne vous entendez pas vous-même. C'est un petit peu comme les gens, on entend ça des fois par rapport aux Autochtones, dans tout le mouvement de réconciliation : « Oui, mais ils se chicanent entre eux autres, puis ils ne savent même pas entre eux autres… » Ben oui, mais c'est la même chose au Québec, c'est la même chose au Canada. Mais on exige de gens ce qu'ils souvent ont des revendications à faire, qu'ils parlent d'une seule voix parce que c'est moins compliqué pour ceux qui sont en position dominante. Mais c'est très sain, c'est du choc des idées que, finalement, émergent des, où émergera une société meilleure. Il ne faut pas avoir peur des débats, puis il ne faut surtout pas exiger des sociétés qui pensent de façon monolithique.

 

Intervieweuse :Je ne peux qu'être en accord avec ça, effectivement, puis c'est super sain aussi, ça ne fait que rendre justement les revendications plus fortes, mais aussi à la fin plus inclusives. Donc, définitivement, mais d'ailleurs, ça m'amène un peu à… des revendications, pas essentiellement, mais juste pour revenir sur le rapport Les Assises en français. Pourquoi d'ailleurs, je me suis toujours demandé, je ne sais pas si vous avez la réponse à ça, mais pourquoi ça s'appelle Les Assises ?

 

S. Bourque :        Les Assises ? 

 

Intervieweuse : Oui. 

 

S. Bourque :        En fait, le Rapport des Assises, c'est une traduction. 

 

Intervieweuse : Oui. 

 

S. Bourque :     Le titre, ça a été Touchstones for Change, Equality, Diversity and Accountability. Et Touchstones, parce que les solutions proposées, en fait, les recommandations du rapport sont des étapes pour en arriver à une profession inclusive. Je veux dire, c'est ça l'idée de Touchstones, c'est quand on saute d'une pierre à l'autre pour se rendre quelque part et ça représente… il y a eu beaucoup de discussions sur le titre du rapport. Ça, c'est sûr, je veux dire, il y a eu beaucoup de discussions, mais ça, c'est des étapes vers le changement. Parce que l'objectif, c'est un objectif qui est très large, quand on dit éliminer la discrimination ou aller vers une société plus égalitaire, je veux dire, tu ne peux pas mettre un doigt sur ça, quand on va faire ça, on va avoir éliminé la discrimination ou on va avoir atteint nos objectifs d'égalité. Alors, ça démontre le mouvement, ça démontre, Touchstones for Change, c'est l'idée du mouvement. Et pour ces égalités, diversité, responsabilité , accountability, on n'était pas… on ne parlait pas encore d'inclusion. Ce n'était pas dans le discours ambiant, si on veut, mais il y avait quand même égalité, diversité. 

 

Et, responsabilité, mais c'était pour dire que nous avons tous des responsabilités par rapport à ces changements-là, et à cette démarche-là, et il faut se responsabiliser. Si on ne se responsabilise pas, si les personnes, les entités et les gens en place ne se responsabilisent pas et ne se sentent pas responsables de ces questions-là, il n'y a rien qui va se passer. Parce que, je veux dire, le but, quand on a commencé les travaux, Mme Wilson avait mis la table, très rapidement, le but ce n'est pas, on n'est pas là pour documenter la discrimination, on le sait qu'elle existe, on ne va pas démontrer qu'il y a de la discrimination, on ne va pas faire des tableaux sur les salaires, ce n'était pas ça le but. Le but, c'était d'identifier ce qui, structurellement, dans la profession, et donc dans la société, favorisait le maintien de la discrimination. Et qu'est-ce qu'on pouvait faire pour changer ça ? Il fallait que le rapport soit… le but du task force, Mme Wilson, c'était qu'il soit orienté vers des solutions. On ne voulait pas que le rapport finisse par des constats. Ce n'était pas ça le but du rapport. Le rapport, c'était de dire, voici des pistes de solutions, des actions, de ce qu'on doit faire de façon concrète pour éliminer la discrimination dans la profession juridique. Sinon, ça aurait été un autre rapport qui aurait été tabletté.

