Nous parlons avec Michèle Audette, commissaire à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Nous parlons avec Michèle Audette, commissaire à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Nous parlons des appels à la justice, les responsabilités des juristes dans l’application du rapport, ses impressions personnelles et sa vision du futur.
Madame Michele Audette, activiste métisse. Elle a été présidente de l’Association des femmes autochtones du Québec, présidente de l’Association des Femmes autochtones du Canada et sous-ministre associée à la condition féminine au gouvernement du Québec.
Pour lire le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Pour lire la réponse de l'ABC. en anglais seulement : Response to Missing and Murdered Indigenous Women and Girls Inquiry: Calls for Justice
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Katherine : Vous écoutez Juriste branché, présenté par l’Association du Barreau canadien. Bonjour et bienvenue à Juriste branché, je suis votre animatrice Katherine Provost. L’épisode d’aujourd'hui est le premier d'une série portant sur les droits des autochtones au Canada. Au cours de cette série, nous explorons avec des experts l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et la Commission d’enquête sur les relations entre les autochtones et certains services publics au Québec. Nous espérons jeter lumière sur cet enjeu important d’actualité et de société. C'est en juin 2019 que paru le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Plus de 2380 personnes ont pris part à l'enquête, 408 survivantes d’actes de violence et membres des familles des femmes et de filles autochtones disparues et assassinées ont raconté leur exemple et formulé des recommandations à l’occasion des 15 audiences communautaires, alors que plus de 270 de leurs homologues ont partagé leur récit lors des 147 séances privées ou à huis clos.
Le rapport fait état des violations persistantes et délibérées contre les droits de la personne et les droits des autochtones, et que les abus qui en découlent sont à l’origine du volume de la violence envers les femmes, les filles et les personnes, 2ELGBTQQIA. En juin 2020, après un an de consultation et d’analyse par un groupe constitué de 5 sections de l’l'ABC, l'ABC publiait sa réponse au rapport. L’association appui les principaux objectifs du rapport qui sous-tend les appels à la justice pour mettre fin à la violence contre les femmes et les filles autochtones et fin à la discrimination fondée sur le sexe orientation pauvreté, origine ethnique et âge.
L'expert avec qui nous discuterons aujourd'hui est Madame Michèle Audette, commissaire à l’enquête et activiste métisse. Elle a été présidente de l’Association des femmes autochtones du Québec, présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada et sous-ministre associée à la Condition féminine au gouvernement du Québec. En 2012, elle recevait la Médaille du Jubilé de diamant de la Reine Elizabeth II pour ses réalisations dans l’engagement avec la communauté autochtone et, en particulier, les femmes autochtones. Madame Audette, bienvenue!
M. Audette : Merci, Kwe.
Katherine : Le génocide des autochtones au Canada perdure depuis l’arrivée des colons en Amérique. Quels ont été le ou les évènements déclencheurs de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées?
M. Audette : Alors les éléments déclencheurs ils sont multiples. Ils datent depuis très très très longtemps. D’un point de vue qui pourrait le mien, sinon d’une famille ou d’une survivante, peut sûrement varier. Mais je pense que c'est important de rappeler que pendant des décennies, des femmes et des hommes faisaient appel à la justice, à la sécurité publique dans le centre-ville de Vancouver pour dire : « j’ai perdu ma fille, j’ai perdu ma mère, ma sœur, j’ai pu de nouvelles » et ainsi de suite. Alors beaucoup de dénonciations et ça ne semblaient pas bouger. Ces familles-là, on parle de 50 ans déjà, vont aller solliciter le leadership municipal de la province, le leadership autochtone de la région, pour avoir toujours une attitude de sourd d’oreilles ou de manque d’action, d’inaction.
En 2006, à l’Assemblée des chefs ou je vais voir une mobilisation pour la première fois depuis mon implication, des hommes et des femmes vont adopter à l’unanimité une résolution pour mettre sur pied, pour demander au gouvernement fédéral de mettre sur pied une commission d’enquête, une commission royale, même, d’enquête sur les cas de disparition des femmes et des filles autochtones. Et on parle même de faire un exercice sur : quelles sont les formes de violences auxquelles font face aujourd'hui les femmes autochtones. Une chance que la voix qui était petite, pas très connue, va finalement être entendue et résonner jusqu’à la réunion des chefs à Halifax. Je dirais même à travers la planète.
Katherine : Et l’enquête se concentre vraiment sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et leur famille, historiquement quel a été leur accès à la justice? Pourquoi est-ce qu'elles sont si marginalisées?
