Juriste branché

Après la pandémie: Qu'est-ce qu'un réfugié en 2020?

Episode Summary

Yves Faguy reçoit Annick Legault, avocate basée à Montréal ayant pratiqué plus de 16 ans en droit des réfugiés pour parler de l’avenir du droit des réfugiés au Québec et au Canada.

Episode Notes

Dans cet épisode d’Après la pandémie, Yves Faguy reçoit Annick Legault, avocate basée à Montréal ayant pratiqué plus de 16 ans en droit des réfugiés, pour nous parler de comment le cadre juridique adressant les réfugiés a été élaboré après la Seconde Guerre mondiale, et si elle peut encore être adaptée aux mouvements migratoires du 21e siècle. Ou faudra-t-il revisiter la définition de ce qu’est un réfugié?

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Episode Transcription

Après la pandémie: Qu'est-ce qu'un réfugié en 2020?

Annonceur : Vous écoutez un programme du magazine ABC National.

Yves Faguy : Bonjour, Yves Faguy ici, rédacteur en chef du magazine ABC National. Bienvenue à Après la pandémie où il s’agit d’explorer des questions de droit émergentes dans un monde transformé. Au cours de la dernière année, la Covid-19 a suscité de nombreuses conversations, notamment sur la nécessité de moderniser la façon dont la société s’organise, voire même de repenser nos politiques et nos lois afin de mieux s’attaquer à une liste de défis juridiques qui ne semblent que s’allonger. Les solutions ne sont pas toujours très claires, mais on a le sentiment que la pandémie pourrait faire acte d’événement catalyseur et c’est dans cet esprit que nous nous penchons sur différents aspects du droit et demandons à nos invités quels changements ils souhaiteraient voir dans leur domaine de pratique pour que le droit et nos lois soient mieux adaptés à nos réalités contemporaines. Aujourd’hui nous allons parler de droit des réfugiés. Nous savons que dans toute cette pandémie parmi ceux qui ont été le plus touchés par les décisions gouvernementales de fermer les frontières sont les demandeurs d’asile.

La crise qui est mondiale laisse présager aussi, possiblement, un durcissement de nos politiques en matière d’accueil de réfugiés surtout dans un contexte de regain de l’isolationnisme dans le monde qu’on voit un peu partout, et ce à une époque où les catastrophes climatiques continuent de se multiplier ce qui contribuera sans doute à de grandes vagues de réfugiés climatiques. Également on a vu au fil des années, on s’est aperçu qu’il y a de nouvelles formes de persécution et de conflit, des mouvements migratoires complexes et que de nombreux états hésitent de plus en plus à accepter des réfugiés en grands nombres. Voilà un peu où nous en sommes et donc pour nous aider à mieux comprendre les enjeux auxquels fait face la communauté juridique nous avons invité maître Annick Legault. Annick Legault est avocate ayant pratiqué plus de 16 ans en droit des réfugiés auprès de personnes vulnérables principalement. Récemment elle a été embauchée comme consultante par la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes, le TCRI, pour élaborer des lignes directrices sur les mutilations génitales féminines, l’excision, pour les professionnels de la santé et des services sociaux. Bienvenue au programme, Maître Legault, et merci de participer à cette émission d’ABC national.

Annick Legault : Bonjour et merci à vous pour l’invitation.

Yves Faguy : Merci, alors commençons par vous. Parlez-nous de votre parcours professionnel. Comment vous vous en êtes venue à devenir avocate auprès des réfugiés ?

Annick Legault : Le parcours professionnel commence, je dirais, à ma tendre enfance. J’avais écouté un documentaire et/ou un film, je ne suis plus certaine, sur Nelson Mandela et c’est un ou une de ses avocates avait été assassinée et j’avais donc fait part à mes parents que je souhaitais être avocate, en fait son avocate. C’est de là qu’est venu mon vouloir d’être avocate, mais plus spécifiquement pendant mes études en droit. J’étais très intéressée par le droit international. Cependant, heureusement cependant, j’ai eu deux enfants pendant mes études qui m’ont un peu fait changer de parcours et je suis devenue assistante de recherche. Cependant le 11 septembre est survenu. Y a eu une montée significative de l’islamophobie entre autres au Québec et au Canada et j’ai commencé à recevoir des appels me demandant si je pratiquais en droit des réfugiés. De là j’ai décidé de m’introduire dans ce domaine très particulièrement.