 

Intervieweuse : C'est ça, on le constate, qu'est-ce qu'on fait ? 

 

S. Bourque :       Oui, on le sait que c'est là, les femmes le vivent, on le sait que c'est là, alors qu'est-ce qu'on fait ? Une fois qu'on le sait, c'est quoi la dynamique de la discrimination ? Parce que c'est sociétal, je veux dire, ce n'est pas propre à la profession juridique, la discrimination contre les femmes, les minorités, ce n'est pas propre… je veux dire, en ce sens-là, la profession juridique est très représentative du reste de la société. Et moi, je pense que la communauté juridique, en tant que communauté, ou les femmes juristes, en tant que groupe de femmes juristes, pourraient s'impliquer plus au niveau de la société. On est dans une position unique pour interpeller la société, proposer des solutions, on a des connaissances uniques. Puis, tant que la société ne changera pas, je veux dire, la profession juridique va suivre. La profession juridique ne peut pas changer toute seule.

 

Intervieweuse :Non, c'est ça. Ou changer toute la société. Il faut que…

 

S. Bourque :        Oui, c'est un petit peu dans ce sens-là qu'il y a une des recommandations sur les petits cabinets, qui étaient : que les femmes, dans les petits cabinets ou en solo, puissent aller piger dans leur régime enregistré d'épargne retraite pour financer, pour trouver un revenu d'appoint dans le cadre de leur congé de maternité. Comme on fait pour acheter une première maison, qui est un incitatif à économiser pour ta retraite, si tu n'achètes jamais, bien, ça reste là. Mais si tu veux prendre de l'argent dans ton régime enregistré d'épargne retraite pour financer ta première maison, pour t'aider, te donner ce levier économique là, tu le peux, puis après ça, tu rembourses sur une période de 10 ans. Pourquoi on ne pourrait pas faire la même chose ? Quelqu'un qui est à son compte, qui a un manque à gagner financier pour, avec exactement les mêmes conditions. Et ça, c'est une mesure qui aide toutes les femmes dans la société qui sont à leur compte. Peu importe ce qu'elles font et qui encourage en même temps l'épargne, parce que : là, je vais mettre ça dans un régime enregistré d'épargne retraite, je n'ai pas d'enfant, je n'ai pas besoin de m'en servir, ça sera là, sinon je pourrais m'en servir et le remettre. Je veux dire, c'est une magnifique… c'est un filet de sécurité, mais on est toujours… l'État pense toujours en termes de développement économique, mais ne pense pas à le faire pour financer… que les femmes puissent financer, à même leur propre argent. Quand même, leur congé, des congés de maternité. Bon, je déteste le mot congé de maternité, parce que c'est tout sauf un congé. 

 

Intervieweuse : Oui, c'est ça, je ne comprends pas.

 

S. Bourque :        Tu ne sors pas de là reposée ! Il faudrait trouver un autre mot, je ne sais pas lequel : leur absence parentale.

 

Intervieweuse :Leur absence du travail, exactement. Leur obligation.

 

S. Bourque :        Oui, il faudrait trouver quelque chose, il faudrait trouver le mot juste. C'est ça, cette intersectionnalité. Oui, c'est ça, exactement. Le début de la vie familiale, toute la construction de la vie familiale, la vie professionnelle, je sais pas trop.

 

Intervieweuse :Il doit y avoir un mot, je suis sûre que ça doit exister maintenant. Non, mais est-ce que ça a été appliqué ?

 

S. Bourque :        Non, non, ça dépend des gouvernements, ça dépend des gouvernements.

 

Intervieweuse :Ah, c'est ça.

 

S. Bourque :       C'est une mesure qui viendrait des gouvernements. Moi, j'étais bien fière de cette petite mesure-là, je la trouvais bien bonne.