M. Audette : On aurait pu faire une commission d’enquête sur des hommes et des femmes assassinés et disparus. Parce que les statistiques sont épeurantes sinon beaucoup plus élevées auprès des hommes autochtones. Mais la mobilisation politique, la mobilisation sociale communautaire et je vous dirais à travers le Canada ont été axées beaucoup sur les femmes autochtones. Et pourquoi on va se retrouver avec ça? Et depuis quand? La recherche va démontrer, la preuve va démontrer que parce qu'elles ont été autochtones et femmes, le système justice carcéral, sécurité publique, services sociaux, protection à l’enfance, le droit à la culture, le droit… On avait plusieurs endroits où là on a très très très vite remarqué qu’elles ont toujours été vulnérables, elles ont toujours été des cibles. Et, aujourd'hui on en paie le prix parce qu'on ne les retrouve pas, sinon elles font partie des statistiques de personnes assassinées.
Katherine : Donc, les appels à la justice du rapport devraient avoir un impact à grande échelle sur la communauté autochtone au Canada, pas juste sur les femmes et les filles?
M. Audette : En effet, même pour nos sœurs canadiennes, je pourrais vous dire, ça c'est le sentiment que j’ai, lorsqu’on parle d’un manque de sécurité, lorsqu’on parle d'une injustice ou lorsqu’on parle qu’un système répond mal aux femmes autochtones, parce que c'est vraiment des hommes qui sont au pouvoir, ou euh... un système colonial ou on va mettre des hommes au pouvoir et empêcher toute femme, peut importe la culture, à avoir sa place et son droit de parole. Ça l'a un effet c'est sûr, sur l’ensemble des Canadiennes et des femmes des premiers peuples. Alors moi je me suis toujours dit on ne pourra créer des recommandations ou des appels à la justice qui vont faire des amendements des lois pour avoir une meilleure protection parce qu'on est des femmes. On va en faire une spéciale pour des femmes autochtones? Non. C'était là la force, je trouvais, qu’on… en plus on travaillait pour nos sœurs au Canada.
Katherine : Donc on essaie de créer un mouvement vraiment pancanadien avec ce rapport-là.
M. Audette : Oui, pis la beauté, je vous dirais, dans sa complexité, ou sa complexité qui la rend belle, peu importe comment on veut la voir, en tout cas, moi j’étais de l’intérieur n’étant pas du monde juridique, mes autres collègues sont tous des juristes, des avocats, des anciens juges, donc, ils sont nourris par cette culture-là. Pis moi ben, c'est militer, militer sans arrêt, où là on va vivre une expérience unique. Y a eu des commissions d’enquête bien avant la nôtre. La différence cette fois-ci c'est qu'on va avoir des ordres en conseil, des décrets qui vont venir de chaque gouvernement, de chaque province et territoire qui nous autorisent comme commissaire avec des pouvoirs de contrainte, d’aller fouiner, chercher, valider ou ouvrir des vieilles boites, des archives et ainsi de suite. Là, ça va nous permettre justement de faire quelque chose qui est unique et différent. Mais, en même temps ça va nous démontrer aussi comment le temps va avoir manqué pour pouvoir poursuivre le vrai travail que moi je mettais avant que j'aie à faire. Ça va changer des choses, moi je l’ai vu. Mais en même temps on sait les commissions d’enquête c'est long et lent comme processus.
Katherine : Oui justement, on se penche un peu sur ces appels à la justice. L’objectif du rapport était de faire état de la situation et d’en formuler des recommandations qui sont appelées « appels à la justice », mais qui sont finalement des impératifs juridiques. Ultimement, ce qui est requis, c'est d’appliquer les droits de la personne de manière égale à tous les membres de notre société qu’ils soient autochtone, homme, femme, noir, blanc, asiatique, peu importe. En quoi le cadre légal n'est-il pas déjà en place pour le faire? Où est la source du problème central dans l’application du cadre légal?
M. Audette : Alors comment moi je l'explique, et qu'est-ce qui fait la différence, ça, c'est un beau débat qui va continuer et qui est normal, à mon avis. C'est que cette fois-ci, on va amener un rapport qui est toujours, toujours attaché à une vérité ou à plusieurs vérités qui sont de l’ordre de la tradition orale, d’un objet. Y a des femmes et des hommes qui nous ont amené des petits morceaux de tissus de bas, ou de poème ou de musique pour dire : ça là, pour moi c'est comme ça ma vérité que je vous donne à vous comme commissaire. Ç’a été un débat entre les juristes à l’interne, mais en même temps très honorable et très… très Premiers peuples. Ensuite, ce qui va aussi amener à… comme impératif, je vous dirais, c'est qu’à chaque fois qu’on allait recevoir une vérité dans un contexte qui est très très colonisé, on s’entend, c'est une loi fédérale, c'est une loi coloniale, comment l’humaniser? Parce qu'on sait que la source première c'était la violence coloniale. Comment humaniser ça pour rassurer les gens? Et comment bâtir notre preuve pour, qu’une fois devant les institutions, de pouvoir les questionner, ou les mettre en droit et les amener à… Ça, ç’a été tout un défi.