Yves Faguy : Expliquez-nous et expliquez à nos auditeurs qui ne sont pas nécessairement des experts dans votre champ de pratique comment fonctionne la loi sur la protection des réfugiés ici au Canada et peut-être même dans le monde en vertu de la convention internationale. Qui la loi vise-t-elle à protéger et comment est-ce qu’elle fonctionne ?

Annick Legault : D’abord je commence par le Canada. On a une loi, c’est la Loi de l’immigration et de la protection des réfugiés. Donc c’est vraiment une loi qui englobe toutes les démarches et les demandes d’immigration et/ou de refuge. Dans cette loi-là, on prévoit deux dispositions qui permettent de venir protéger des individus sur une base individuelle. Donc vous avez l’article 96 qui incorpore directement la Convention internationale pour les réfugiés de 1951 et vous avez une autre disposition pour ce qu’on appelle les personnes à protéger. Je ne sais pas jusqu’où vous voulez que je m’étende, mais je peux quand même vous dire que pour établir un statut de réfugié spécifiquement en fait y a trois critères, trois éléments. Y faut premièrement que la personne soit à l’extérieur de son pays. Secundo, y faut que la personne ait une crainte raisonnable de persécution, un terme qui n’est pas uniformément défini à travers le monde. Et finalement, y faut que cette persécution-là soit motivée par un des cinq motifs. Et les motifs étant particuliers et possiblement désuets, mais on parle de race, qui est une terminologie problématique en soi, on parle de nationalité, on parle de religion, politique et groupe social. Donc comme je vous disais cette disposition-là incorpore directement la définition de réfugié qui est prévue dans la convention pour les réfugiés au commissariat pour les réfugiés qui est l’organe qui s’occupe des demandeurs d’asile et de l’asile au niveau mondial.

Yves Faguy : Expliquez-nous, peut-être, c’est dans quel contexte qu’on a élaboré cette définition ?

Annick Legault : La Convention pour les réfugiés est arrivée en 1951. Donc ça faisait suite à la Seconde Guerre mondiale. Dépendamment de à qui on parle y a des raisons qui sont différentes. Y en a qui disent que le côté humanisme des pays vainqueurs ont décidés que en fonction de ce qui s’était produit, soit des bateaux remplis entre autres de juifs en Amérique qui avaient été retournés en Europe, donc en réaction à quelque chose qui a été épouvantable qui a été fait aurait été créée. Y en a d’autres qui disent que c’était pour s’assurer de quand même maintenir le flot et d’établir avec des critères stricts qui pourraient et ne pourraient pas entrer. Donc c’est vraiment dans le contexte de la Deuxième Guerre mondiale et ensuite on pourrait dire de la guerre froide, donc d’un type de gouvernement par rapport à un autre, là je fais référence au bloc de l’est et au bloc de l’ouest.

Yves Faguy : Alors la convention relative au statut des réfugiés et notre loi ici, nationale, aussi elles n’obligent pas donc les états à accueillir massivement des populations en exode sans fin. C’est ça n’est-ce pas ?

Annick Legault : En fait l’obligation est à l’effet que si quelqu’un se présente sur ton sol et que tu es signataire de la convention tu devrais avoir un mécanisme permettant à cette personne-là de faire une demande d’asile. Donc si dix millions de personnes se présentent à ta frontière et disent : « je veux demander l’asile » on a, en vertu de ce qu’on a signé, de la convention et de notre loi interne, l’obligation de produire la procédure à [intelligible] et de ne pas refouler la personne avant que sa crainte ait été bel et bien étudiée et déterminée.

Yves Faguy : Alors, expliquez-nous maintenant, au fil des ans, dites-nous si vous avez vu évoluer les enjeux dans votre pratique et comment les choses ont évoluées.

Annick Legault : Je peux parler de moi personnellement. Aussi je pense que ça concorde un peu malheureusement avec ce qui se passe partout dans le monde. Moi, ce que j’ai constaté c’est une restriction des critères de la notion de réfugié. Donc la définition existe. L’article de loi existe et là c’est dans les différents commissaires, donc au Canada c’est des commissaires qui entendent les demandes d’asile, donc les commissaires eux-mêmes ou elles-mêmes prennent sur elles ou sur eux de rétrécir leur conception de ce qui est et qui n’est pas un ou une réfugié. Ça, j’ai vu, je pourrais donner un exemple, au niveau du groupe social. Donc lorsque le groupe social semble être trop gros ou inclure ou pouvoir inclure une trop grande quantité de personnes on cherche à trouver des façons de rapetisser le groupe. Par exemple on pourrait prendre le cas des femmes victimes de violence sexospécifique en Haïti qui a été un groupe social reconnu par exemple par la cour fédérale.