 

Intervieweuse :Non, c'est une super idée, là, c'est une super idée. Mais, c'est qui sert à tout le monde. Mais oui, non, c'est ça.

 

S. Bourque :        Mais c'est important pour être des leaders là-dedans, et qui sert vraiment à l'ensemble de la société. Puis ça pourrait ne pas être limité non plus aux femmes, là.

 

Intervieweuse :Ben, exact, non, mais c'est ça que j'allais dire, ça peut aller à tout le monde, puis c'est juste...

 

S. Bourque :        Il n’y a pas de raisons de le limiter aux femmes, là, c'est ça, ouais.

 

Intervieweuse :Non, non, mais j'aime ça. Puis, en fait, c'est la preuve que le rapport avait des recommandations qui allaient au-delà, en fait, un peu comme vous dites, au-delà de la profession juridique, puis qui va servir à toute la société au final. Puis même, le rapport, des fois, je pense que ces constats-là peuvent être généralisés à plusieurs milieux, là, et pas seulement au milieu juridique. Je ne pense pas qu'on est les seules femmes qui sentent une discrimination, là, les avocates. Quand on parle avec d'autres femmes dans d'autres milieux, le milieu artistique, ça est un aussi qui vit ça. Donc, je pense que c'est un rapport super pertinent pour plusieurs professions, pour plusieurs aspects de la société. Et, en fait, je me demandais aussi, parce qu'on a beaucoup parlé du Canada anglais, mais comment il avait été reçu au niveau... vous étiez quand même bien impliqué dans le milieu juridique québécois. Donc, est-ce que vous avez vu un peu comment le rapport avait été reçu au Québec ? Est-ce que ça a été bien reçu ? Est-ce qu'il y a des gens qui se disaient, voyons, c'est quoi ça ? Au Québec et au Canada, généralement, la réponse ?

 

S. Bourque :        Bien, il y a eu plus de réactions et de suivi au Canada anglais qu'au Québec. Ça, c'est sûr. Premièrement, parce que je pense qu'une des raisons, je dis premièrement, mais une des raisons, c'est que l’ABC n'a pas, malheureusement, le même taux de pénétration au Québec que dans les provinces du reste du Canada. Le Québec a toujours eu, au Québec, le Barreau du Québec a toujours été, je dirais, plus que juste une corporation professionnelle. Par exemple, le Barreau du Québec occupe un très grand champ dans la formation professionnelle. Très, très actif dans la formation professionnelle. Il y a un comité sur les femmes dans la profession depuis longtemps au Barreau du Québec. Alors, le Barreau du Québec occupe une place qui, je pense, est plus grande dans la communauté juridique que dans les autres provinces, ce qui laisse moins de place, peut-être, à l’ABC. Alors, l’ABC a un petit peu plus de difficultés à pénétrer le marché au Québec.

 

Il faut dire aussi que la version française, en français, du rapport est sortie un petit peu plus tard. Les pauvres traducteurs sont toujours les derniers vers lesquels on se tourne puis c'est quand même un rapport de 290 pages. C'était quand même pas rien à traduire. Ça, ça n’a peut-être pas non plus aidé. Par contre, je ne me rappelle pas de réaction négative au Québec, aussi forte que dans le reste du Canada. Particulièrement les recommandations relatives à la magistrature. Madame Wilson, c'est elle qui a rédigé le chapitre sur la magistrature. Les autres membres du task force, on s'est vraiment, par respect pour sa connaissance que nous n'avions pas, on a évidemment discuté de tout ça ensemble, mais c'est Madame Wilson. Madame Wilson avait consulté des collègues juges de façon… elle n'avait pas transmis les résultats, si je me souviens bien, ça n'avait pas été transmis aux autres membres du task force pour permettre que les juges puissent s'exprimer librement. Les juges auraient et des réticences, on présume, à ce que leurs propos… parler à Madame Wilson, c'est une chose, parler à une jeune avocate francophone, criminaliste, féministe du Québec, ça en est peut-être une autre. 