Et ce qui va être fort, moi je trouve, c'est que pour la première fois, c'est pas un rapport de recherche là, c'est une commission d’enquête. Donc, on est allé chercher des preuves, et après ça, moi n’étant pas juriste, comme je l'ai dit tout à l'heure, je vais courir vite vite auprès de gens pour qui j’ai énormément de respect, et il y en a beaucoup, mais qui va pouvoir m’aider en français. Donc, oup! Là le bassin est plus petit, mais j’ai beaucoup d’amis, ou de respect ici au Québec. Et là, je vais chercher maître Lafontaine pour l’avoir vu travailler avec les femmes à Val-d’Or, les femmes autochtones à Val-d’Or et son mandat avec le gouvernement du Québec pour observer le travail avec la police. Madame Lafontaine, j’ai dit : « aidez-moi! » Là, on nous a parlé d’un génocide culturel, lorsque c'était la Commission de réconciliation où l’acceptabilité sociale autour de ce terme-là, par son attache culturelle, mais là on parle de déportation d'individus, de collectivités, on enlève de force pas juste les enfants, mais des gens, on va les affamer, les appauvrir, on va leur infliger des politiques qui vont faire très mal, au point ou l’automutilation, le suicide, la violence, name it! La liste est longue! J'ai dit : je trouve qu’on fite dans les définitions onusiennes de c'est quoi une ou plusieurs formes de génocide. Là, ç’a été un gros débat, mais non… c'est « bla bla bla », pour finalement lui dire : écoutez Madame Lafontaine on vous invite collectivement à entrer dans nos preuves avec votre équipe et on se tasse. Et on a eu un rapport qui a été fait par elle et son analyse est juste venu mettre des mots dans votre culture qui est importante là, je ne veux pas dire que vous ou moi et ainsi de suite. Mais dans un discours plus militant, ou de personne qui va pousser quelque chose qui n'est pas avocate, je venais d’avoir comme enfin, plusieurs cultures, plusieurs pensées vont enfin s’asseoir et dire : regarde on ne peut plus prétendre que ça n’existe pas au Canada, on a des preuves. Alors c'est là où, à mon avis, cette commission va amener cette grande différence.
Katherine : Vous avez parlé d’un passé colonial qui est toujours… qui est une réalité encore quotidienne, comment est-ce qu'on peut se détacher de ce passé colonial? Comment est-ce qu'on peut travailler vers la réconciliation quand on a des enquêtes qui démontrent qu’on est vraiment loin de l’objectif?
M. Audette : Comment on peut? Ben moi, j’ai dû… comment on dit ça, m’entourer de patience et de tolérance et de résilience, parce que ça m’a rendu malade. Tellement que, j’y crois, j’y crois qu’à un moment donné je viens brulée, parce que je suis juste militante, je ne suis même pu une maman, je ne suis même pu une conjointe, je suis vraiment nourrie par une rage, au point de rentrer dans des murs fréquemment. Puis en 2013, une extra, méga dépression vers un suicide, une tentative de suicide pour me réveiller pour me dire : non! J'aime la vie ça ne se peut pas là. Donc, on doit se guérir, on doit prendre un chemin difficile, mais le prendre. Puis après ça, si moi ça je l’ai vécu, tu te dis : ben mon Dieu, c'est vraiment collectivement tout le monde qui a vécu ça et qu'on doit s’assurer que si moi j’ai eu cette chance-là, il faut que tout le monde l’ait cette chance-là, peu importe la culture. Mais sachant que la violence coloniale va nous différencier à côté de ma voisine québécoise, elle n’a pas une Loi sur les Indiens, elle n’a pas les impacts des écoles, les anciennes, forcées et imposées. On ne lui a pas créé la Sureté du Québec pour l’enlever de sa famille et l’amener ailleurs, on ne lui a pas amené des curés, qu’on a tassés d’ailleurs parce qu'ils étaient reconnus coupables d’agression sexuelle, mais on ne le dit pas, mais on va l’envoyer dans une autre communauté super isolée où on va avoir 400 personnes sur 40 ans agressées par cet individu-là. Donc y a beaucoup de choses qui me diffèrent d’avec ma voisine. Ce qui veut dire, donc, la violence coloniale ouch! La Loi sur les Indiens, ayoye! Donc, dans mon approche comme société ou comme institution, je dois avoir une approche, où, ma sœur québécoise à côté, si elle vit de la violence. Parce que là on est dans les 12 jours d’actions contre la violence en plus. Mais si je dois avoir une approche, une approche comme société et institution pour la communauté des Premiers peuples, ah, ah! Cette approche-là va être différente.