Donc quand on parle de la persécution sexospécifique ça veut dire qu’on avait considéré que être femme haïtienne pouvait te placer en position de persécution du simple fait du genre avec lequel tu étais né. Donc ceci fait partie de la notion de groupe social. Donc la persécution est en lien avec le groupe social et on définit le groupe social comme étant Annick Legault haïtienne. Donc c’était un groupe qui avait été reconnu par la Cour fédérale, qui avait été donc reconnu par certains/certaines commissaires et tranquillement pas vite a été refermé ou on a cherché à repousser cette même catégorie en alléguant par exemple que c’était une violence généralisée. Donc de le rentrer plus dans une espèce de conflit interne comme les guerres civiles par exemple. On ne reconnaît pas la protection pour les gens qui les fuient. Donc pour vous mentionner que c’était davantage un contexte générique plutôt que comprendre que c’était en fonction du fait ces femmes-là étaient femmes qu’elles se faisaient persécuter.

Yves Faguy : Cette distinction entre le contexte générique et le contexte spécifique est-ce qu’elle est claire en droit ?

Annick Legault : La distinction est-elle claire seule ? Pour moi elle est très claire oui. La loi fait juste mentionner en fait que y faut qu’on ait des attributs uniques qui permettent d’identifier le groupe. Donc être une femme ou des fois ça peut peut-être être une femme avec une autre particularité, dépendant de dans quel pays on est. Par exemple en Iran on pourrait avoir le groupe de femme « femmes ne voulant pas porter le hijab ou n’importe quel signe religieux ». À ce moment-là, c’est quand même le fait qu’elle soit femme. C’est immuable. On ne peut pas le lui retirer, c’est elle. Donc oui selon moi c’est pas quelque chose qui se débat, qui est débattu, mais nonobstant ça, ça semble que ce qu’on voit du moins c’est une fermeture au niveau de… en fait c’est de trouver une autre façon comme les juristes on la capacité de le faire, et des fois très bien malheureusement de le faire selon moi, de refermer ou d’entreprendre une nouvelle définition qui elle va être réutilisée jusqu’à tant qu’on  la fasse tienne de façon générale.

Yves Faguy : Là où je voulais en venir, c’est de savoir est-ce que nous sommes dans l’ensemble cohérent dans notre façon de traiter des cas de réfugiés au Canada sur la base des règles existantes et vis-à-vis des demandeurs d’asile individuels en tant que titulaire de droit ?

Annick Legault : Individuellement les commissaires prennent les décisions individuelles. Donc est-ce qu’ils sont cohérents comme un tout ? Selon moi c’est absolument non si on ne fait que regarder leurs statistiques personnelles. Donc chacun des commissaires ont des taux d’acceptation qui varie énormément. Y en a que c’est 80 % oui et y en a que c’est 80 % non. Là c’est sûr qu’il faut faire des bémols dans le sens que certains commissaires sont attribués certains pays, puis certains types de dossiers donc possiblement que dans ces dossiers-là y en a beaucoup moins qui sont favorables ou beaucoup plus qui sont favorables, mais nonobstant ça ce qu’on a toujours en tant que praticienne j’allais en audience et je pouvais dire à mon client si on allait être accepté ou pas. Donc avant même de commencer l’audience juste en voyant qui était assis devant moi. Donc de façon générique non, je peux pas dire que ça, c’est cohérent, mais en plus si on rentre dans les analyses non y a un manque de cohérence entre les décisions comme je vous le mentionnais parce que plusieurs commissaires sont d’avis que, je reprends le même exemple, que les femmes haïtiennes constituent un groupe persécuté alors que d’autres refusent de le reconnaître parce que ça serait trop large. Alors que la définition ne dit pas qu’un groupe ne peut pas être large et la Cour fédérale a dit la même chose.

Yves Faguy : Comment expliquez-vous ce manque de cohésion ?

Annick Legault : Ça cadre avec, quand même si on veut au niveau national et même international ce que les gens pensent. C’est que je parle du manque de cohésion je parle de la prémisse selon moi, et je suis désolée si ça heurte, mais je pars de la prémisse que ceux qui ont une analyse restrictive de la convention sont dans l’erreur et ces personnes-là cependant elles cadrent davantage avec les mouvements nationaux et mondiaux à l’effet de restreindre la définition, à l’effet de fermer nos frontières et de s’assurer finalement parallèlement ce qui arrive c’est qu’on ne remplit donc pas nos obligations. Donc je crois que c’est des gens qui sont représentatifs du mouvement actuel qui existe qui est à l’effet que les réfugiés ou les demandeurs d’asile sont associés à des risques pour la sécurité, ils sont associés à de faux réfugiés. Dans ce contexte-là, et c’est vraiment mondial, y a plusieurs académiques et juristes qui se prononcent sur ce que je vous dis. Ça, c’est pas mes pensées à moi uniquement, mais oui c’est vraiment la tangente actuelle.