 

Mais, elle avait, elle a fait certaines recommandations relatives dans la section sur la magistrature. Entre autres, qu'au fédéral, il y ait des sanctions graduées en matière de déontologie pour des comportements, qui sont des comportements dérogatoires, mais qui ne méritent pas la destitution. Parce que, je veux dire, entre rien et la destitution, bon. Et ça, là, ça a été mal reçu de façon incroyable dans le reste du Canada. Il y a eu des caricatures de Madame Wilson dans des journaux, il y a eu des articles, il y a eu des lignes ouvertes. Moi, je me rappelle d'avoir participé à une ligne ouverte pour, je pense que c'était Radio-Canada francophone en Alberta. C'était sur l'heure du retour à la maison. Puis, des gens appelaient. C'était généralement des hommes qui disaient que ça n'avait pas de bon sens, que les femmes à la magistrature, c'étaient toutes des féministes biaisées. Mais jamais t’as ça au Québec. Je veux dire, j'avais jamais entendu un discours comme ça au Québec.

 

Alors, la réaction, par contre, les réactions des femmes dans la profession au Canada ont été beaucoup plus enthousiastes qu'au Québec. Le rapport du task force au Québec n'a pas du tout… – puis là, je m'en suis rendu compte encore plus dans les années suivantes, quand on a célébré les 10 ans, les 20 ans, les 25 ans du rapport – où des fois, il y a eu des rencontres, des réunions, entre autres à Vancouver pour discuter, à la Law Society, pour discuter du rapport où il y avait quasiment 1000 avocats. Jamais on n’a eu ça au Québec. Je me rappelle d'être allée – c'était-tu les 10 ans du rapport ? On était plusieurs membres du task force, je pense que c'était à Ottawa. Puis on était allés après dans un restaurant, puis il y a des avocats, je me rappelle entre autres d'un avocat, un gars qui est venu nous voir, il dit : « est-ce que vous êtes les membres du task force ? Mon Dieu, c'est un honneur de vous rencontrer ! » J'étais là « my God! » On était comme des rock stars ! Pas du tout au Québec. Il y a des gens à qui on parle de ça au Québec qui ne savent même pas c'est quoi.

 

Intervieweuse :Non, je sais, je sais bien. Moi, j'en ai parlé à des amies avocates, puis avocats, ils ne savaient pas c'était quoi, puis des féministes.

 

S. Bourque :        On a peut-être passé à côté de quelque chose, je suis peut-être responsable, peut-être que j'aurais dû prendre mon bâton de pèlerin, puis d'en faire la promotion, je ne sais pas. Je prends sûrement ma part de blâme dans ça, mais c'est clair que le taux de pénétration du rapport a été moindre. Ce qui ne veut pas dire que les idées n'ont pas progressé de la même façon au Québec. Ceci dit, le Québec est une société distincte. Je pense que le Québec est aussi une société distincte au niveau de son féminisme, de sa façon de s'engager dans ces luttes-là, où on a une approche beaucoup plus de petits pas et beaucoup plus inclusive, je pense, moins confrontante peut-être que dans d'autres provinces. Mais bon, il y a toute une analyse sociologique à faire relativement de ça, et je ne suis pas ni compétente ni douée pour le faire, mais c'est clair qu'il y a une différence d'approche.

 

Intervieweuse :C'est clair. Vous l'avez quand même vu un peu, j'imagine, même dans la task force, la différence d'approche. Moi, je suis au National Association of Women and the Law, l'action, c'est quoi en français, la NFD, en tout cas. Puis déjà, je le vois, la différence avec mes collègues québécoises et mes collègues canadiennes et anglaises. Le féminisme est différent. En tout cas, comme vous dites, on se rejoint et tout, mais très différent. Il y a des différences d'approche.