Oui c'est faisable, reconnaitre, reconnaitre qu’on doit avoir des approches différentes, mais surtout impliquer ces expertes-là qui sont guéries aujourd'hui ou qui sont en processus de guérison, qui sont des modèles hallucinants. Donc, ça pour moi, ce sont des exemples. Et c'est pas pour rien que je suis à l’Université Laval aujourd'hui quand on m’a offert ces mocassins-là, j’ai dit : quelle belle opportunité pour suivre ce que j’ai appris à l’enquête et de me faire un diplôme de la vie là-bas avec des collègues qui ont envie de faire mieux et de faire plus comme dans bien d’autres universités. Parce que l’éducation c'est un pouvoir hallucinant pour faire le changement. C'est long, mais c'est ce que je me dis, c'est faisable.
Katherine : La Loi sur les Indiens, qui est le Indian Act est-ce qu'on s’en débarrasse?
M. Audette : C'est sûr qu’il faut s’en débarrasser.
Katherine : On l'enlève.
M. Audette : Je pourrais être cité comme ça. En même temps s’il y avait le mot qui flottait, la phrase, je serais accroché dessus. Alors visuellement, pourquoi je serais accroché dessus, c'est que la Loi sur les Indiens c'est : amour/haine, c'est une relation amour/haine que j’ai personnellement avec cette loi-là. C'est l’outil colonial qui a enlevé mon éducation, ma relation avec le territoire, ma relation avec mon identité culturelle, la protection de ma langue et bien d’autres choses que les chartes canadiennes et québécoises vont donner à tous citoyens et citoyennes. Moi, la Loi ne me donne pas ça, je suis un numéro de membre. Pis au même titre qu’être membre sur Facebook là, j’ai pas de droits et de responsabilités politically corrects y a des gens qui vont dire : bien sûr on fait des ententes, mais dans la vraie vie c'est des pouvoirs délégués. Mais si je dis : ah oui, j’en veux pu, mais donnez-moi et assurez-moi que j’ai une loi qui va encadrer tout ça. De là les impératifs juridiques qu’on a dit avec les appels à la justice, les droits à la culture, le droit à la justice, le droit à sa langue. Tous les droits sur lesquels on va s’être basé avec les lunettes internationales ou droit de la personne, les droits humains, les droits autochtones pour arriver à des suggestions, on me dit : t’as de loi et voici ta nouvelle loi qui va cadrer tout ça. Ben je ne pense pas que je vais être vivante, mais il faut le faire le débat.
Katherine : Oui on le souhaite.
M. Audette : Oui
Katherine : Je suis une optimiste des fois.
M. Audette : Moi aussi.
Katherine : Je sais que ça peut être très long au niveau gouvernemental, mais c'est ça. On va revenir au sujet. Une des grandes recommandations du rapport est un plan d’action national, recommandations soutenues par l'ABC. Pouvez-vous nous en dire plus sur celui-ci?
M. Audette : Oui, très, très, très important parce qu’on va voir d’année en année les gouvernements vont se rencontrer sous leur ministère, les forums provinciaux, territoriaux avec les Premières nations. On s’en va annoncer ce qu’on fait de bon. C'est rare qu’on va aller dire : celle-là je l’ai échappée, celle-là je pourrais faire mieux ou celle-là je l’ai manqué complètement. Avec un plan d’action ça oblige les institutions les gouvernements à dire : en effet, je fais des bonnes choses, là-dessus j’ai des grands manquements parce qu'il y a 250 et plus appels à la justice qui me disent que je dois travailler aussi tout ça. Donc, pour coordonner ça, c'est important qu’on ait une approche qui est bien pensée, bien coordonnée, bien justifiée et surtout, mois c'est ma recommandation sur la prochaine, l’imputabilité et la reddition de compte. Si je fais de quoi, il faut que je le dise. Sinon, le mouvement va prendre la place des fois et va peut-être briser un travail qui était honorable, mais on ne nous dit pas ce qui se passe. Donc, nous on se crée un scénario, sinon on provoque un scénario et c'est comme ça.