Yves Faguy : Dans quelle mesure est-ce que nous sommes influencés par également les événements dans l’actualité ? Je pense notamment à y a quelques années, y avait le tremblement de terre en Haïti. Les réfugiés en provenance de la Syrie par exemple à cause de la guerre civile qui sévissait là-bas. Est-ce qu’on réussit à être cohérent également dans le temps ou est-ce qu’on est juste en train de réagir face à des événements ?

Annick Legault : Certainement on essaie, je crois, dans certains cas de réagir à ce qui fait les manchettes pour bien paraître, mais je pense qu’en période de pandémie actuellement on a peu d’égard pour le bien paraître dans nos actions au niveau de l’immigration et de la protection des réfugiés, mais il est vrai que suivant le tremblement de terre on a vu un immense mouvement humanitaire au sein, par exemple, de la commission. Donc énormément de commissaires avaient, comme on dit, la patte sur le cœur et acceptaient, du moins je peux parler pour moi, mais acceptaient mes clients, suivant deux ou trois questions, juste parce qu’ils étaient [00:15:02]. Mais c’était, encore là, c’était leur choix individuel. Le gouvernement canadien à cette époque-là a fait certains programmes pour essayer de faciliter la venue de certains Haïtiens et des Haïtiennes qui étaient ici qui ont eu le droit de rester ici. Ceux et celles qui avaient des statuts, pas de statuts ou des statuts très précaires pouvaient les renouveler.

Donc y a eu certaines mesures, mais je peux pas dire que c’est le concept de la protection des réfugiés qui a été mise en place pour venir en aide aux gens qui ont eu, qui ont vécu des problèmes suivants les séismes en Haïti. Cependant y est vrai que si on regarde juste avec Hong Kong aujourd’hui. Je sais pas si vous lisez, je présume que vous lisez les manchettes, mais c’est quoi y a 3-4 jours le gouvernement canadien sortait pas pour dire qu’il offrait une protection aux gens de Hong Kong en sol canadien ou qu’il allait offrit une protection, mais simplement de dire aux gens qui avaient fini des études ou à des gens qui étaient sur le point de finir des études et qui étaient déjà ici et qui avait des statuts qu’on allait les aider à obtenir des statuts permanents.

Donc encore là c’est pas dans le sens humanitaire et même le ministre de l’Immigration a été très clair à cet effet-là. Y a dit que c’était dans un contexte économique, et de favoriser que notre machine économique reparte de bons trains dans le contexte actuel de la pandémie. Donc selon moi c’est pas répondre à un problème sociodémocratique qui se passe actuellement à Hong Kong. Là c’est quand ? C’est ce week-end on entendait ce qui se passait en Sahara occidental. Donc est-ce que le Canada va réagir par rapport à ça et proposer une mesure de protection pour les gens, les ressortissants de ce pays-là ? Selon moi non, pas avec la pandémie. Encore moins

Yves Faguy : Est-ce qu’on mélange les notions de réfugiés ou de demandeurs d’asile avec la notion d’immigrant économique ?

Annick Legault : Personnellement on ne la mélange pas. Donc je suis entièrement capable de faire la distinction. Beaucoup de gens vont dire que les réfugiés abusent du processus, qu’en réalité y sont ici juste pour avoir une vie meilleure. Éthiquement et personnellement je suis entièrement disposée à ouvrir nos frontières canadiennes dans un système de régularisation autre que la demande d’asile pour les gens qui souhaiteraient venir travailler ici, mais en effet un réfugié économique ne cadre pas avec la définition et la définition ne permettra jamais à ce que cette personne-là puisse cadrer avec la définition. Y va de soi qu’y faudrait ou qu’il y ait un autre système complément, mais à l’heure actuelle y en a pas.

Yves Faguy : J’aimerais revenir sur la question du réfugié économique, mais rapidement expliquez-nous la situation pour les réfugiés en temps de pandémie. Certains ont pu, depuis cet été je pense, demander la résidence permanente par le biais d’un programme de régularisation.

Annick Legault : Ah bon ?

Yves Faguy : Ah bon ?

Annick Legault : Ah bon.

Yves Faguy : Corrigez-moi donc. Corrigez-moi donc.