 

S. Bourque :        Oui, oui. Mais je pense qu'il y a une différente réalité aussi. Il y a différentes réalités de discrimination vécues. Moi, ma théorie de pop socio à 5 cents, c'est le féminisme au Québec, les femmes au Québec ont pris une place avec, entre autres, la Révolution tranquille, fin des années 60, début des années 70. La Révolution tranquille, ça ne porte pas le nom de révolution pour un rien. C'est un changement majeur dans la société et qui était un très grand mouvement laïc. Mouvement laïc qui venait aussi d'Europe à ce moment-là. Je veux dire, on n'invente jamais rien. Les mouvements, ça circule beaucoup, encore plus, autant que la COVID. Et il y avait ce mouvement-là de la Révolution tranquille au Québec où on a vraiment changé profondément la structure de la société québécoise, où la religion prenait tellement de place. La religion affectait tant les hommes que les femmes. Je veux dire, de différentes façons, mais tant les hommes que les femmes. Et ça coïncidait aussi en même temps avec la troisième vague du féminisme, qui est venue avec la pilule anovulante. La pilule anovulante, c'est au cœur du mouvement des femmes, de la troisième vague du féminisme. Et c'est ce qu'il y a, à partir d'un moment où les femmes ont contrôlé leur corps, c'est devenu possible de contrôler leur vie.

 

C'est majeur ! Nous autres, on est d'une génération où la pilule anovulante, je veux dire, pour les jeunes femmes, c'est comme « it's a given », mais je veux dire, il faut se mettre à ce que c'était avant. Alors moi, je pense que tout ce grand brassage-là de la société québécoise, les femmes ont embarqué là-dedans, les femmes y ont pris une place qui leur a fait faire, je pense, un bon en avant. Et dans la nouvelle société, les femmes ont une place différente que dans d'autres sociétés, dans la nouvelle société québécoise. C'est un petit peu comme si les hommes ne s'en étaient pas rendu compte. Ils n'ont vraiment pas fait leur évolution en même temps, ils n'ont pas réalisé que les femmes aussi ont fait leur révolution en même temps. Regardez donc ! On est là ! 

 

Et il était arrivé un immense brassage sociétal qui a profité aux femmes. On a profité de la vague. Je pense que ça, ça explique peut-être un petit peu les différences. Mais ça, c'est de la pop socio à 5 cents. Je soumets ça à Monsieur Guy Rocher, qui aurait certainement des idées beaucoup plus éclairantes sur la chose.

 

Intervieweuse :C'est quand même intéressant, somme toute. On comprend l'idée.

 

S. Bourque :        On comprend l'idée, c'est ça.

 

Intervieweuse :Exactement, on comprend l'idée et on trouve ça intéressant quand même, somme toute. Je pense que c'est quand même vrai aussi à certains points. 

 

S. Bourque :       Ça ne peut pas être tout faux.

 

Intervieweuse : Non, c'est ça. Je ne pense pas que c'est tout faux, effectivement. Mais non, mais en fait, je ne vais pas non… plus ça tire à sa fin. On avait une heure avec vous. J'avais quand même une question que je voulais vraiment vous poser. Vous l'avez un peu parlé, mais bon, vous avez nommé notamment le mandat du groupe de travail, c'était quoi ? Il y avait de belles idées, on adore. Puis après ça, il y a eu beaucoup de recommandations qui ont été données pour ce mandat-là. Puis justement, comme vous dites, c'était des petits pas par petits pas. Donc maintenant, rendu en 2024, qu'est-ce que vous avez vu… maintenant, vous avez pris votre retraite, vous avez bien vu la communauté juridique, l'évolution. Est-ce qu'il y a des choses du rapport que vous avez vues, appliquées, vous vous êtes dit : ça vraiment, c'est une réussite. Puis est-ce qu'il y a des choses que vous vous dites encore à ce jour, il faudrait vraiment qu'on mette les bouchées doubles et qu'on s'y attaque ?