Katherine : Si on se concentre un peu plus sur le niveau judiciaire, quelles sont les responsabilités de la justice des juristes, des avocats, des juges?
M. Audette : Ça cc votre expertise, comment un avocat ou une cour pourrait l’utiliser. Mais en même temps je vais avoir vu, lorsqu’on va avoir déposé le rapport, qu’il y a certaines cours et des avocats de la couronne ou des procureurs de la couronne, pardon, et des gens à la défense, vont utiliser le rapport pour rendre plus crédible la preuve. Ça pour moi, c'est déjà comme : ayoye, le précédent c'est tellement puissant! La parole des femmes maintenant elle est même utilisée pour donner plus de force lorsqu’un avocat va aller défendre une cause ou une personne. Ça moi j'encourage, il faut le faire. On nous a extrêmement critiqués pendant le processus. Maintenant quand je fais un exercice de voyage virtuel, étant nomade d’habitude, et que je vois des universités mentionner notre rapport ou des gens très, très militants pour la cause autochtone et qu’ils vont mentionner le rapport, je me dis : enfin! On est devenu un outil de débat, de preuve et d’impératif juridique. Donc, pour moi c'est comme ça que je le vois, merci aux femmes et aux hommes.
Katherine : Oui parce que le rapport c'est une grosse enquête, comme vous avez dit, ç’a été plusieurs années, tous les documents sont là, toutes les informations sont là, on a juste besoin de le prendre et de s’en servir.
M. Audette : Exactement!
Katherine : Au niveau plus personnel, quel est le rôle des juristes, des avocats et avocates qui travaillent directement avec et pour les survivantes d’acte de violence et les membres de familles des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées?
M. Audette : En ce moment je vais accompagner des avocats. Des avocats qui vont travailler avec les individus des familles qui ont perdu un être cher ou qui ont été agressé sexuellement pas une institution religieuse. Je vois et j'entends les juristes être très sensibles, très humains. Pis ça là, c'est comme : est-ce que ç’a toujours été là? Moi je suis sûr que oui. Puis on voit là, y a deux générations dans les avocats que je vous mentionne, une personne qui a fait 30 ans, et des personnes qui sont nouvelles dans ce milieu-là. Et toutes les deux générations je les sens humaines. Alors il faut rester humain même si ça va vite, ou même si on manque de temps. Puis de se rappeler qu’on est des experts dans notre domaine, mais la personne qui est devant nous n’a peut-être pas la même capacité de mettre les mots sur sa souffrance. Alors ça, peut-être des fois s’entourer de gens de victimes, ben de victimes, de gens qui sont aujourd'hui des mentors, des gens qui accompagnent. Pas pour être intermédiaire, mais pour rendre l’environnement plus sécuritaire et je vous dirais quand ça ça arrive, mon Dieu, ça va, on avance beaucoup plus vite et dans un esprit beaucoup plus respectueux.
Katherine : Vous ne saurez peut-être pas la réponse à cette question, mais est-ce qu'il y a des formations ou des… là j’utilise le mot workshop qui sont disponibles, que ce soit pour les juristes ou les professionnels qui veulent en apprendre un peu plus sur l’approche plus humaine, la connexion qu’il devrait y avoir avec les communautés autochtones?
M. Audette : Moi je pense que oui, oui je suis convaincue qu’il y a des formations, juste avec Roast pis la cérémonie des couvertures. Les gens comprennent la relation qu’on a avec le territoire, les écoles résidentielles et aujourd'hui avec tous les problèmes auxquels ont se retrouve, mais aussi la guérison et l’empowerment. Je suis contente, je pense que votre président d’ailleurs est issu d’une nation autochtone. Peut-être que cette même personne-là ou via le Barreau autochtone, l’Association du Barreau autochtone a peut-être en banque des suggestions de gens ou d’organisation. Mais, oui, oui, pis une fois que la COVID va être passée, si vous êtes proche d’une communauté, refaites-moi signe pour voir s'il n’y a pas justement des gens dans la simplicité totale pourraient juste vous accueillir, vous faire rire, rire de vous, pleurer, pleurer avec vous, mais vous amener dans une autre dimension. Puis au moment où vous avez à travailler avec une femme qui vit de la violence, y a un réflexe naturel qui va arriver, je suis convaincue.
Katherine : Pour terminer par rapport au plan d’action national, on a dit que disons des fois la bureaucratie c'est long, il faut appliquer, il faut passer par plusieurs niveaux d’approbation. Quels sont les délais que les niveaux de gouvernement devraient s’imposer quant à l’implantation? 5 ans? 10 ans? 15 ans?