Annick Legault : Non, au fait y a eu un cessez de toutes demandes d’asile pendant quelques mois. Donc ce qui veut dire que les gens qui sont arrivés, peu importe, à la base par avion et/ou à la frontière terrestre n’ont pas été en mesure de soumettre des demandes. Ce qui fait que y ont donc pas accès à aucun service non plus. Certains pourraient dire y peuvent pas donc abuser des services. Non, on a tout intérêt à ce qu’ils aient accès à des services afin que, le plus vite possible, y se mettent dans notre machine économique.

Yves Faguy : Excusez-moi, je faisais référence aux intervenants dans le monde de la santé justement.

Annick Legault : Oui, OK vous parlez des anges gardiens.

Yves Faguy : Oui, les anges gardiens.

Annick Legault : Les fameux anges gardiens. Le programme n’existe pas à ce jour. J’ai même vérifié, je crois, hier. Donc en octobre on disait que c’était pour bientôt. Il faut comprendre que tout ce qui est réfugié et immigration est techniquement fédéral, mais là le Québec particulièrement a son mot à dire du fait de comment on est organisé politiquement le Québec et le Canada. Le Québec selon moi est davantage responsable que le Canada dans cette mesure, mais a, oui, l’intention d’assister dans un programme, mais y s’est bien assuré de restreindre de façon extrême qui aurait le droit de participer dans ce programme-là. Donc y faut vraiment prendre ça avec un bémol. Ça va être un programme qui va servir tout au plus, je crois, un millier de personnes alors qu’on parlait de plusieurs milliers de personnes qui étaient impliquées à travailler pendant la pandémie et le creux de mars, avril, mai. Donc ça va être un programme, je dis ça va être parce qu’il n’existe pas encore à ce jour, qui va être et qui a été fortement critiqué parce qu’il était extrêmement restrictif. Donc ça, c’est ce qu’on a mis en place. Cependant on a aussi, comme je vous le mentionnais tantôt, on avait à la base fermé toutes demandes, la possibilité de soumettre toutes demandes et nos frontières étant fermées de toutes les façons c’est très difficile pour les gens de se rendre ici au Canada à l’heure actuelle.

Yves Faguy : Qu’anticipez-vous lorsque les frontières rouvriront ?

Annick Legault : Si vous me demandez si j’anticipe un afflux d’individu selon moi. Non. De façon géographique on n’est pas placé pour avoir un afflux de personne. Y a eu un moment où est-ce qu’on avait, en 2017 je crois, où est-ce qu’on a eu beaucoup, entre autres, y a eu plusieurs vagues à travers les années, mais y a eu une vague d’individus qui venaient des États-Unis suivant l’arrivée au gouvernement de Trump. Peut-être le fait… s’il accepte de se retirer, y va y en avoir moins. Possible que non. J’ai pas vraiment d’opinion à cette heure-ci sur ce qui va se passer, mais je ne crois pas qu’y va avoir beaucoup d’individus. Quoi que si on remarque ce qui se passe pendant la pandémie au fait, à travers le monde, y a énormément de violence tous azimuts sur l’ensemble des continents à l’heure actuelle.

Donc techniquement y a plusieurs réfugiés qui sont on the work, qui sont en train de se faire et des gens qui se déplacent. Donc en fait je trouve ça plutôt triste de m’imaginer que nos frontières vont s’ouvrir, mais qu’on n’aura pas le reflet de ce qui se passe réellement. Puis on l’a jamais de toutes les façons au Canada. On n’est pas en Europe. On n’est pas assez bien placé, selon moi, pas bien placé pour venir réellement en aide aux gens qui en ont besoin. Pour ce qui est des réfugiés relocalisés par le HCR, comme vous avez parlé plus tôt des Syriens, oui le Canada en a pris, en a reçu quelques-uns au moment de l’élection Trudeau. Je pense que ça faisait son affaire de, politiquement, de montrer ça aussi, mais nos chiffres, si on regarde pour l’année 2019, mondialement on dit que y a eu 81 000 réfugiés relocalisés seulement dans tous les pays sûrs. Donc ça, c’est les chiffres du HCR. C’est pas les miens non plus. Donc je veux dire, 81 000 c’est quoi ça considérant que y a des millions de réfugiés dans le monde.

Yves Faguy : Et par rapport à des années antérieures, ça représente une baisse ?