 

S. Bourque :        Oui, je pense qu'il y a des choses qui ont quand même grandement changé, ne serait-ce que les politiques de congés de maternité. Et maintenant, de congés parentaux. Je veux dire, il y a 30 ans, un congé de paternité, ce n'était vraiment pas dans les cartes. Je veux dire, même les congés de maternité, moi j'ai été reçu avocate en 84, il n'y en avait pas. Aucun cabinet n’avait un congé de maternité ! Puis même quand j'étais arrivée au Jeune Barreau de Montréal, à l'époque, l'Association de Jeunes Barreaux de Montréal, on n'était pas beaucoup de femmes sur le conseil. Et moi ça me choquait, les femmes choisissaient l'hôpital pour aller accoucher en fonction de la proximité avec le bureau. Je veux dire, on était encore à l'époque où tu revenais au bureau, si tu étais capable de revenir trois jours après, tu revenais trois jours après. Je veux dire, ça n'existait pas. Et quand j'avais dit aux Jeunes Barreaux de Montréal, à l'AJBM, j'ai dit : « écoutez, il y a un problème. Aucun bon sens ! » La première réaction, ça a été, oui, mais ça, ça ne nous regarde pas, ça fait partie de la vie privée. 

 

Intervieweuse : Ah oui.

 

S. Bourque :       Ça fait quand même pas si longtemps que ça. Bon, c'est quand même une époque, on va se rappeler, où même le fax n'existait pas. Alors, si on veut un ordre de développement technologique. Moi, j'ai commencé à pratiquer, le fax n'existait pas. J'attendais le facteur. J’attendais le facteur. 

 

Intervieweuse : Ah oui on est loin de cette époque bénie. 

 

S. Bourque :        C'était-tu vraiment une époque bénie ? Le facteur arrivait, tu regardais l'enveloppe, ça vient de qui ? Oh non, ça, je ne vais pas regarder ça tout de suite. Personne ne savait si tu l'avais reçu ou pas. Alors, tu pouvais prendre le temps que tu voulais pour réfléchir, tu dictais la lettre, la secrétaire la tapait, tu faisais des corrections, ça prenait deux semaines. Mais au niveau des congés de maternité et des congés parentaux, je ne devrais pas juste dire maternité, mais des congés parentaux, on est à des années-lumière. Et ça, c'est quand même bien important, puisque ça, c'était un frein majeur. Alors là, maintenant, au moins, l'époque où tu te demandais, avez-vous l'intention d'avoir des enfants, puisque c'est un kiss of death, si tu disais oui. Alors que c'était bien évident que tu as une jeune femme de 24 ans qui arrive, qui passe des entrevues dans un grand cabinet et que tu demandes : voulez-vous avoir des enfants ? Mais là, franchement ! On ne posait pas la question aux garçons, évidemment. 

 

Mais ça a quand même déblayé pas mal de terrain. Et c'était peut-être une porte d'entrée évidente ou facile. Ce qu'on avait fait à Montréal, entre autres, c'est que le Jeune Barreau avait convoqué des seniors des grands cabinets de Montréal à une rencontre un samedi pour mettre cette question-là sur la table. C'est comme ça que ça avait été fait. Et ça avait eu lieu dans les années 80. Alors ça, ça a été une progression. Je pense qu'une autre grande progression, c'est la diversité. En soi, que la profession soit plus diversifiée, c'est un grand pas en avant. Moi, je l'ai vu, parce que ça fait 40 ans que je suis dans la profession. Et ça peut juste être un plus. Ça ne peut qu'être un plus qu'avoir une profession diversifiée. Maintenant, ça ne règle pas tout. Le fardeau qui est sur les épaules des avocats de la diversité est très lourd. Il est plus lourd que celui sur les épaules des femmes avocates. De ce côté-là, il y a encore beaucoup de pas à faire.