M. Audette : Ouain. À mon avis, tous les nombres que vous avez nommés, les chiffres, devraient être dans un processus. Les cinq premières années pourraient être simplement d’organiser cette structure-là, cette gouvernance, ou cette façon de faire, mais sachant que la politique c'est organique han? Un jour c'est le NPD, le lendemain c'est les conservateurs, dans une autre région ça va être les libéraux, le Parti québécois, le Bloc québécois. Y a ça aussi qui va influencer énormément. Mais si c'est un contrat de société qu’on se donne, comme institution, comme individu pis comme mouvement, ça va être important de se dire : il faut s’entendre sur une structure. On l’a bien fait pour la démocratie canadienne et québécoise, on a des assemblées et des parlements. Donc, pourquoi pas pour ça aussi? Mais le 10 ans et le 15 ans, c'est : on s’est donné des cibles à atteindre d’ici 10 et 15 ans, on en est rendu là. Et non juste pour une saveur électorale et politique, pour un parti politique, mais plutôt pour une volonté sociétale et politique aussi.
Katherine : Est-ce qu'il y a des mesures que la justice qui elle n'est pas élue pourrait prendre pour garder un œil sur ces cibles, pour ne pas qu’on les manque.
M. Audette : Je sais qu’il y a une loi que l’Association des femmes autochtones du Canada avait plaisir à nous coter à chaque saison, fait qu’on nous dit souvent dans la zone « ouch! ». Pis des fois « yeah! ». Alors ça pour moi je pense que vous pouvez le faire. Mais en même temps vous avez reçu aussi le milieu de la justice, les gens, les juristes, juste au niveau du code, Monsieur Colten Boushie. Le jury, le jury, c'est juste une recommandation, on parle du jury, la sélection du jury. Je sais pas jusqu’à quel point vous avez une capacité… pas de faire la sélection, mais… ou je ne sais pas, mais, juste ça moi, je l’ai vu le film récemment à l’ONF, pis j’ai fait : « aaaah! » ça fait mal, mais c'est ça qu’on vit encore.
Katherine : Pouvez-vous expliquer un peu pour ceux qui ne sont pas au courant?
M. Audette : Oui. Alors un jeune homme qui est retrouvé mort avec une balle quelque part dans cette partie de son corps, et je vous dirais il est stationné, la voiture est stationnée dans un terrain privé. C'est en Alberta, si je me souviens bien ou en Saskatchewan, aidez-moi là. Par la suite, la façon qu’on va recevoir ça dans les médias, c'est une légitime défense de la part du propriétaire canadien, je le dis entre guillemets « blanc » et que la personne qui a été retrouvée morte, c'est un jeune autochtone Colten Boushie. Par la suite on va voir comment le processus judiciaire, le processus d’enquête, le processus de sélection pour le jury, et après ça la sentence comment ça va arriver. On se retrouve avec de très, très grandes déceptions tout le long de ce processus-là où on semble dire : ben c'est un bon jack, légitime défense. Et comment on va intervenir comme GRC quand on s’en va annoncer à la famille, by the way your son is dead, très froid, très physique. On va même attacher, menotter les parents alors qu’ils ne savent pas du tout ce qui se passe là. Alors on voit là, tout au long de ça, puis par la suite, les membres du jury, zéro connaissances autochtones. Et on se dit : ben c'est sûr que ça va amener des biais conscients et inconscients sur une décision.
Katherine : Donc votre recommandation dans le résident permanent c'est d'inclure des gens qui ont des connaissances sur les communautés autochtones, peut-être même des autochtones sur le jury.
M. Audette : Oui, oui, ça puis y a même un jeune autochtone qui était sélectionné et il a senti le choix de la part des avocats comme : hi… je sentais que je ne passais pas là. Ça aussi vous allez le remarquer. Alors tout ça pour dire que si vous avez cette magie-là, ou ce pouvoir-là, nous on va avoir déjà contesté avec Femmes autochtones du Québec des décisions d’un juge qui va avoir des propos assez racistes envers une femme Micmac mère de deux jumelles, de petites jumelles. La décision, on a gagné, ç’a été une formation nécessaire au Conseil canadien de la magistrature, mais on est essoufflé à la fin de toujours aller en mode réaction alors qu’on pourrait être en mode prévention. Et, amener de façon obligatoire, tant au lieu de dire obligatoire, mais de façon responsable ces formations-là au sein de nos organisations.
Katherine : Je pense à tellement d’options, je me dis… est-ce que vous dites que c'est réactionnaire, donc c'est très, comme vous dites… et vous vous battez constamment.