Annick Legault : Honnêtement je peux pas dire que je sais c’est quoi, mais ça c’était 2019 donc c’était avant la pandémie. Tout ce que je peux vous dire pour sûr c’est que pendant la pandémie il y a plusieurs pays qui ont, à ce jour, pas encore ouvert leurs portes et refusent toujours la relocalisation. Il y a quelques pays qui ont accepté de rouvrir leurs portes à la relocalisation des réfugiés acceptés. Donc c’est sûr que les chiffres pour 2020, l’année Covid-19, vont diminuer. Mais avant je pourrais pas vous dire. Je faisais pas vraiment de suivi, mais ce que je peux dire c’est que c’est tellement peu par rapport à ce qui se passe et le 81000 c’est pas le Canada.

Yves Faguy : C’est mondial.

Annick Legault : Je répète, c’est tous les pays du monde. Donc on les prend au compte-goutte les humains qui fuient les horreurs.

Yves Faguy : Je comprends alors si je vous lis bien, selon vous notre loi sur la protection des réfugiés et la convention internationale ne rencontrent pas nécessairement les objectifs de sociétés qui ont l’obligation de venir en aide à des demandeurs d’asile. Je vous mentionne ça et puis vous me corrigerez si vous détenez une opinion différente, mais plusieurs ont également comparé la pandémie qui est un enjeu mondial au changement climatique et j’imagine que nous serons surement confrontés à de nouveaux enjeux, je ne sais pas nécessairement lesquels, mais semblerait-il que la définition traditionnelle d’un réfugié ne cadre pas toujours avec la réalité du besoin. Alors la question que je vous pose c’est : est-ce qu’il faut revisiter cette définition du réfugié ? Dans ce cas-là, qui devrait être visé par la loi ou est à la rigueur assez flexible pour s’adapter aux défis d’aujourd’hui.

Annick Legault : De un je ne suis pas d’avis que nécessairement la loi devrait changer. Pourquoi ? Parce que je ne crois pas que ça serait possible. La loi nous vient de plusieurs états qui se sont assis ensembles et qui, en 1951, ça a abouti à quelque chose. Aujourd’hui je peux même pas m’imaginer et de toutes les façons même le HCR est d’avis que non c’est pas la solution.

Yves Faguy : Pourquoi ? Parce que c’est politiquement infaisable ?

Annick Legault : Y faut voir que de un le HCR dépend des pays sûrs, plus encore qui payent, qui offrent les finances, qui remplissent les coffres du HCR. Donc déjà là y a comme une situation où est-ce que y sont redevables à. Et aussi y une absence de volonté mondiale. Donc personne ne veut ouvrir les portes. Donc je crois plus possible qu’au niveau individuel, national, les pays peuvent adopter des lois et/ou, peut-être pas une loi, mais des programmes qui répondent à des besoins spécifiques. Parce que quand vous parlez de la pandémie, puis ça l’amène un nouvel enjeu. Selon moi ça l’amène pas autant au niveau des réfugiés le nouvel enjeu plus que ça l’exacerbe les enjeux déjà existants. Donc en ce moment, pendant que vous et moi on se parle, pendant que tout le monde parle et reparle de la Covid, du vaccin ou pas ou du moins dans les pays industrialisés qui ont le loisir de juste pouvoir se soucier de ça, peut-être pas tous non plus. Je veux pas tous nous mettre dans le même paquet, mais on a plusieurs guerres civiles. On a plusieurs gouvernements qui, en ce moment et de façon systémique, commettent des atrocités sur leurs populations, des groupes armés à même un pays qui commettent des atrocités. Donc en ce moment aussi on parle aussi d’une augmentation des violences sexospécifique au niveau mondial.

Donc beaucoup de réfugiés sont en train de se faire. Je sais pas comment vous dire ça autrement. Et malheureusement, y aura personne pour après dire oui d’accord on veut vous aider, oui d’accord. C’est là que je dis que en effet la convention ne convient pas au fait qu’aujourd’hui y a une multiplicité par exemple de guerre civile. Donc ça répond pas à un besoin. La convention est là pour répondre individuellement à la crainte d’une personne à la fois. Alors que ce qu’on remarque c’est qu’en ce moment c’est des groupes d’individus qui ont besoin d’être aidés. Donc les gens, que ça soit en Syrie, les Syriens qui fuient ou je donnais l’exemple tantôt du Sahara Occidental, ceux et celles qui fuiront ils et elles ont besoin d’être protégés. En tant que groupe persécuté ou un groupe qui ont juste peur parce que ça va pas bien, puis ça éclate, puis les obus et toutes sortes de mines antipersonnelles et peu importe ce qui se passe. Pas peu importe, excusez-moi, mais ce que je veux dire c’est que peu importe la méthode qui est utilisée pour commettre des atrocités.