 

Quoi qu'on voie maintenant, au gala des leaders de demain, il y a deux ans, du Jeune Barreau de Montréal, il y a un cabinet qui avait gagné un prix où ce ne sont que des avocates noires dans ce cabinet-là. Moi, ça m'a émue aux larmes. Et elles peuvent en vivre. C'est pas tout de dire... Moi, quand j'étais jeune avocate, je voulais avoir un cabinet juste d'avocates pour faire juste du droit criminel en défense pour représenter juste des femmes. Le problème, c'est la clientèle. Il n'y a pas tant de femmes que ça dans le domaine. C'est une place où on ne veut pas qu'il y ait plus de femmes. C'est juste dans la criminalité où on ne veut pas que les femmes deviennent représentées également au niveau des accusés. Mais alors ça, je pense qu'il y a des grands pas qui ont été faits. Maintenant, il reste encore... là où on n'a pas beaucoup avancé, c'est dans l'exercice du pouvoir. Et que ce soit pour les femmes, que ce soit pour les avocats de la diversité, si on regarde le ratio de femmes qui sont les avocates seniors, qui sont les associés dans les grands cabinets, c'est pitoyable. Il n'y a pas d'autre mot. 

 

Mais moi, j'entendais, il y a 30 ans, où on était 30 % de femmes, ce qu'on se faisait répondre quand on abordait ces questions-là : « oui, mais là, c'est rendu à déjà 50 % de femmes dans les universités. Bientôt, ça va vous être non seulement égal, mais vous allez être majoritaire et il n'y en aura plus de problèmes. » On disait non ! Les femmes nous autres on le sentait que ce n'était pas vrai, que c'était un piège. C'était un petit peu l’idée : « vous n'avez pas besoin de vous préoccuper de ça, ça va être réglé, ça va se régler tout seul. » On ne croit pas vraiment ça. Ça, c'est vraiment… et c'est là que c'est difficile. C'est quand on arrive aux structures de pouvoir, c'est quand on arrive au pouvoir. Je pense que la rémunération est encore un gros problème. Pour toutes sortes de raisons, c'est toujours plus difficile pour les femmes d'avoir une rémunération juste, même dans la profession juridique. 

 

Un autre domaine où je pense qu'on n'a pas avancé tant que ça, c'est dans le domaine du harcèlement sexuel et du harcèlement psychologique. Et à chaque fois, c'est un problème très, très particulier parce qu'à chaque fois qu'on essaie de mettre des mesures en place, on n'arrive pas à trouver les bonnes mesures à mettre en place, que ce soit une ligne anonyme de référence. Elles ne sont pas utilisées alors que le harcèlement sexuel et psychologique, et surtout le harcèlement sexuel, est systématiquement rapporté dans toutes les études, comme existant toujours. C'est un enjeu très particulier, le harcèlement sexuel. Ça a été plus mis sur la carte avec tout le mouvement MeToo. Ça a eu des impacts, mais dans la profession juridique… 

 

Intervieweuse : Pas tant que ça, hein ?

 

S. Bourque :        Non, pas tant que ça. Pas tant que ça.

 

Intervieweuse : Il y en a eu, mais c'est vrai que ça reste un très bon point ça, c'est vrai que ça reste vraiment un enjeu. Puis je pense que ça vient aussi… tout est relié, le fait que plus de femmes, plusieurs personnes sont confrontées à ça, puis qu'il n'y a pas de façon de le régler, bien on ne va pas nécessairement continuer dans un cabinet où est-ce que c'est arrivé. Puis tu sais, l'espèce de tout le monde le sait, mais personne ne fait rien, ça aussi c'est comme…

 