M. Audette : Constamment! Constamment!
Katherine : Tout le temps se battre c'est fatigant, c'est épuisant, évidemment à un certain point on a peur que vous et les autres militants vous abandonniez parce qu’à un certain point vous ne soyez plus capable de porter tout le poids sur vos épaules. Le rapport est très long, 1 200 pages environ, quelle est la portion éducation, quel est le poids de l’éducation? Que ce soit pour les gens qui sont maintenant des professionnels ou même les enfants, en quoi est-ce qu'il faut qu'on mette des ressources à l’intérieur de ce domaine?
M. Audette : Elles sont majeures, elles sont majeures, puis en même temps on a reçu 10 000 recommandations à travers les milliers de témoignages. Alors on a fait un exercice de croisement pis de regroupement pour arriver à 250 et quelques parce qu'il y a aussi le rapport juste pour le gouvernement du Québec, FFADA Québec. Comment on peut faire ou comment… ben dans votre milieu si vous regardez l’aspect justice ou l’aspect sécurité, ça dépend ce qui vous amène comme juriste, comme avocat ou comme personne impliquée dans le milieu. C'est de ne pas tout prendre. Commencez par celles dans lesquelles vous vous sentez interpeller : jusqu’à quel point je peux l’amener dans mon milieu de travail, jusqu’à quel point je peux l’amener au sein de mon organisation, au sein de mon mouvement auquel je participe, au sein de cette organisation à laquelle vous faites partie, l'ABC Juriste branché.
Alors il y a plusieurs belles façons, puis d’y aller de façon graduelle, mais de rester branché justement sur ces appels-là pour dire : ben regarde, cette année on est fier, on en a sensibilisé 15, ou 14, ou 200. Ça, ça va être à vous de trouver cette façon-là. Mais en même temps, si admettons vous auriez la magie ou la possibilité de prendre une position claire pour dire, au niveau du Québec, au niveau des provinces ça dépend qui à la juridiction en matière d’éducation, « l’histoire est à refaire ». L’histoire à refaire. Je côtoie moi les futurs juristes, je côtoie les futurs médecins, les futures anthropologues, les futurs leaders de demain et on est encore en train de passe à côté parce qu'il n’y a pas cette responsabilité-là de la part de l’État pour dire : on va la refaire pour vraie cette fois-ci l’histoire. Dans sa beauté, dans sa dureté, dans sa richesse, dans sa complexité, dans sa simplicité aussi. Alors… mais ça le statuquo fait mal et ça fait partie aussi des constats dans lesquels on a dénoncé dans le rapport. Or vous avez cette magie-là je suis sûre moi.
Katherine : Mais vous avez fait un point qui est très important que je veux réitérer, ça revient au fait que vous porter en ce moment sur vos épaules beaucoup du poids du militantisme, c'est que si chacun fait du projet d’avancement, si on fait tous un effort, collectivement, ça va changer.
M. Audette : C'est clair.
Katherine : Donc, c'est pas de tout prendre et de dire : moi je vais changer la Loi, je vais changer le monde juridique à moi seule, c'est de dire qu’il faut qu’on se rallie tous derrière cette cause.
M. Audette : Exactement, c'est pour ça qu’en 2013 je suis tombée. Je ne veux plus jamais aller là. L’équilibre, la guérison, la culture, m'aider au maximum va me faire revivre au lieu d’être survivante et je vais vivre là. Puis à chaque année, on va aller à la rivière Georges, d’autres ça va être d’autre chose, moi c'est à Mushuau-nipi, territoire des Innues. Ah! c'est le fun! Mais à chaque fois, je reviens, j’apprends la perte d’un être cher, Tina Fontaine exemple. Puis récemment je reviens c'est… Joyce Échaquan, quelques jours après mon arrivée, je reçois un message pis je n’ose pas le regarder. Ça là, ça va venir basculer mon processus de guérison pis ramener des milliers de témoignages. Et comme vous l’avez dit, je ne veux pas les avoir sur les épaules. Mais je veux rester forte pour marcher encore à côté d’eux autres parce que je me suis engagé jusqu’à la fin de ma vie, j’allais marcher avec ces familles-là qu’elles me connaissent ou pas. Et tout de suite le lendemain je suis à Joliette avec la famille, full silencieuse, en retrait, plein d’amour, on n’a pas le droit trop trop de se toucher à cause de la COVID. Mais c'est là où j’ai vu de nouveaux visages, de nouveaux groupes, de nouvelles personnes qui écrivent pour nous et avec nous. Pas pour nous à 100%, mais y a un débat asteure que je n’ai même pas besoin de participer, vous le faites à ma place et ça ça fait du bien. Vous le faites mal à l’aise, des fois vous avez peur, vous, je parle de la société québécoise et canadienne, pas comme s’il y a deux mondes, le mien et le vôtre, mais ça fait du bien de voir ça. Justement j'en ai moins et je peux vous dire, avant-hier on était avec Carol Dubé le conjoint de Joyce Echaquan quand on a honoré le plan d’action de l’Université Laval au nom de Joyce pour Joyce, on s’était dit : enfin, on est pu tout seul. On ne l’était pas, mais on ne le voyait pas. Pis vous n’étiez pas obligé de faire un balado là-dessus, vous n’étiez pas obligé, vous auriez pu le faire sur bien d’autres choses, y a tellement de sujets importants. Juste ça, ça démontre qu'on n’est pas tout seul et ça, je vous dis merci infiniment.