Donc tout ça en ce moment se passe à cause de la pandémie, à cause que les gens sont préoccupés par autre chose, puis c’est beaucoup plus difficile pour tout le monde de se mobiliser. Et en même temps, évidemment, y a des mobilisations et les mobilisations sont réprimées de façon importante dans beaucoup de pays, dont chez nos voisins, les Américains. Donc dans ce contexte-là, moi, je vois plus la pandémie comme pas un parallèle avec les fléaux, avec ce qu’on appelle un réfugié, comme vous avez dit, écologique ou, mais vraiment davantage comme un moment où est-ce qu’on crée beaucoup de réfugiés à cause de ce qui se passe dans notre système un peu.

Yves Faguy : Y va de soi y me semble que le problème des réfugiés est international et je comprends que vous… j’ai compris de ce que vous dites c’est que la volonté politique à l’échelle internationale n’existe pas. Peut-être qu’elle existait même pas sur le plan domestique non plus, mais j’imagine que vous dites que y est impossible de conclure un nouvel accord international pour protéger l’afflux massif de personnes déplacées à travers le monde. Mais donc comment allons-nous adresser ces flux-là quand on s’attend à une augmentation des réfugiés climatiques par exemple ou d’une plus grande fréquence de guerre civile ?

Annick Legault : Si on regarde les gens qui sont victimes par exemple de catastrophe naturelle, il y a moyen d’inclure des programmes donc ça c’est des choses qui existent même déjà. Encore là faut que ça vienne de la population. Donc y faudrait que les Canadiens et Canadiennes montrent à leurs élus qu’ils ont un intérêt pour ça. L’exemple que j’ai pour ça je crois que c’est la Suède et la Finlande qui ont élargi. Eux autres offrent une protection donc pas la protection de réfugiés, mais une protection subsidiaire aux victimes de catastrophes naturelles. Donc c’est une protection qui existe déjà. Vous avez la même chose, je pense, au niveau de la Nouvelle-Zélande. Je sais pas trop dans quel contexte que ça existe, mais pas comme demande d’asile. Ça, je le sais parce que j’ai lu les revues en tant que mes demandeurs d’asile qui avaient plaidé, entre autres, la persécution en lien avec les catastrophes écologiques. Donc ça s’est refusé, mais ils ont quand même offert une protection donc un statut à des gens qui fuyaient des catastrophes naturelles dans le monde. Donc je crois que y a moyen de faire quelque chose, mais ça va être vraiment à nous de comprendre en tant qu’être humain nos obligations par rapport aux autres humains. Donc que les autres humains comptent autant que nous.

Parce que moi je pars du principe que le droit à la vie c’est un droit pour toutes et tous. Donc de là je me dis que si tout le monde à [00:30:49] un peu ce sens d’humanisme c’est de là qu’on peut faire émerger une espèce de volonté collective et ensuite en faire part à nos élus, mais sinon je suis peut-être très cynique, mais je pense pas que c’est possible et d’avoir juste des intellectuels ensembles qui s’assoient avec nos politiciens pour tenter de créer un document ça selon moi c’est impensable à l’heure actuelle, les dynamiques, mais aussi selon on devrait aussi prévoir des programmes pour les gens qui fuient les guerres civiles donc de façon collective. Mais y a une autre façon aussi de voir le problème. On pourrait aussi davantage travailler à régler, pas régler les problèmes à l’étranger, mais de façon communale, ça, c’est peut-être très utopique de ma part, mais d’aller aider pour empêcher que différents fléaux, surtout quand y s’agit écologique ou naturel, les occidentaux on a une grosse part de responsabilité. Donc on a des moyens de logiques qu’on peut déjà, des actions qu’on peut déjà faire au niveau des industries et tout ce qui nous permettrait d’éviter, par exemple, l’immigration écologique. Donc je veux dire, y a déjà certaines choses qu’on peut faire même autre que penser à changer la loi.

Yves Faguy : Oui, mais ça aussi politiquement c’est pas nécessairement toujours très facile à faire parce que l’électorat d’ici va souvent se poser la question : mais pourquoi allez-vous ailleurs pour adresser les problèmes des autres alors qu’on a des problèmes plus immédiats ici à la maison ? Qu’en pensez-vous de ça ?