S. Bourque :        Oui, oui, puis même dans le cabinet c'est hush hush, puis évidemment, je pense qu'un autre domaine, malheureusement, où il faut encore mettre des efforts, c'est la conciliation travail-famille. L'Association internationale des femmes juges a tenu durant les trois dernières années des tables rondes auprès des avocats, à grandeur du Canada, dans toutes les provinces, et la conciliation travail-famille est encore au cœur des difficultés rencontrées. Parce que le congé maternité c'est une chose, mais le congé maternité c'est comme temporaire, je veux dire, tu n'es pas en congé maternité jusqu'à ce que le petit ait 18 ans, après ça c'est la conciliation, après ça tu as l'étape de la conciliation. Et cette étape-là, il y a toujours un paquet de difficultés, que ce soit dans les relations avec la magistrature, que ce soit avec les relations avec les collègues, que ce soit au niveau de la discrimination salariale qui s'ensuit, au niveau de la rémunération, ça, c'est encore pas réglé.

 

Intervieweuse :Oui, non je m'en doute, puis aussi même l'idée, maintenant on sait aussi que famille, puis en plus les femmes sont souvent les premières répondantes aussi, avec une population vieillissante au Québec notamment, mais au Canada aussi, puis on est souvent les premières répondantes pour les parents, les plus âgés, les grands-parents, donc ça aussi c'est cette conciliation-là, c'est la famille au sens large.

 

S. Bourque :        La génération sandwich là.

 

Intervieweuse :Oui, exactement.

 

S. Bourque :        C'est pas quelque chose généralement qu'on vit à 28 ans là, on le vit plus à 48, 58, mais là 58, il y a de moins en moins de femmes qui sont encore dans la profession à 58 ans. La rétention des femmes, c'est un autre enjeu majeur, c'était le but des tables rondes de l'Association internationale des femmes juges, c'est-à-dire qu'est-ce que comme femmes juges on peut faire pour aider à la rétention des femmes, parce que si les femmes ne restent pas, elles ne seront pas nommées juge.

 

Intervieweuse :Exact, non, mais c'est tellement un bon point.

 

S. Bourque :        Pour avoir un banc diversifié, ça te prend une magistrature diversifiée, ça te prend des femmes qui restent. Puis la magistrature aussi a un problème de rétention. C'est un nouveau phénomène à la grandeur du Canada, mais la magistrature commence à avoir un problème de rétention. La magistrature risque d'être un autre bastion de… mais toute la rétention, toutes ces difficultés-là, c'est encore très présent, fait qu'on a encore besoin de solidarité, d'action, d'énergie, de réflexion, d'écoute, beaucoup d'écoute. De l'écoute va venir la compréhension, de la compréhension va venir le jugement, du jugement va venir les solutions. 

 

Intervieweuse : Oh, c'est excellent ça !

 

S. Bourque :       On va boucler la boucle. 

 

Intervieweuse :On boucle la boucle. Nailed it ! Une excellente fin, en fait. Non, mais vraiment, merci beaucoup, honorable Sophie Bourque. Vraiment, c'était vraiment très intéressant de parler avec vous, d'avoir pris le temps aussi de nous rencontrer. Je suis à la retraite ! J'ai le temps ! Oh, mais quand même, je me doute que… Ouais, mais vous êtes comme Bertha Wilson, je suis pas mal sûre que les gens attendaient votre retraite pour vous demander plein de choses, là.

 

S. Bourque :        Je suis plus comme Tintin, en route vers de nouvelles aventures !

 

Intervieweuse :C'était donc ma conversation avec l'honorable Sophie Bourque. Si vous désirez en savoir plus sur le rapport Les Assises et son impact sur la profession juridique au Canada et que vous êtes assez confortable avec la langue anglaise, nous vous conseillons notre minisérie de quatre épisodes à ce sujet, intitulée Touchstones 30th Anniversary miniseries, sur notre autre chaîne balado The Every Lawyer, à retrouver sur cba.org/podcasts avec un « s ». Merci de votre écoute. Belle journée ! 

 

Vous écoutez Juriste branché, présenté par l'Association du Barreau canadien.