Katherine : Ben merci beaucoup, mais moi ce que je peux dire au nom de tout le monde de la terre entière, ce que vous faites c'est extrêmement honorable, puis s’il vous plait, n’arrêtez pas. J'aimerais vous demander vos impressions personnelles et votre vision du futur suite à la publication du rapport. Pensez-vous que le rapport a sonné suffisamment de cloches aux bons endroits personnellement?
M. Audette : Personnellement pour moi là je pense que ça va être… n’ayant jamais terminé l’université, je pense que ça va être mon plus beau diplôme de la vie. Le plus beau, parce qu’il va résonner en moi jusqu’à mon dernier souffle. Parce que je suis fière d’avoir été capable d’être un outil pour toutes ces voix-là qui ont été longtemps silencieuses. Maintenant, j’ai pas besoin d’être là, j’ai pas… elles sont partout. Elles sont là, on peut les lire, on peut les pleurer, on peut les rire, on peut les chanter même, on peut les mettre partout où on va. Ça là, c'est… c'est comme dirais mes ados, c'est big, c'est immense. Fait que oui, j’suis tellement fière, tellement, tellement fière, puis y a rien qui me fait peur depuis ce temps-là, y a plus rien qui me fait peur.
Katherine : Si on regarde sur le futur, êtes-vous optimiste quant au futur des filles et des femmes au Canada?
M. Audette : Oui! Oui!
Katherine : Croyez-vous que la prochaine génération est mieux protégée par la Loi, ceux qui l'appliquent?
M. Audette : Si la Loi est appliquée, oui elles vont être mieux protégées, mais c'est de pire en pire la violence, le bullying de ressources sociales, la facilité d’avoir accès à… à des drogues, ou en tout cas, au crime organisé. Il y a un côté très pervers qui me fait peur comme mère de cinq enfants, dont deux belles jumelles ados. Mais en même temps, il faut que j’aie confiance en la vie, parce qu'on est de plus en plus plusieurs personnes qui croient à ce changement-là, qui voient ce changement-là ou qui provoquent ce changement-là. Alors ça, c'est rassurant. C'est rassurant aussi parce que chaque jour je me dis : on as-tu réussi aujourd'hui, on as-tu fait assez? Pis je regarde ce qui se passe, pis citronnelle que c'est rassurant, pis c'est beau, pis ça fait chaud au cœur. Moi en tout cas je suis comme vous, je suis optimiste. À travers les tragédies et les traumatismes, je me dis : on vire ça en guérison pis en empowerment. On continue.
Katherine : Un grand merci Madame Audette de votre participation à Juriste branché. C'est une chance incroyable que nous avons eue de vous parler aujourd'hui pour discuter de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Je souhaite sincèrement que vos propos vont avoir clarifié pour nos auditeurs plusieurs aspects du rapport. À nos auditeurs, via Twitter, dites-nous comment vous allez appliquer les recommandations du rapport dans votre pratique légale et au sein de votre cabinet. Je vous invite également à aller lire la réponse de l'ABC disponible en anglais sur notre site web. Le lien se trouve dans las description de cet épisode. Vous y trouverez également le lien vers la formation continue appelez : Le parcours : votre voyage au sein du Canada autochtone. N’hésitez pas à partager cet épisode sur vos réseaux sociaux et à nous suivre sur twitter @Nouvelles_abc. Pour nos épisodes précédents et futurs, abonnez-vous à Juriste branché sur Apple Podcasts, Stitcher, Spotify et n’hésitez pas à nous laisser des commentaires et des évaluations sur cette plateforme. Vous y trouverez également notre série : Conversation with the president animé par notre président Brad Regehr, qui a pour thème la Commission de vérité et réconciliation. À la prochaine.