Annick Legault : La pensée individualiste que vous venez de me décrire n’est pas la mienne. Elle ne sera jamais la mienne. J’ai énormément de difficulté de concevoir que les humains se… si les problèmes des autres sont nos problèmes, ça pourrait aussi être la même chose. Nos problèmes seraient ceux de l’autre. Encore là je comprends que ça soit de l’utopie. Je suis pas née hier, mais moi je vis comme ça et c’est comme ça que moi je pratique ou que je pratiquais le droit, puis c’est comme ça que je dois, selon moi, que je dois continuer à voir l’humanité. Donc qu’est-ce que moi je peux faire pour essayer de concilier ? En fait c’est même pas de concilier parce que je pense que les gens en ce moment avec le refus de vouloir aider ou de prêter main-forte et de répondre simplement à nos obligations internationales est basée sur de fausses prémisses de l’insécurité, comme je le mentionnais précédemment, ou l’idée qu’on veut nous voler nos emplois. Donc des espèces de clichés qui nous sont lancés. On l’a vu pendant la pandémie au Québec par exemple. On avait une pénurie de main-d’œuvre pour des emplois que les Québécois ne voulaient pas faire alors que si y avait eu le flux habituel des travailleurs migrants à ce moment les champs n’auraient pas eu les problèmes qu’ils ont eus. Donc je veux dire y faut être aussi logique dans nos plaintes et selon moi y a beaucoup de désinformation, y a beaucoup de préjugés. Donc je pense que l’information aiderait grandement.

Yves Faguy : Vous, si vous deviez proposer quelque chose qu’on pourrait faire sur le plan de la loi ou la communauté juridique, qu’est-ce que vous aimeriez voir pour adresser ces gens qui fuient des situations difficiles chez eux et qui essaient de trouver un endroit sûr pour redémarrer leur vie ?

Annick Legault : Premièrement, ne pas appliquer la définition de réfugié de façon restrictive. Je crois qu’à la base ça, ça peut déjà facilement aider. Ensuite je crois qu’on peut faire des programmes de régularisation pour des catégories d’individus provenant de différents conflits par exemple. Pour ce qui est des réfugiés écologiques et climatiques, comme je vous mentionnais, c’est extrêmement différent parce qu’ils ne sont pas sortis de leur pays. Donc on ne les voit pas à nos frontières et on ne les verra pas avant un très très long moment. De là, la seule chose c’est de faire pression sur nos gouvernements. La communauté juridique peut très certainement participer à ça, faire pression sur nos gouvernements, montrer raison à la science, à ce que, nous, on fait, comme occidentaux, d’horrible qui détruit l’environnement, malheureusement en premier lieu dans des pays de l’hémisphère sud principalement. Donc je pense que y a des, ça semble peut-être gros, mais j’allais dire de petites choses qui peuvent être faites pour ce que je viens de vous mentionner qui seraient simples à faire et qui, je le crois fermement, qui bénéficierait à tous, à tout le monde, à tous et à toutes et sur tous les plans que ça soit économique, que ça soit humanitaire, que ça soit de répondre justement à nos obligations et fait très certainement du Canada ce qu’y est supposé être soit un pays de droit et qui protège la veuve et l’orphelin alors que clairement c’est pas vraiment ce qu’on reflète à l’heure actuelle.

Yves Faguy : Mais dans tout ça c’est pas la loi qui faut changer. C’est peut-être plus les attitudes donc ?

Annick Legault : Comme je vous disais si on fait pas une application restrictive, le motif de persécution et groupe social peut incorporer quand plusieurs différents groupes d’individus. Donc c’est pas un groupe qui a été défini dans le temps. C’est un groupe qui peut évoluer et qui évolue. Donc entre autres on ne reconnaissait pas avant les femmes victimes de violence conjugale et dans les années 90 on a commencé. Donc c’est vraiment quelque chose qui évolue déjà au niveau interne et mondial aussi, mais ensuite non comme on peut pas, selon moi, on peut pas changer une définition parce que la définition, ça serait de la changer au niveau du HCR, du Haut-commissariat pour les réfugiés et ça c’est une décision qui se prend avec plusieurs pays et ça, je crois que c’est impossible. Je crois donc qu’on doit davantage miser sur nous à l’intérieur de nos frontières. Qu’est-ce que nous on peut faire pour remplir nos obligations, nos autres obligations parce que justement on n’a pas juste signé la convention. On a signé toutes sortes de documents, de traités internationaux et de conventions qui militent fortement en faveur que l’on prête main-forte à des humains qui sont dans le besoin.

Yves Faguy : Sur ce malheureusement nous devons conclure l’entrevue. J’aimerais vous remercier Maître Legault de nous avoir éclairés sur ces grandes questions et je m’entretenais donc avec Annick Legault, avocate en droit des réfugiés, basée ici à Montréal. Merci.

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